Une variété de modalités en réponse à la diversité des besoins des élèves

Dans l’idée de répondre à la diversité des besoins des élèves, une variété de modalités est privilégiée et priorisée selon les époques et les politiques mises en œuvre (Houssaye, 2012). Ces modalités, qui ne sont pas mutuellement exclusives, sont de différents niveaux et impliquent différents acteurs.

De la différenciation structurelle à la différenciation en salle de classe 

Un premier niveau d’intervention dans la gestion pédagogique de la diversité se trouve à être institutionnel et structurel (Houssaye, 2012). Il sert à orienter et répartir les élèves dans des établissements différents (tel que la formation générale/la formation professionnelle, les écoles régulières/les écoles d’adaptation scolaire). Ensuite, un deuxième niveau d’intervention se révèle plutôt organisationnel au sein même des établissements, et s’effectue par le recours au redoublement, par la voie des diverses options et concentrations offertes (filières en France) ainsi que par l’intermédiaire des classes d’adaptation scolaire (Houssaye, 2012). Ces systemes, qui répondent à une logique de répartition, peuvent donner l’impression que les élèves tireront avantage de cette uniformité. Or, des synthèses de recherches mettent en lumière que tant la différenciation structurelle que la différenciation organisationnelle tendent à renforcer les inégalités d’acquis scolaires entre les élèves, contrairement au maintien d’un niveau élevé d’hétérogénéité (peu de redoublement, un tronc commun long, des  établissements peu différenciés) (Dubois-Shaik et Dupriez, 2013; Galand, 2009; Suchaut, 2007).

D’ailleurs, lorsque l’on compare les pays qui tentent de tenir compte de l’hétérogénéité au sein même des classes avec ceux qui différencient largement les parcours, les élèves de cette dernière catégorie sont moins performants que les autres, sans pour autant constituer une élite scolaire importante (Suchaut, 2007, 2008). En outre, même si l’on pouvait penser que réduire l’hétérogénéité d’un groupe d’élèves permet un meilleur ajustement de l’enseignement et des gains d’apprentissage , les recherches ayant examiné les relations entre hétérogénéité et apprentissage scolaire ne vont pas en ce sens (Crahay, 2000; Galand, 2009). Galand (2009) conclut, après l’analyse de plusieurs études, que les niveaux moyens des élèves [fréquentant la classe] ne seraient pas en euxmêmes des déterminants fondamentaux des apprentissages. Ce serait plutôt la mesure dans laquelle les variations d’hétérogénéité ou de niveau moyen s’accompagnent de changements dans les pratiques d’enseignement et la nature de ces changements, qui s’avèreraient déterminants. (p. 9)

Suchaut (2007) abonde dans ce sens et allègue, à la suite d’une analyse des recherches existantes, que l’hétérogénéité ne nuit pas au niveau moyen des élèves. Pour Gather Thurler (2007), ces mesures [de différenciation structurelle et organisationnelle] n’atteindront jamais l’efficacité qu’assure une différenciation systématique et précoce de l’enseignement, intégrée à la pratique pédagogique d’une équipe d’encadrement bien rodée, capable de percevoir les avantages d’une division des tâches différente, mise au service d’une régulation continue des apprentissages. (p. 348)

À cela s’ajoute que les élèves contraints à poursuivre leurs études en parallèle peuvent « éprouver un sentiment d’injustice [ … ] le sentiment d’être jugés, le sentiment de ne pas être à la hauteur, un faible sentiment de compétence» (Prud’homme, Vienneau, Ramel et Rousseau, 2011, p. 14).

Des solutions à la gestion de la diversité des besoins sont donc à chercher, sans y être exclusives, au sein même des classes ordinaires (Suchaut, 2008). Il s’agit là d’un troisième niveau d’intervention, soit le niveau pédagogique. Ce dernier suppose que la question de la « gestion des différences entre les élèves soit prise en compte au sein de la classe elle-même, par un dispositif pédagogique qui est censé répondre à la réalité quotidienne» (Houssaye, 2012, p. 227). En ce sens, la différenciation des pratiques pédagogiques constitue une modalité de « gestion pédagogique des différences» à privilégier, pour reprendre l’expression de Houssaye. C’est à ce niveau de gestion de la diversité des besoins qu’en appellent en grande partie l’inclusion scolaire et une pédagogie inclusive. Cette différenciation a l’avantage de miser sur « l’effet enseignant» et le poids considérable que peuvent avoir les enseignants sur la progression des élèves, notamment par l’entremise de leurs pratiques pédagogiques mais aussi d’attentes élevées pour tous les élèves (Cusset, 2011; Hattie, 2012; Lindsay, 2007). Lorsqu’il est question de ce troisième niveau de différenciation, cette fois-ci en salle de classe, au moins deux voies peuvent être privilégiées, l’une réactive et l’autre proactive.

D’une intervention réactive à une intervention proactive 

Comme démontré dans une étude, lorsque les enseignants planifient, ils ne le font pas en fonction des difficultés éventuelles, mais les difficultés sont constatées dans le feu de l’action, à partir desquelles les enseignants s’ajusteront en cours de route (Araujo-Oliviera, Lisée, Lenoir et Maubant, 2011). Il s’agit là d’une posture réactive. Cependant, dans le cadre d’une synthèse des travaux scientifiques portant sur la différenciation en salle de classe, Tomlinson et ses collaborateurs (2003) mettent en lumière que les tentatives de différenciation des enseignants ont parfois été limitées et inefficaces par leur caractère improvisé ou réactif. Les auteurs ajoutent qu’envisager la différenciation comme une réaction aux besoins manifestés, où l’enseignant prévoit un enseignement pour tous et tente de s’ajuster lorsque certains élèves éprouvent des difficultés, peut être à l’origine du peu d’efficacité de ces interventions, en plus de mobiliser beaucoup d’énergie dans l’action. Effectivement, une étude a mis en lumière que « les décisions prises dans le feu de l’action se résument souvent à réduire la longueur des tâches ou à exiger moins des élèves à qui [l’on a] proposé une activité d’apprentissage qui s’avère trop difficile pour eux» (Paré, 2011, p. 231). Le fait de réagir aux difficultés a aussi le désavantage d’amorcer l’intervention une fois que les difficultés sont déjà manifestes, ce qui perd en efficacité et s’avère plus aidant à court terme qu’à long terme (Legrand, 2009; Suchaut, 2008; Gather Thurler, 2007).

Caron (2008) fait elle aussi la distinction entre la différenciation intuitive, que l’on exerce parfois sans s’en rendre compte à l’aide de son « flair pédagogique», et la différenciation planifiée, qui s’inscrit dans une démarche rigoureuse d’analyse des besoins des élèves. Campbell (2008) ajoute que les enseignants gagneraient à devenir plus conscients de ce qu’ils font et à le faire de manière intentionnelle. Ce qu’il convient de retenir est que ces interventions plus « réactives» et intuitives font partie des interventions à envisager, mais ne constituent qu’une seule voie de possibilités. Effectivement, comme dans différents domaines d’intervention sociale, si une première voie d’orientation corrective consiste à dépister les difficultés et offrir un soutien a posteriori, une deuxième voie d’orientation préventive consiste à mettre en place des conditions permettant de réduire la probabilité de l’apparition des difficultés a priori (Robertson et Collerette, 2005). Pour Tomlinson et al. (2003), une différenciation réellement efficace est le fruit d’efforts constants et cohérents au terme d’une réflexion a priori. La différenciation des pratiques pédagogique est ainsi proactive, alors que l’enseignant prévoit son enseignement, dès le départ, pour répondre aux besoins des élèves (Hume, 2009). Cette idée de répondre à la diversité des besoins a priori implique, selon Kahn (2010), d’anticiper « les difficultés possibles d’élèves dans leur rencontre avec la culture scolaire et avant que celles-ci ne soient avérées» (p. 101).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 SITUATION PROBLÉMATIQUE
1.1 Le phénomène de la diversité
1.2 Une variété de modalités en réponse à la diversité des besoins des élèves
1.2.1 De la différenciation structurelle à la différenciation en salle de classe
1.2.2 D’une intervention réactive à une intervention proactive
1.2.3 La planification de l’enseignement comme levier
1.3 La complexité de l’acte de planifier: entre création et contraintes
1.3.1 Créer à partir de contraintes programmatiques et didactiques
1.3.2 Créer à partir de contraintes temporelles fictives et réelles
1.4 Un acte négligé du point de vue théorique et pratique
1.5 Le problème à l’étude et une question de recherche
CHAPITRE II ASSISES CONCEPTUELLES 
2.1 La planification de l’enseignement
2.1.1 La planification comme activité de la pratique enseignante
2.1.2 Les diverses visées dans l’étude de la planification
2.1.3 Les principales approches de la planification dans les écrits
2.1.4 Une compréhension initiale de la planification de l’enseignement
2.2 La gestion pédagogique de la diversité des besoins
2.2.1 Un concept unificateur dans un contexte conceptuel flou
2.2.2 De multiples regards sur la diversité et sur les besoins
2.2.3 Les principales modalités suggérées dans les écrits
2.2.4 Un essai de synthèse des modalités possibles
2.3 La posture à l’égard du phénomène étudié et les objectifs de recherche
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1 Le positionnement méthodologique
3.1.1 Une recherche collaborative
3.2 Les méthodes de production des données
3.2.1 Une zone interprétative partagée: la communauté d’apprentissage
3.2.2 Des activités réflexives et des techniques de verbalisation
3.2.3 Les acteurs au cœur de l’espace réflexif
3.2.4 Le déroulement du processus de recherche
3.3 Le processus d’analyse des données
3.3.1 Le recours à l’analyse par catégories con cep tualisan tes
3.3.2 Le déroulement des opérations d’analyse
CHAPITRE IV RÉSULTATS ET PROPOSITION THÉORIQUE
4.1 Des variations dans la dynamique de base du processus décisionnel
4.1.1 Une importance relative aux différents impératifs
4.1.2 L’angle d’analyse des besoins des élèves
4.1.3 Une résultante en termes de décisions pédagogiques
4.1.4 Des considérations pragmatiques dans le choix des stratégies
pédagogiques
4.2 Des tensions vécues lors du processus décisionnel
4.2.1 L’exigence de réfléchir et d’analyser
4.2.2 La difficulté d’adopter une approche consciente et rationnelle
4.2.3 La gestion du temps coincée entre collectivité et singularité
4.2.4 Un sentiment de surcharge associé au processus de développement
4.2.5 La contrainte de conserver et d’exposer des traces écrites
4.3 Une illustration: le portrait de trois logiques d’action
4.3.1 Le cas de Lise
4.3.2 Le cas de Diane
4.3.3 Le cas de Chantale
4.3.4 Quelques distinctions entre les logiques d’action
CHAPITRE V DISCUSSION ET PORTÉE DE LA THÉORISATION
5.1 Des constats pour une redéfinition de la planification
5.1.1 Une confusion entre la planification-produit et la planification-processus
5.1.2 Des frontières subtiles entre le raisonnement conscient et l’intuition ..
5.1.3 Un délicat équilibre à trouver entre réflexion préalable et spontanéité
5.2 Des précisions sur l’articulation des pensées planificatrices
5.2.1 L’influence des représentations et de l’épistémologie pratique
5.2.2 La contribution réaffirmée des savoirs didactiques et disciplinaires
5.2.3 L’omniprésence de la question du temps
5.3 La mise en lumière de déterminants contextuels
5.3.1 Les normes et attentes relatives à la planification
5.3.2 La question des ressources pédagogiques
5.3.3 Le temps de travail dont disposent les enseignants
5.4 Des considérations pour la formation à la planification
5.4.1 Former à la complexité de planifier sans la réduire à la planificationproduit
5.4.2 Soutenir la conscientisation et le développement des démarches
planificatrices des enseignants
5.4.3 Soutenir le développement du raisonnement et du savoir-analyser
5.4.4 Accompagner l’identification et la mise au jour des tensions
CONCLUSION

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