Un système interactif pour l’analyse des musiques électroacoustiques

Cette thèse en convention CIFRE s’est déroulée dans deux départements distincts de l’Institut National d’Audiovisuel (INA). Les membres de l’équipe “Visualisation, Indexation et Fouille de données” (VIF) ont assuré l’encadrement scientifique et le Groupe de Recherches Musicales (GRM) a mené l’encadrement applicatif. La cotutelle académique a été effectuée par le département “Traitement du Signal et de l’Image” (TSI) de l’école TELECOM ParisTech.

Ce travail de thèse s’inscrit dans des problématiques propres au Music Information Retrieval (MIR), un domaine de recherche qui vise à retrouver des informations à partir d’un contenu musical (Casey et al. (2008)). Le MIR est un domaine ou les applications concrètes sont très nombreuses. Un exemple d’application qui vient naturellement à l’esprit est la transcription automatique d’un enregistrement musical en partition. On peut également imaginer un système de recommandation musicale qui vous suggère de nouveaux morceaux en apprenant vos gouts musicaux à partir de ce que vous écoutez. Vous n’êtes pas de bonne humeur et vous comptez sur la musique pour vous apporter la motivation qui vous manque pour attaquer votre journée sereinement ? Il vous suffit de demander à votre application de classification en humeurs de rechercher les morceaux adéquats dans la bibliothèque sonore de votre smartphone. Ou encore, pourquoi ne pas personnaliser ou diversifier votre expérience d’écoute ? C’est une application possible de la séparation de sources qui vous permet de supprimer les sources instrumentales que vous ne souhaitez pas écouter directement sur vos fichiers musicaux. Enfin, à l’opposé, pouvons nous envisager la génération automatique d’une symphonie originale telle qu’elle aurait pu être composée par Beethoven en apprenant automatiquement le style du compositeur par des analyses statistiques de ses pièces ?

La plupart des applications et problématiques citées précédemment font encore partie du domaine de la recherche. Si la “musique conventionnelle”  et notamment classique est largement traitée dans la littérature MIR, on ne peut pas en dire autant des musiques plus atypiques. Ainsi, ce travail de thèse est centré autour des musiques électroacoustiques. Une propriété importante de ces musiques est qu’elles ne sont en général pas écrites et qu’il n’existe pas de standard de notation symbolique comme c’est le cas dans la musique conventionnelle. De plus, les musiques électroacoustiques n’utilisent pas les instruments standards et peuvent faire intervenir n’importe quelle source sonore acoustique ou électronique. Il est également important de noter que les musiques électroacoustiques ne disposent pas des mêmes unités sonores de base que la musique conventionnelle qui est centrée sur la notion de note que l’on peut assimiler à une variable discrète ayant une hauteur et une durée relative. Des problèmes de recherche originaux découlent en grande partie de ces dernières remarques. Les travaux de recherches sur les musiques électroacoustiques concernent principalement la création de nouveaux outils de composition et la pédagogie (Desainte-Catherine & Marchand (1999), Sedes et al. (2004), Savage & Challis (2002), Kurtag et al. (2007)). L’analyse musicale des pièces du répertoire est également un sujet d’étude important (Geslin & Lefevre (2004), Couprie (2004), Gayou (2006)). Dans ce travail de thèse nous nous intéressons en particulier aux problématiques scientifiques liées à l’analyse automatique des musiques électroacoustiques. En effet, dans la plupart des cas, l’analyse des musiques conventionnelles s’appuie en grande partie sur la partition et sur des méthodes établies. C’est, par exemple, le cas de l’analyse des musiques tonales qui passe systématiquement par une étude harmonique. Cependant, pour les musiques électroacoustiques, ne disposant pas de partition, il est nécessaire d’avoir recours à d’autres approches. Nous verrons dans la suite du document que les musicologues passent par une étape de transcription des objets sonores principaux d’une pièce. Ils utilisent ensuite cette transcription afin d’appuyer un point de vue d’analyse. Cette étape de transcription étant la base de chaque analyse, dans ce travail, nous proposons une approche MIR pour assister les musicologues dans la transcription des différents objets sonores.

Les premiers instruments de musique utilisant des procédés de génération sonore non acoustiques sont apparus au début du 20e siècle. Le premier de ces instruments est le Dynamophone (ou Telharmonium) conçu par Thaddeus Cahill à partir de 1897 et présenté en public pour la première fois en 1906 .

Cet instrument est le premier à avoir utilisé un procédé électromécanique pour la génération sonore. Ainsi, cet instrument utilisait principalement une roue phonique placée devant un microphone pour produire le signal sonore.

Il faudra ensuite attendre l’entre-deux-guerre pour voir apparaitre les premiers instruments électroniques. Les principaux sont le Thérémin présenté en 1924 , le Spharophon (1927), le Dynaphone (1927), les Ondes Martenot et le Trautonium  présentés en 1930. La plupart de ces instruments utilisaient un clavier et ne pouvaient jouer qu’une seule note à la fois (instruments monophoniques).

Malgré les contributions de compositeurs établis tel que Messiaen, Koechlin, Honegger, Hindemith ou encore Milhaud, le répertoire compte un nombre limité de compositions dédiées à ces instruments. Les compositeurs ayant montré le plus d’intérêt pour ces instruments sont ceux qui écrivaient des musiques de films. Cependant, les Ondes Martenot ont tout de même réussi à se faire une place relative notamment dans les pièces de Messiaen (Turangalîla-Symphonie, Trois Petites Liturgies). Les Ondes Martenot sont aujourd’hui encore enseignées au conservatoire de Paris.

Les nouveaux procédés de génération sonore ont attiré l’attention du mouvement futuriste qui cherchait à imiter les sons industriels. Ce mouvement fut initié par le poète italien Filippo Marinetti en février 1909 lors de la publication du Manifesto of Futurist Poetry. Les intentions musicales de ce mouvement furent par la suite exprimées par Balilla Pratella dans Manifesto of Futurist Musicians en octobre 1910. Ce document propose un rejet des principes et méthodes traditionnelles musicales d’enseignement pour leur substituer une expression libre inspirée par la nature dans toutes ses manifestations. D’autres ouvrages du mouvement furent publiés dans les mois suivants. Dans The art of noise, Luigi Russolo proposait d’utiliser des sources sonores environnementales dans la composition musicale : “Les sons musicaux sont trop limités à des variétés de timbres qualitatives. Les orchestres les plus complexes se limitent à quatre ou cinq catégories d’instruments de timbres différents : les instruments joués à l’archet, les instruments à cordes pincées, la famille des cuivres, la famille des bois et les instruments à percussions … Nous devons sortir de ce cercle restreint des sons musicaux purs et conquérir l’infinie variété des bruits” (Russolo (1913)). Ces propositions furent matérialisées par la construction d’instruments bruitistes : les Intonarumori, en collaboration avec le percussionniste Ugo Piatti. Ainsi, le premier concert basé sur ces instruments, l’Art des bruits, eut lieu à Milan en juin 1913 au théâtre Storchi.

Table des matières

1 Introduction
1.1 Contexte
1.2 Objectifs et problématiques
1.3 Contributions
1.4 Présentation du manuscrit
2 Musiques électroacoustiques et architecture du système
2.1 Introduction
2.2 Naissance des musiques électroacoustiques
2.2.1 Développements avant 1945
2.2.1.1 Apparitions des premiers instruments de musique non acoustiques
2.2.1.2 Vers de nouvelles formes d’expression
2.2.2 Paris et la musique concrète
2.2.2.1 Naissance d’un groupe de recherche
2.2.2.2 Les débuts de la musique concrète
2.2.2.3 Formalisation et notation
2.2.3 Cologne et l’elektronische musik
2.2.3.1 Création du studio de Cologne
2.2.3.2 Les premières pièces d’elektronische musik
2.2.4 Milan, un autre studio européen important
2.3 Définitions
2.4 Analyse des musiques électroacoustiques
2.4.1 Etat de l’art
2.4.2 Approche analytique de trois musicologues
2.5 Un système interactif d’aide à l’analyse des musiques électroacoustiques
2.5.1 Etat de l’art
2.5.2 Architecture du système
2.5.2.1 Contraintes fonctionnelles
2.5.2.2 Choix d’architecture
2.5.3 Corpus synthétique
2.5.3.1 Corpus M
2.5.3.2 Corpus P
2.6 Conclusion
3 Segmentation interactive de musiques électroacoustiques
3.1 Introduction
3.2 État de l’art
3.2.1 Approches par mesures de similarités
3.2.2 Approches par détections de ruptures
3.2.3 Approches par programmation dynamique
3.2.4 Approches par clustering
3.2.5 Approches issues d’autres domaines
3.3 Segmentation interactive
3.3.1 Architecture
3.3.2 Extraction de descripteurs
3.3.3 Construction d’un descripteur de timbre adapté
3.3.3.1 Algorithme de Fisher
3.3.3.2 Sélection d’attributs
3.3.4 Représentation d’unités sonores
3.3.4.1 Segmentation de bas-niveau
3.3.4.2 Intégration temporelle
3.3.5 Clustering hiérarchique
3.3.6 Clustering interactif
3.3.6.1 Coupes globales et locales
3.3.6.2 Comparaisons de deux scénarios d’interaction
3.4 Evaluation
3.4.1 Critères d’évaluation
3.4.2 Expériences
3.4.2.1 Simulation utilisateur
3.4.2.2 Comparaison de performances pour les deux scénarios d’interaction
3.5 Conclusion
4 Conclusion

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