Une nouvelle politique alimentaire

Une nouvelle politique alimentaire

Nous l’avons vu réorganiser les Halles, c’est avant tout réorganiser un lieu. Mais il ne faut pas oublier que le marché des Halles s’inscrit dans un système de distribution alimentaire. Le plus important marché de France, tant en valeur qu’en quantité de produits, est une référence pour la formation des prix au niveau national. Le prix des Halles est le prix national. Les très nombreux problèmes du marché faussent les cours sur l’ensemble de l’hexagone. De plus, l’information circule difficilement entre Paris et la province et même à l’intérieur du marché. C’est pour ces raisons que les Halles doivent être réformées aussi d’un point de vue administratif. En réalité, le changement qui va affecter le marché parisien va s’inscrire dans une réforme plus large, une réforme d’envergure nationale. L’acte fondateur de la nouvelle politique de distribution alimentaire en France, c’est le décret n° 53-959 du 30 septembre 1953 tendant à l’organisation d’un réseau de Marchés rémunéré. Si le problème touche les deux extrémités de la chaîne, c’est que le problème doit venir des corps intermédiaires par lesquels passent les produits. Dans un document daté du mois de décembre 1960, soit 7 ans après la mise en place du décret 53-959, le ministère de l’Agriculture répond à plusieurs questions écrites envoyées par des journalistes79. Il indique notamment que la réforme de la distribution entreprise par le décret n° 53-959 « […] entend lutter contre le scandale de la distribution […] où la spéculation est venue se greffer sur les difficultés réelles […] de la commercialisation des denrées agricoles ». L’État estime qu’il y a trop d’intermédiaires entre le producteur et l’assiette du consommateur. Un produit change plusieurs fois de mains entre sa récolte et son achat par un particulier.

C’est ce que l’on appelle le circuit de distribution80. Le producteur est à la base de cette chaîne. Son rôle est de produire, de récolter et de vendre sa marchandise. Il s’adresse alors à un grossiste-expéditeur ou à une coopérative de production qui s’occupe de regrouper la marchandise en quantité (allotissement) et en variété (assortiment). Le grossiste-expéditeur s’applique également à conditionner les produits c’est-à- dire à les trier, les calibrer et les emballer. Enfin, il recherche des débouchés pour sa marchandise. Le grossiste peut alors faire appel à un groupeur ou un affréteur dont le but est de regrouper une grande quantité de produits pour obtenir un tarif avantageux de la part du transporteur. Cette fonction échoit soit à la SNCF, pour un transport par train, soit à un camionneur privé pour un transport par la route. Une fois le trajet effectué, le transporteur remet la marchandise à un grossiste-destinataire qui a une double fonction. En premier lieu, il effectue un regroupement de produits qui peuvent arriver de différents destinataires. Puis, il assure la vente auprès des détaillants. C’est notamment la fonction des mandataires et des commissionnaires présents aux Halles. Toutefois, de nombreux détaillants ne peuvent se rendre sur les marchés de gros. Dans ce cas, ils font appel à un demi-grossiste qui réalise les achats à leur place. Par la suite, le demi-grossiste s’occupe de livrer aux détaillants la marchandise achetée sur le marché. Il peut être spécialisé sur un seul type de produit, mais il peut aussi opérer dans plusieurs secteurs d’activités. Le détaillant est l’étape ultime avant le consommateur. Dans cet exemple de circuit de distribution, le nombre d’intermédiaires entre le premier maillon de la chaîne, le producteur, et le dernier, le consommateur, s’élève à 5 ou 6.

Ce qu’il faut comprendre c’est que chaque intermédiaire grève un peu plus le prix final payé par le consommateur. Mais pour que ce prix soit le plus bas possible tout en assurant des marges correctes à chaque intermédiaire, il faut que le prix du producteur soit le plus bas possible. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes de rémunération aux agriculteurs. Au final, le consommateur paie très cher sa nourriture et le producteur ne touche qu’une infime partie de cette somme. C’est pourquoi le Gouvernement « encourage les circuits courts ou les rapprochements qui s’opèrent entre producteurs agricoles organisés et commerçants-détaillants organisés (magasins populaires, succursalistes, magasins coopérateurs, détaillants groupés) ». Outre un raccourcissement des circuits de distribution, les autorités prévoient dans le décret n° 53-959 de moderniser les échanges. Il s’agit d’accompagner le mouvement de concentration des commerces. La France de l’après-guerre est encore largement composée d’une multitude de petits commerçants. Afin de survivre, les commerçants doivent mutualiser leur approvisionnement. Ainsi ils obtiennent des prix de gros qui sont inférieurs au prix qu’ils auraient obtenu individuellement. De plus, de nouvelles formes de distribution font leur apparition. De gigantesques épiceries apparaissent dans les villes. Il s’agit des premiers supermarchés. Ce concept, d’origine américaine, se diffuse un peu partout en Europe après la Seconde Guerre mondiale. En 1963, apparait le premier hypermarché de France. Il s’agit du magasin Carrefour de Sainte-Geneviève-des-Bois. Cette concentration des produits dans un même lieu provoque un bouleversement des circuits traditionnels de distribution. La réforme de la distribution alimentaire devient une véritable doctrine pour les pouvoirs publics. Le commerce en général, et celui de la distribution alimentaire en particulier, doit être le plus efficace possible. C’est-à-dire que les frais intermédiaires doivent être contrôlés afin de les limiter au maximum. Cela permet d’atteindre un prix qui est à la fois le plus faible possible pour le consommateur, mais également le plus rentable pour le producteur.

 

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