Conception pratique et contre factuels
Dans ce chapitre, notre but est de fournir un algorithme pratique et utilisable pour le marché français en prenant en compte ses spécificités et afin de fournir de vrais résultats contre factuels. Comme pour Roth and Peranson (1999) quand ils ont conçu la nouvelle procédure NMRP, nous prenons ici une approche plus d’ingénierie soutenue par nos résultats théoriques du premier chapitre. Dans une première partie, nous étendons l’algorithme TO-BE à un cadre avec places vacantes au sein des académies et enseignants néotitulaires, sans affectation initiale. Cette extension a un parallèle clair avec l’algorithme YRMH-IGYT proposé par Abdulkadirouglu and Sonmez (1999) dans le contexte d’allocation de logements avec occupants initiaux, agents sans logements et logements vides. Notre généralisation de TO-BE peut être vue comme une généralisation de l’algorithme YRMH-IGYT. Nous montrons théoriquement que l’algorithme garde ses bonnes propriétés d’efficacité et de non manipulabilité.
En utilisant les données françaises complètes sur l’affectation inter-académique de 2013, 3991 enseignants titulaires obtiennent une nouvelle affectation sous AD∗ contre environ 3880 sous notre généralisation de TO-BE. Pour comprendre cette performance moindre sur ces données complètes, il faut analyser en détails le marché français. Comme évoqué, Créteil et Versailles sont deux académies très peu attractives et, dans une moindre mesure, une troisième peut être ajoutée: Amiens. Les deux premières concentrent 48.4% des enseignants titulaires demandant une réaffectation et la dernière, Amiens, 6.2%. Donc ces trois académies concentrent à elles trois plus de la moitié des demandes de mobilité. Ces académies attirent peu d’enseignants, notamment titulaires et tendent à concentrer une grande proportion d’élèves en difficulté. Dans un contexte sans aucune place vacante, comme dans le Chapitre 1, une très grande proportion d’enseignants au sein de ces trois académies restaient leur allocation initiale sous AD∗ ou TO-BE car peut d’enseignants titulaires sont prêts à échanger leurs postes avec eux. Avec des places vides, ces enseignants ont la possibilité de bouger. Cependant, l’algorithme TO-BE, qui prend en compte le rang obtenu par les écoles, ne les autorise pas à partir sans être remplacés par un enseignant avec une priorité plus élevée. En particulier, on ne peut affecter un néotitulaire pour les remplacer alors que AD∗ autorise ce genre de remplacements. De par la taille de ces trois académies, cet effet négatif en termes de mouvement pour TO-BE compense le fait qu’il permet plus d’échanges d’enseignants entre des académies plus populaires que AD∗, amenant in fine à moins de mouvement total. En retenant plus d’enseignants titulaires dans ces trois académies désavantagées, l’effet mécanique de TO-BE est d’y augmenter l’expérience des enseignants affectés comparé à AD∗ puisque ce dernier les remplace principalement par des néotitulaires. Cet effet peut être vu comme bénéfique pour les élèves au sein de ces régions. Comme mentionné, il existe un arbitrage entre satisfaire les requêtes de mobilité des enseignants et diminuer les inégalités d’affectation des enseignants expérimentés. Cependant, retenir trop d’enseignants au sein de ces académies peut ne pas être un objectif désirable du point de vue du décideur politique. Motivés par cette idée, nous proposons de relâcher la contrainte de l’algorithme TO-BE en imposant seulement que certains enseignants dans certaines académies (appelées académies cibles) doivent être remplacés par des enseignants à priorité plus élevée. Cela permet plus de flexibilité dans la conception de l’algorithme afin d’avoir une meilleure adéquation avec les différents objectifs politiques. En variant le nombre d’enseignants et d’académies cibles, on peut aller de l’algorithme TO-BE originel à celui YRMH-IGYT.
En testant différents scénarios de contre factuels avec nos données, nous montrons par exemple qu’on peut augmenter la mobilité des enseignants titulaires de 44.9% comparé à AD∗ tout en maintenant la même sortie dans les trois académies désavantagées de Créteil, Versailles et Amiens48. L’augmentation de mobilité dans les autres académies est de 79.2%. Cela permet d’améliorer la proportion d’enseignants relativement plus expérimentés pour les trois régions désavantagées, réduisant les inégalités d’affectation. Nous fournissons plusieurs résultats selon les scénarios adoptés pour montrer la flexibilité de notre approche qui peut amener à une augmentation, stagnation ou diminution des sorties au sein des trois académies désavantagées. De la même façon que Roth (1984), nous explorons les effets de la présence de couples d’enseignants dans un problème de réaffectation. Tout comme dans le cadre standard d’appariement avec deux types, un certain nombre de résultats d’impossibilité émergent. Si les couples sont initialement affectés au sein de la même académie, veulent uniquement finir affectés dans une académie identique et qu’il n’y a pas d’enseignants seuls (ne faisant pas parti d’un couple), alors on peut définir un algorithme 2-Pareto efficace, RI et non manipulable qui s’exécute en temps polynomial. Cependant, si l’une des hypothèses est relâchée, on perd l’existence d’un mécanisme non manipulable. Nous montrons également que dans le cadre d’un marché avec couples et enseignants seuls, le problème de trouver un appariement RI différent de l’allocation initiale est NP-difficile.
Enfin, nous explorons un modèle alternatif de réaffectation des enseignants afin de mieux contrôler le taux de mobilité au sein des académies. Plutôt que de s’appuyer sur un classement complet des enseignants pour ses priorités, chaque académie à un objectif plus simple, comme par exemple décroitre le nombre de “jeunes”enseignants qui y sont affectés. Dans un premier modèle très simple avec uniquement des enseignants “jeunes”et “vieux”, nous exhibons une classe d’algorithmes, les algorithmes Type Exchange (TE), qui permettent de trouver les appariements qui respectent les objectifs des académies et qui ne peuvent pas être améliorés en termes de préférences des enseignants par un autre appariement respectant également les objectifs des académies. Cette approche alternative offre des pistes intéressantes pour de futures recherches. Pour les néotitulaires, des différences existent. N’ayant pas d’affectation initiale, il se peut qu’il finissent non affectés. Pour empêcher cela, leurs listes de préférences sont complétées pour contenir (presque) toutes les académies. On peut dès lors compter le nombre de ces enseignants affectées à un voeu qui leur a été ajouté ou encore regarder la distribution des rangs des voeux obtenus. Le lecteur est invité à se référer au Chapitre 2 pour les résultats obtenus.
un nouveau cadre d’appariement
Ce chapitre explore une nouvelle classe de problèmes d’appariement. Il a été inspiré par l’interdépendance qui peut exister entre l’allocation des enseignants aux écoles et celle des élèves aux écoles. Enseignants et élèves vont tout deux être affectés au même ensemble d’écoles. Pour qu’un enseignant puisse définir ses préférences sur les écoles, leurs caractéristiques comme la position géographique, leur budget ou leur infrastructures sont prises en compte mais ces préférences peuvent aussi être influencées par les types d’élèves qui seront affectés à ces écoles. L’idée inverse pour les étudiants est également vraie: ils peuvent également prendre en compte la qualité des enseignants affectés à leur école potentielle. En prenant une approche plus abstraite que la seule application des enseignants et élèves, on définit un modèle d’appariement où deux types d’individus doivent être affectés à un ensemble commun d’objets. Chaque individu d’un type a des préférences sur les paires d’objets et d’individus de l’autre type auxquelles il peut être affecté. Ce modèle est à l’intersection d’un modèle classique d’appariement avec deux types où deux ensembles d’agents, par exemple hommes et femmes, doivent être appariés ensemble; et un modèle d’allocation de logement où ces paires d’agents doivent également être affectées à des objets, par exemple des logements. Dans ce chapitre, nous utilisons les terminologies hommes, femmes et logements pour souligner cette intersection. En effet, dans leur article fondateur, Gale and Shapley (1962) utilisèrent la terminologie hommes et femmes pour les appariements avec deux types. Shapley and Scarf (1974) utilisèrent la terminologie logements pour les objets dans leur problème de réallocation de logements. Le problème est donc d’affecter au sein de chaque logement, un homme et une femme. Une application possible est l’affectation de managers et travailleurs à des projets au sein d’une organisation, une administration publique par exemple.
En suivant les questions traditionnelles de la littérature sur les problèmes d’appariement, on peut se demander si une généralisation du concept d’appariement stable existe dans ce contexte ? La stabilité requiert qu’une fois les couples d’hommes et de femmes sont affectés à leur logement, il n’existe aucun homme (resp. femme) qui préfèrerait inviter une autre femme (resp. homme) dans son logement actuel de façon à ce que les deux préfèrent strictement cette situation à leurs paires logement-partenaire qui leurs ont été affectées. Sans surprise, nous fournissons un contre exemple où un tel matching stable peut ne pas exister. Cependant, en réfléchissant au problème, la notion de stabilité mentionnée permet à n’importe quel agent de “prendre à son partenaire”le logement qui lui est affecté tout en demandant à un autre partenaire de le rejoindre. Dans beaucoup d’applications, cela n’est pas toujours possible pour tout type d’agent. Dans le cas des managers, travailleurs et projets, il n’est pas possible pour un travailleur de renvoyer son manager, seul ce dernier peut le faire avec un travailleur. Il y a donc un sens dans lequel il existe une structure de propriété sur les projets. Dans notre cadre plus abstrait, nous nous referons aux projets en utilisant le terme “logements”. Nous introduisons donc une structure de propriété qui donne pour chaque affectation d’un homme et d’une femme à un logement, le “propriétaire”du logement. Nous pouvons ensuite définir une notion de stabilité par rapport à une structure de propriété qui impose que seuls les propriétaires peuvent demander à un autre agent de les rejoindre dans le logement qui leur est affecté. Pour une structure de propriété arbitraire, on peut facilement montrer qu’un appariement stable par rapport cette structure peut ne pas exister. Cependant, nous montrons qu’ils peuvent exister pour des structures naturelles: celles qui donnent toujours la propriété d’un logement à un agent du même type, c.a.d. toujours une femme ou toujours un homme. Nous les appelons les structures de propriété pour un type49. La preuve se base sur l’existence d’appariements stables dans un contexte standard d’appariement avec deux types comme montré par Gale and Shapley (1962). Cependant, nous montrons que la structure de nos appariements stables diffère. En effet, on peut définir une notion de coeur par rapport à une structure de propriété: un groupe d’agents peut essayer de réallouer leurs affectations entre eux pour tous préférer cette réaffection mais ils doivent inclure les propriétaires des logements qu’ils utilisent pour cette réaffectation. Dans un cadre standard d’appariement avec deux types, les appariements stables sont équivalents aux appariements du coeur. Dans notre contexte avec des structures de propriété à un type, les appariements Pareto-efficaces et stables peuvent être disjoints, impliquant que le coeur peut être vide.
Afin d’explorer les liens de cette nouvelle classe de problèmes d’appariement avec la classe des problèmes d’allocation de logements définie auparavant, nous introduisons une affectation initiale des agents aux logements. On peut alors définir une notion de coeur dans ce contexte similaire à celle, déjà mentionnée ci-dessus, par Roth and Postlewaite (1977). La principale différence réside dans le fait que les groupes d’agents tentant de dévier ne peuvent pas échanger les logements qui leurs sont affectés mais uniquement utiliser leurs logements initiaux. Pour une allocation initiale qui affecte les logements aux agents du même type, c.a.d. toujours femmes ou toujours hommes, alors nous pouvons également montrer que cette notion de coeur peut être vide. Cependant, de façon similaire au résultat précédent, on peut montrer qu’on peut toujours trouver un appariement qui n’est pas bloqué par des groupes de deux agents, composés d’un homme et d’une femme. Contrairement à la notion de coeur précédente, on peut trouver un appariement Pareto-efficace qui ne peut pas être bloqué par une coalition formée d’un homme et d’une femme.
Ce qui ressort de cette analyse est que malgré de nombreux résultats d’impossibilité, les structures de propriétés pour un type semblent être celles qui permettent toujours l’existence minimale de l’absence de paires bloquantes, que cela soit dans un contexte similaire à l’appariement avec deux types, où dans un contexte plus proche du marché de logements avec une allocation initiale. Si l’absence de blocage par paires est la condition minimale pour un système pour perdurer, alors ce résultat peut justifier pourquoi, en pratique, nous observons principalement de telles structures de propriétés. Les notions de coeur, contrairement au cadre standard, peuvent être vides. Cependant, le contexte de marché de logement avec une allocation initiale permet, contrairement au premier contexte plus proche de l’appariement avec deux types, de concilier l’absence de bloquage par des paires d’agents avec la Pareto-efficacité.
