La vérité sur l’affaire de la vitamine B3
Restons dans les charmes de la nutrition historique avec une autre vitamine, dont la découverte est un véritable thriller biologique.
Comme souvent en vitaminologie, l’affaire commence par des décès. Pas un crime isolé, non. Des dizaines de milliers de victimes ! On est au XVIIIe siècle en Italie, et le meurtrier est la pellagre, une maladie caractérisée par des signes cutanés (œdèmes, rougeurs, pustules…) qui lui ont donné son nom, des troubles digestifs graves, des troubles mentaux (jusqu’à la démence), de l’anémie sévère et une évolution vers la mort. La maladie fait son apparition dans le sud de la France au début du XIXe siècle, remonte jusqu’à Londres et envahit l’Europe entière. Premier indice relevé : il s’agit d’une sorte d’épidémie qui suit le développement du maïs (pas encore OGM !). Les premières recherches s’orientent donc vers trois pistes : une mycotoxine parasitant le maïs (comme pour la maladie de l’ergot de seigle), une pathologie infectieuse ou une carence alimentaire. Des observations dans des asiles ont montré que le personnel soignant n’était jamais atteint. Dans les villages, il est rapporté que la maladie évitait soigneusement les riches et les notables, ainsi que les ecclésiastiques bien nourris. L’hypothèse d’une maladie infectieuse perd du terrain, mais pour en avoir le cœur net (et bien accroché), le chercheur leader de l’époque se fait injecter des extraits de pustules de pellagreux. Par rigueur scientifique sûrement (?) et pour élargir l’échantillon testé, il soummet au même traitement… sa femme et quatorze volontaires, en leur faisant ingérer également des extraits de selles et d’urine de pellagreux. Science, quand tu nous tiens ! Bingo ! Aucun n’a contracté la pellagre (l’histoire ne dit pas ce qu’ils ont attrapé d’autre…) et l’hypothèse infectieuse tombe d’elle-même. CQFD. Restaient la mycotoxine (vite disculpée) et la maladie de carence, comme pour la vitamine C et le scorbut.
La carence a été démontrée par des recherches menées dans les pénitenciers, en comparant un régime maïs + viande + œufs + lait avec un régime « tout maïs », répandu à l’époque. Aucune maladie ne se déclara pour le premier, mais ceux qui subissaient le second furent atteints de pellagre. L’origine carentielle de la pellagre était ainsi prouvée, et le maïs impliqué, au moins par ce qu’il ne contenait pas ou pas assez.
L’enquête n’était pas bouclée pour autant. Il fallait trouver la molécule vitale qui faisait défaut, ce qui fut fait en 1930. C’est la vitamine PP (pellagra-preventing factor), ou niacine, rebaptisée plus tard vitamine B3. Le mystère s’épaissit toutefois de nouveau quand on s’aperçut que le maïs était certes pauvre en vitamine PP, mais qu’il n’était pas totalement dépourvu, et surtout qu’il n’en contenait pas moins que le lait ou les œufs, lesquels semblaient pourtant prévenir la maladie. Tous les Sherlock de la nutrition replongèrent dans leurs labos pour découvrir que le mammifère fabrique cette vitamine à partir d’un acide aminé indispensable, le tryptophane, abondant dans le lait et les œufs. La pellagre était donc une maladie de double carence, caprice de la nature imparfaite, maladie de la misère alimentaire quand les protéines animales étaient rares. Est-ce tout pour cet épisode à la gloire de l’omnivorisme historique ? Que nenni ! La consommation abondante de seigle, pas plus riche en vitamine B3 que le maïs et dans des conditions similaires, n’avait pas provoqué la pellagre. Pourquoi donc ? Énigme supplémentaire, résolue au cours des années 1950 : dans le maïs, la vitamine est enchâssée au sein de fibres très résistantes, donc non accessible aux enzymes digestives de l’homme, ce qui n’est pas le cas du seigle où la vitamine est très baladeuse.
Une dernière énigme pour cette vitamine rebelle, mais la chute approche. Les Mexicains, historiquement grands consommateurs de maïs (et même « tout maïs » pour les plus pauvres) n’ont jamais connu la pellagre. Le dossier fut donc rouvert pour fait nouveau dans les années 1960, qui déboucha sur une autre trouvaille : les Mexicains ont l’habitude de traiter le maïs à l’eau de chaux, ce qui libère la vitamine des fibres qui l’emprisonnent et la rend disponible en quantité suffisante pour éviter la pellagre.
Une belle histoire, donc, avec chute paradoxale cependant : le maïs contenait assez de vitamine pour écarter la carence, mais la gardait jalousement dans ses fibres, et le salut venait indirectement des protéines animales riches en tryptophane. La morale de cette histoire, c’est que, devant la complexité des situations nutritionnelles, les affirmations doivent être modestes, sauf pour dire que c’est seulement en mangeant de tout qu’on réduit les risques. La vitamine PP, ou B3, coule désormais des jours paisibles dans nos livres de nutrition et s’est fait oublier sous nos climats grâce au recul de la misère et de la malnutrition. Attention à ne pas réactiver le feuilleton avec nos aventuriers de l’éviction, qui ne jurent que par les « sans lait, sans œuf, sans gluten, sans viande »… et surtout sans connaissances !
Pleins feux sur les oméga-3
Les oméga-3 constituent sans doute l’illustration la plus passionnante et la plus passionnée des difficultés, contradictions et limites de nos systèmes d’évaluation, en santé publique, d’un nutriment pourtant indispensable.
Procédons d’abord à un état des lieux médiatique : les oméga-3 se retrouvent anormalement chahutés dans les rapides du monde de la nutrition. Ils sont perçus par une grande partie de la sphère médicale comme un médicament hypothétique qui n’a pas vraiment fait ses preuves, tandis que les communicants et les journalistes y voient soit une source de bénéfices pour ceux qui, de près ou de loin en vendent ou vendent l’idée d’en faire profiter la population et leur propre business, soit une mode sans intérêt, à combattre au nom de la haine des industriels et des compléments alimentaires. Quant au grand public, il ne sait pas trop quoi penser et ressent légitimement l’impression que la cacophonie règne.
Qu’en est-il réellement ? Les oméga-3 sont des nutriments indispensables, donc non synthétisables par les animaux et par l’homme, mais requis pour le fonctionnement de l’organisme, définition qu’ils partagent avec les treize vitamines, les huit acides aminés indispensables et une bonne quinzaine de minéraux.
Qu’on se le dise, les oméga-3 sont des acides gras. Donc des lipides. Et oui ! C’est même une famille, avec un grand-père (précurseur fabriqué par les végétaux chlorophylliens, y compris le phytoplancton) et des descendants (dérivés fabriqués exclusivement par les animaux et l’homme à partir du précurseur végétal). Un peu comme pour le bêta-carotène et la vitamine A, rappelez-vous. Et là encore, pour les oméga-3, les molécules actives sont surtout les dérivés issus des animaux. Mais, hélas, la production des dérivés est extrêmement faible : moins de 1 % chez l’homme.
Dans la famille des oméga-3, je voudrais… le grand-père, l’acide alpha-linolénique (ALA1) ! Tiens, le voilà dans les huiles de colza, de lin, de noix. Fort bien, mais il me faut aussi et surtout… le petit-fils et l’arrière-petit-fils (EPA et DHA2). Bonne pioche avec les poissons gras, au moins deux fois par semaine. Omnivore encore, omnivore toujours. Même pour ces acides gras, végétaux et animaux collaborent à optimiser notre menu équilibré.
Et maintenant, reprenons au début l’histoire des oméga-3.
Une histoire récente
Découverts dans les années 1930, les acides gras indispensables oméga-3 (et oméga-6) ont fait l’objet de recommandations officielles dans les années 1970, en particulier pour les laits infantiles. La carence en oméga-3 entraîne-t-elle la mort ? Non, car ces acides gras ne sont pas aussi problématiques que les vitamines, et surtout parce que même le plus malnutri des enfants de la planète a une chance d’en absorber par le lait de sa mère, puis par la variété des régimes omnivores. D’ailleurs, s’ils n’ont été découverts qu’au milieu du XXe siècle (la carence en vitamine A avait été identifiée dès l’Antiquité, celle en vitamine C au temps de Christophe Colomb et celle en acides aminés indispensables à la fin du XIXe siècle), c’est bien parce qu’ils sont moins indispensables que d’autres nutriments indispensables. En effet, ces derniers ont été décelés à chaque fois qu’une carence mettait en jeu la survie d’une population. Donc, oui, nos oméga-3 sont de véritables nutriments indispensables, mais ils n’ont été reconnus comme tels que tardivement, un peu comme un luxe, dans des populations qui ne présentaient plus aucune des graves carences du passé, c’est-à-dire dans des populations ayant réussi à couvrir leurs apports en nutriments encore plus indispensables. Leur importance pour nous maintenant, c’est aussi augmenter l’espérance de vie et surtout la qualité de fin de vie.
L’indispensabilité des oméga-3 n’a pas tout de suite sauté aux yeux, et il a fallu créer la carence chez l’animal pour établir le risque de carence chez l’homme. C’était déjà un peu tard pour qu’ils puissent être considérés à leur juste valeur. En effet, c’est à peu près au moment où ils ont été identifiés que se sont développés les compléments alimentaires, avec leurs chapelets d’allégations plus ou moins gonflées (au propre et au figuré) pour la plupart, énervant beaucoup de gens dans l’ambiance anti-industrielle qui règne au sein du monde médiatique, médical et scientifique de la nutrition. Les oméga-3 ont été souvent jetés avec l’eau du bain, ce qui était injustifié dans leur cas. Mais pouvait-il en être autrement ?
Oméga-3 et cerveau
Revenons aux bases scientifiques. Constituants spécifiques du cerveau, leur absence provoque un électrorétinogramme anormal (problème de vision) et des capacités d’apprentissage et de mémoire réduites. Les rats carencés comprennent moins vite ! Chez l’homme, l’indispensabilité des oméga-3 et l’établissement des besoins requis ont pu être démontrés sur trois bases.
1. Extrapoler à l’homme à partir des expériences de carences chez l’animal, c’est appliquer le principe de précaution pour éviter aux enfants un déficit visuel et cérébral même mineur, établi comme général chez les mammifères.
2. Indirectement et sans la provoquer, la situation de déficit a été obtenue et décrite chez l’enfant en comparant les statuts en oméga-3 dans le sang et en mesurant les paramètres visuels et cognitifs d’enfants nourris au sein (lait contenant des oméga-3) ou au lait infantile (dépourvu d’oméga-3 à l’époque). Résultat : mêmes différences (un peu atténuées) que chez le rat sur les plans visuel et cognitif (avec ce qu’il est possible de démontrer chez l’enfant). C’était indiscutable et cela a conduit à l’obligation progressive d’incorporer des oméga-3 dans les laits infantiles.
3. Au cours de cette même période, le statut cérébral en oméga-3 (là où ils sont tellement importants) a été étudié dans un des rares cas possibles de biopsie, chez des enfants décédés de mort subite, qui ont montré que le statut des enfants nourris au lait infantile n’atteignait jamais celui des enfants nourris au sein. Toutes ces années de recherches plus ou moins directes ont conclu au rôle structurant et constituant des oméga-3 dans le cerveau. La cause était entendue. Ces derniers Mohicans des nutriments indispensables entraient dans la cour des grands. Les Américains baptisèrent même le plus précieux cervonic acid.
Oméga-3 et maladies cardiovasculaires
Voilà pour les bases « cérébrales » de l’histoire des oméga-3, dont le monde médical (hors spécialistes) ne parle jamais faute d’enseignement de la nutrition dans les formations générales concernées (j’y reviendrai). Mais ce n’est pas tout. Entre-temps, les liens bénéfiques entre oméga-3 et maladies cardiovasculaires (MCV) ont été mis en évidence grâce à une situation de très forte consommation, spontanée cette fois : les Esquimaux du Groenland sont littéralement « perfusés » aux oméga-3 par tous les aliments à base de produits marins qu’ils ingèrent. Comparés avec les Danois du Danemark (à qui le Groenland appartient), ils exhibaient une insolente santé cardiovasculaire :
inflammation très basse des vaisseaux, moindre développement de la plaque d’athérome, fluidité sanguine très élevée, garantie de ne pas coaguler excessivement le sang, donc de ne pas boucher les artères. Pour eux, pas de carence, et même peut-être une surcharge. La période « cardio » des oméga-3 était lancée, et le poisson gras est venu sur le devant de la scène !
Qui dit MCV dit maladie très répandue, donc nombreux patients, donc médicaments, donc allégations nutritionnelles, donc publicité avec promesse d’échapper à la maladie ou de la retarder, donc agitation économique et médiatique. Le nutriment cérébral était éclipsé, le médicament anti-MCV potentiel était né… Mais pas bien né, cerné qu’il était par les contresens, les controverses, les mauvais procès et les interprétations erronées.
Passer du statut de nutriment à celui de médicament a posé plein de problèmes pour les oméga-3. N’est pas médicament qui veut. Ce quiproquo et cette approche déraisonnable ont plombé sa valeur nutritionnelle. L’éclipse s’est révélée totale pour le nutriment : les oméga-3 seraient médicament ou ne seraient pas. Corps médical, médias, grand public ignorent donc qu’avant toute considération d’effet cardiovasculaire, les oméga-3 sont requis pour les structures cérébrales, dès la naissance et durant la grossesse. Ils ne sont pas indispensables en premier lieu pour soigner le cœur et les artères, mais avant tout pour construire les structures cérébrales et probablement ralentir le vieillissement.
Un nutriment n’est pas un médicament
Ainsi l’histoire des oméga-3 est-elle devenue une histoire de « cœur », compliquée et passionnée. La bataille s’est engagée autour de la justification d’un éventuel médicament à visée cardiovasculaire, mais les oméga-3 n’étaient pas brevetables et n’intéressaient donc pas la grande industrie pharmaceutique, qui n’a ni découvert ni synthétisé ces molécules naturelles et ne peut pas les mimer en raison de leur complexité. Au plus pourrait-on les extraire de la nature – et c’est déjà coûteux –, à condition que leurs effets soient puissants et reconnus à hauteur de médicament. Beaucoup d’industriels ont ainsi voulu appliquer aux oméga-3 les exigences méthodologiques requises pour justifier l’activité des médicaments, dont dépend leur remboursement – car là est le sésame de l’effort de recherche, et c’est normal. L’aiguillage de l’approche médicamenteuse était franchi, mais il menait vers une voie de garage dont on n’est pas encore sorti :
avoir traité les oméga-3 comme des médicaments à légitimer comme tels les a enfermés dans un carcan de débats sans issue, du fait des contresens non résolus et de la recherche d’un niveau de preuve qu’ils ne fourniront pas face à une maladie déclarée.
Un nutriment, même indispensable, n’est pas un médicament. Pourquoi donc ? C’est une lapalissade, mais elle a besoin d’être répétée : un médicament soigne une maladie qui n’est pas provoquée par son absence, tandis qu’une carence est très dangereuse, voire mortelle pour les nutriments les plus indispensables (fer, vitamines). Le médicament s’adresse à des malades ; les nutriments – dont les oméga-3 – s’adressent a priori à toute la population. Ils ne sont pas d’abord objets thérapeutiques contre une maladie précise, mais acteurs de prévention de multiples problèmes que leur absence provoque. Dans un cas on cible une maladie, dans l’autre on prévient ou retarde une série de troubles et de fragilités. La cible du médicament est pointue, la molécule active n’est pas spontanément présente et la durée de prescription est limitée par d’éventuels effets secondaires. À l’opposé, l’apport en nutriments est continu toute la vie, n’entraîne aucun effet secondaire et couvre un spectre préventif très large.
Les ignares en nutrition se moquent : « C’est louche, car les oméga-3 sont bons pour tout. » Leur ironie est logique, du fait d’une approche inappropriée qui veut envisager les oméga-3 comme un médicament. Mais ce petit air « bon pour tout » revient en fait seulement à traiter les multiples impacts d’un déficit en nutriments indispensables. Coté puissance, pour les différents effets considéres, les oméga-3 sont souvent dix fois moins actifs qu’un médicament, mais un médicament nécessite un diagnostic suivi d’une prescription, tandis que pour conseiller un nutriment, le fait épidémiologique que la population EST EN DÉFICIT suffit. Et si le nutriment est indispensable (aucune synthèse possible), les effets positifs de son apport sont bien plus variés et plus puissants tant il fait défaut à nombre d’organes et de fonctions. Il est donc « bon pour tout », car il manque à tout. Il n’y a donc aucune raison d’avoir la même approche que pour un médicament. Enfin, pour une population comme celle de la France, la liste des déficits tient sur les doigts d’une main… et encore ! En ce qui concerne les oméga-3, ce déficit est prouvé depuis longtemps, mais non connu des praticiens, parce que non enseigné : ce nutriment n’est pas associé à une pathologie grave, seulement à la prévention des maladies du vieillissement.
Pour autant, les oméga-3 ne sont pas des médicaments et on ne doit pas revendiquer pour eux un tel statut. Beaucoup d’industriels (dans l’agroalimentaire comme dans le domaine des compléments alimentaires) en ont vanté, trop haut et trop fort, les effets thérapeutiques, alors que combler un déficit nutritionnel était déjà très positif pour eux et aurait dû suffire à leur bonheur. À l’inverse, la médecine ne devrait pas ignorer, ou mépriser par ignorance, la dernière famille quasi vitaminique de nutriments démontrés indispensables, au seul prétexte qu’ils ne figurent pas au rang des médicaments.
Résoudre un problème de déficit est la première justification de l’éducation nutritionnelle et des progrès de la nutrition. Les oméga-3 offrent un bel exemple d’investissement en faveur de la prévention visant à retarder plusieurs problèmes physiologiques (aux niveaux cérébral, cardiaque et vasculaire), mais ils ne sont en rien l’équivalent d’un médicament thérapeutique (statines, fibrates, anti-inflammatoires), qui soigne le malade avec puissance et rapidité, au prix de quelques effets secondaires. Pour les oméga-3, la justification scientifique ou le niveau de preuve sont d’abord ceux de la recherche fondamentale démontrant des mécanismes communs avec des médicaments agissant dans le même champ (inflammation, agrégation plaquettaire, etc.). En pratique, les apports recommandés pour les oméga-3 de type EPA + DHA sont de 500 mg par jour minimum, alors que la consommation moyenne est de 130 à 200 mg par jour en France. Ces chiffres justifient totalement la recommandation nutritionnelle visant à compenser ce déficit.
Côté sécurité, l’établissement d’un « besoin » repose sur une masse de données scientifiques, avec des doses très variées allant de la carence à la surcharge, qui montrent évidemment dans la foulée qu’il n’y a pas de risque à la dose conseillée. Concrètement, l’approche nutritionnelle et les recommandations ne s’exercent qu’entre le déficit observé et le niveau requis. Dans le cas des oméga-3, même avec les doses « inuitesques » des Esquimaux du Groenland (ils en dévorent plus de 12 g par jour, en moyenne), on n’arrive toujours pas à décrire un risque d’excès.
Finalement, le seul danger avec les oméga-3, comme avec les autres nutriments indispensables, c’est d’en manquer. Mais la culture du siècle, tournée vers la peur du risque infinitésimal, a tué la perception du risque de déficit. On a finalement les inconvénients de nos obsessions collectives.
À partir de l’exemple des oméga-3, on peut rappeler une vérité toute simple et pourtant difficile à faire admettre aux industriels, aux praticiens, aux journalistes et au grand public : sur les mêmes fonctions moléculaires démontrées, le nutriment indispensable œuvre en prévention et en douceur chez le bien portant et retarde donc les maladies du vieillissement, tandis que le médicament soigne avec puissance et rapidité le malade en danger. Pas de concurrence ni de surenchère, s’il vous plaît : la prévention précède la thérapeutique et la retarde. Nullement concurrentes, ces approches sont complémentaires et successives. Industrie alimentaire et industrie pharmaceutique peuvent en vivre toutes deux. Que chacune fasse son job, sans ignorer ni mépriser les enjeux de ce qu’elle connaît moins, et les cochons seront… bien nourris.
Ce discours, qui a présidé à toutes mes activités institutionnelles en recommandation nutritionnelle, doit être inlassablement répété et transmis. Il a l’appui des données scientifiques, la force de la modération et le respect des acteurs éclairés du domaine. Les oméga-3 constituent le meilleur exemple et le véritable cas d’école de cette situation.
Voilà, vous savez tout sur les oméga-3. Mais je vous entends d’ici : et les oméga-6 ? Alors, à table de nouveau. Quand il y en a pour trois, il y en a pour six !