Une ambition intime : la campagne présidentielle de 2017 à l’heure de la téléréalité

Une ambition intime : la campagne présidentielle de
2017 à l’heure de la téléréalité

 L’information politique à la recherche de l’audience

Si l’on excepte le cas particulier du service public, la télévision est un média soumis à une logique commerciale qui produit ses effets sur le format des programmes. Faute d’audience suffisante, une émission peut rapidement disparaître des écrans. Dans Sur la télévision, Pierre Bourdieu souligne cette puissance de l’audimat, son influence sur le champ journalistique et la production de l’information. A l’aube des élections présidentielles de 2017, la représentation politique à la télévision n’échappe pas à cette pression. Les émissions politiques sont mises à mal par l’information en continu et par des talk-shows qui viennent les concurrencer frontalement en recevant désormais des personnalités politiques de premier plan . 

Les spécificités de l’information à la télévision 

Parmi l’ensemble des programmes de télévision, le CSA définit les particularités de ceux qui traitent de l’information36. Ils adoptent des formes spécifiques : journaux télévisés, émissions de débat ou magazines de reportages. Ils abordent principalement des questions d’actualité ou de société et sont réalisés par des journalistes qui appartiennent à la rédaction de la chaîne. La plupart des programmes d’information sont réalisé en direct ou pour une diffusion quasiimmédiate. Le travail du journaliste de télévision consiste à enquêter pour trouver des informations, à faire des recherches sur tous les éléments qui lui paraissent utiles et à interroger des spécialistes ou des témoins. Nous le voyons, l’information à la télévision relève d’un « cadre » stricte qui exclue les autres formes de programme et renvoie au champ du divertissement le format des talk-shows par exemple tel que nous l’avons vu à travers la distinction opérée par Aurélien Le Foulgoc en introduction de cette étude.

Des contraintes de diffusion spécifiques à chaque média

 L’analyse du cahier des charges du groupe public et des conventions liant le CSA aux principaux groupes média privés laisse apparaître des contraintes différentes en matière d’information. Pour France Télévisions, leur mission de service public laisse peu de place aux émissions de divertissement et presque aucune à celles qualifiables de « téléréalité » au sens où nous le définissons plus bas. Le cahier des charges est clair : « Intéresser sans ennuyer, distraire et amuser sans jamais être vulgaire ou complaisant. Informer. Accueillir le débat, l’organiser ». Nous relèverons les cas particuliers de France 2 dont la programmation « joue un rôle majeur en matière d’information » et de France 3 qui « amplifie ses efforts sur l’information régionale, le magazine, le documentaire et la fiction originale » 38 . La convention qui le lie le CSA avec TF1 prévoit, elle, que la chaîne doit proposer « une programmation généraliste diversifiée qui s’adresse à l’ensemble du public. Une place importante est accordée à l’information, à la création audiovisuelle et cinématographique française, aux émissions pour la jeunesse, aux divertissement et aux sports les plus populaires ». Celle de M6 prévoit que « la société propose une programmation généraliste à destination de l’ensemble du public et notamment des jeunes et des jeunes adultes. En particulier, elle continue d’offrir des magazines et des fictions qui fédèrent parents et enfants. Elle s’efforce de diversifier son offre de programmes aux heures de forte audience ». En somme, nous constatons que parmi les chaînes hertziennes historiques, M6 n’a pas les mêmes contraintes en matière de diffusion de l’information. 

Enjeux concurrentiels exacerbés : la course à l’audimat 

Au début de l’année pré-électorale, les principales chaînes généralistes n’ont donc pas les mêmes obligations en matière de production de l’information et doivent faire face à une montée en puissance des chaînes gratuites de la TNT39. Le resserrement des audiences et son impact sur le marché publicitaire imposent aux médias privés de trouver une programmation qui mobilise plus 17 de téléspectateurs. Nous constatons pour l’année 2015 que « la programmation de TF1 était portée par la fiction audiovisuelle (…) Bien que l’offre d’information proposée par la chaîne soit importante et conforme à son obligation conventionnelle quantifiée, TF1 n’a pas respecté son obligation de diffuser régulièrement un magazine d’information politique à des heures de grande écoute . Nous en concluons que la production d’information politique pose vraisemblablement un problème de rentabilité à la première chaîne contrairement à M6 qui n’a que peu d’obligation en la matière et dont la programmation « est dominée par la fiction audiovisuelle et les divertissements, représentant ensemble 63,5% des programmes de la chaîne (…) ». Nicolas de Tavernost, président du Directoire du Groupe M6, relève dans le Document de Référence 2015 du Groupe M6 que, dans un environnement de plus en plus fragmenté, les chaînes du groupe progressent et les recettes publicitaires également : « Consacrée chaîne préférée des français, M6 maintient son rang de 2ème chaîne nationale auprès des moins de 50 ans (…) ». Frédéric de Vincelles, directeur général des programmes de M6 renchéri en déclarant sur Europe 1 que « la télévision a subi une révolution avec le passage à 25 chaînes gratuites. Dans cet univers, la seule chaîne qui progresse c’est M6 ». Nous estimons que si les chaînes du groupe France Télévisions ne sont pas soumises aux mêmes contraintes du marché publicitaire, la question de l’audience revêt pourtant une importance particulière dans la sphère politique en tant qu’elle semble être assimilée à un instrument de mesure de popularité. 

Des émissions politiques à bout de souffle

L’audience des émissions politiques proposées par les grands groupes de médias atteste d’un certain désintérêt de la part du public. Nous faisons ce constat sur la base de la programmation de TF1 qui cantonne la politique au journaux télévisés et n’inscrit une émission politique dans sa grille de programme qu’à l’approche des élections présidentielles. C’est le cas avec Parole directe qui a été créée un an avant les élections présidentielles de 2012 et qui a disparu aussitôt celles-ci terminées. Les audiences importantes (entre 6,1 et 5,1 millions de téléspectateurs) n’ont pas eu d’influence sur la survie du programme. Quatre ans plus tard, en juin 2016, la chaîne relance une émission politique à part entière, Vie politique qui, elle, ne perdurera même pas jusqu’au terme de la présidentielle de 2017 puisque le dernier numéro a été diffusé le 11 décembre 2016 p.24 18 décembre 2016 soit plus de 4 mois avant le second tour. Durant sa diffusion, l’audience s’établira entre 1,5 et 2,5 millions de téléspectateurs. Du côté du groupe public, les programmes emblématiques de l’information politiques sont Des paroles et des actes et L’émission politique. Ils vont connaître des baisses d’audience régulières. De pics allant jusqu’à 6,2 millions de téléspectateurs au cours des élections présidentielles de 2012, l’audience va chuter jusqu’à 1,8 millions de téléspectateurs fin 2016 (et jusqu’à 1,4 million en mars 2018)41 . Notre interprétation de la déclaration de Laurence Ferrari42, nous fait dire que la politique dans le secteur concurrentiel est assimilable à un show dont le succès se mesure par l’audience. Nous avons relevé qu’en dehors des élections présidentielles, du journal et des grands rendez-vous électoraux, TF1 ne propose plus d’émission politique régulière. Face à une représentation politique qui s’épuise dans des formats traditionnels, les chaînes vont tenter de renouveler l’information politique en laissant une plus grande place au spectaculaire.

Table des matières

INTRODUCTION
1. Une ambition intime et Karine Le Marchand incarnent une nouvelle rupture dans la représentation politique à la télévision
1.1 L’information politique à la recherche de l’audience
1.1.1 Les spécificités de l’information à la télévision
1.1.2 Des contraintes de diffusion spécifiques à chaque média
1.1.3 Enjeux concurrentiels exacerbés : la course à l’audimat
1.1.4. Des émissions politiques à bout de souffle
1.2 Renouvellement de la mise en scène de l’information politique
1.2.1 Nouveau format pour l’émission politique traditionnelle
1.2.2 La spectacularisation de l’information politique 19
1.2.3 Vers une disparition de la figure du journaliste politique
1.3 Les éthos du média et de l’animatrice accentuent la défiance du corps politico-médiatique
1.3.1 M6, la chaîne de la téléréalité
1.3.2 Karine Le marchand, l’animatrice « qui n’y connaît rien en politique »
2. La mise en scène de la vie privée des candidats dans l’émission amplifie l’effet de peopolisation du politique
2.1 Approche historique du phénomène de peopolisation
2.1.1 La construction de l’intimité publique
2.1.2 De l’infotainment à la peopolisation
2.2 Le contexte de l’élection présidentielle 2017 propice à la peopolisation
2.2.1 L’effet primaire
2.2.2 Une recomposition du paysage politique en marche
2.2.3 L’hyperpersonnalisation de la campagne de la campagne électorale
2.3 La mise en œuvre de procédés discursifs à effet peopolisant
2.3.1 Le storytelling, une technique narrative de mise en récit l’intimité
2.3.2 Une scénographie à dessein personnalisante
3. La mise en scène du politique rapproche ce programme des émissions de téléréalité
3.1 L’effet pathémique de la mise en scène discursive
3.1.1 Un dispositif communicationnel prédisposant au surgissement d’effets pathémiques
3.1.2 Un champs thématique à visée pathémisante
3.2 La voix-off : Un procédé narratif caractérisant
3.3 Du talk-show à la téléréalité
3.3.1 Tentative de définition de la « téléréalité »
3.3.2 Vers une nouvelle forme de représentation de la parole politique
4. L’émission participe au re-travail de l’éthos préalable des candidats à travers la mise en scène discursive
4.1 Le discours politique constitué par la mise en récit de l’intime
4.1.1 La stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen
4.1.2 L’effet Fillon
4.1.3 Les cas Sarkozy et Le Maire
4.2 Une mise en récit sans contradiction
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
SOMMAIRE DES ANNEXES

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