Ablation en régime femtoseconde

Ablation en régime femtoseconde

Absorption de l’énergie optique

L’interaction de la lumière avec un solide se fait à travers les excitations élémentaires qui sont optiquement actives. Ces modes de couplage entre la lumière et la matière peuvent être des excitations électroniques (excitations intra ou inter bandes, excitons ou plasmons …) ou bien l’excitation de phonons, de polaritons, etc … La différence de masse entre les électrons et les ions (qui est minimum dans le cas de l’hydrogène me/mp = 1/1836 avec me masse de l’électron et mp la masse du proton) implique que les impulsions laser courtes ou ultra courtes se couplent majoritairement avec le système électronique. Les propriétés du matériau irradié conditionnent largement les modes de couplage de l’énergie électromagnétique incidente avec les électrons. En particulier, la structure atomique et la morphologie de la surface présentent un impact significatif sur les modalités d’absorption. Un matériau solide est représenté par un assemblage de noyaux entourés d’électrons et éventuellement organisés périodiquement pour former un réseau. Parmi les éléments du système électronique, on distinguera les électrons de « cœur » et les électrons de « valence ». Les électrons de cœur sont fortement liés aux noyaux et donc localisés. Leur énergie typique de liaison est très élevée (plusieurs centaines d’eV ) et ils ne sont par conséquent accessibles qu’à des excitations particulièrement énergétiques qui dépassent le cadre de notre étude. Les électrons de valence contribuent aux liaisons du solide et déterminent sa structure atomique et son comportement chimique. Ils peuvent être échangés entre deux ions (noyaux et électrons de cœur) pour former une liaison covalente mais aussi partagés entre les ions du solide (ils sont alors délocalisés). Leur énergie d’excitation correspond à l’énergie des photons de la gamme visible et proche UV typique de notre étude. Par ailleurs, les matériaux considérés ici sont en général initialement sous forme cristalline. On considérera donc dans la suite le solide comme un assemblage périodique d’ions (dont le degré d’ionisation est fixé par le nombre d’électrons de valence partagé par chaque atome) accompagné d’un bain d’électrons délocalisés. La distribution spatiale de ces électrons n’apporte que peu d’information, mais on peut utiliser la représentation de leur énergie en fonction de leur vecteur d’onde (ou de leur quantité de mouvement) qui conduit à définir une « structure en bandes » indiquant les états possibles pour les éléments du système électronique. Ces états (ou niveaux) possibles sont occupés jusqu’au niveau de Fermi (EF ) qui est défini par le dernier état potentiellement occupé à T = 0 K. La première bande abritant un état disponible est nommée bande de conduction alors que la dernière bande totalement occupée est appelée bande de valence. En fonction de la position du niveau de Fermi et de l’écart énergétique entre bandes d’états possibles (bande interdite ou Gap), on aura un matériau de type métallique conducteur (bande de conduction partiellement occupée), un semi-conducteur 6 Chapitre 1 : Ablation en régime femtoseconde (bande de conduction vide avec Gap faible de quelques eV) ou un isolant (bande de conduction vide et large Gap de quelques dizaines d’eV). En général, un matériau isolant est transparent pour un photon d’énergie inférieure à la largeur de la bande interdite (Egap). Néanmoins lorsque le matériau est soumis à une grande densité de photons (laser très intense), un électron de la bande de valence peut être excité jusqu’à la bande de conduction par l’absorption simultanée de plusieurs photons ou « Ionisation Multi Photonique » (MPI) . On obtient alors un électron excité dans la bande de conduction associé au trou qu’il a laissé dans la bande de valence (paire électron-trou). La probabilité d’une telle transition « inter-bandes » par unité de temps est donnée par  : WK = σK  I(t) ~ω K (1.1) avec I(t) l’intensité du faisceau laser de pulsation ω, ~ω l’énergie des photons, K le nombre de photons mis en jeu (tel que K ~ω ≥ Egap) et σK la section efficace généralisée d’absorption de K photons. Les semi-conducteurs, présentant une largeur de bande interdite plus réduite, sont parfois excitables avec un unique photon (c’est le cas du silicium en infra-rouge). Si le nombre de photons absorbés est suffisant, l’énergie acquise par l’électron peut excéder son potentiel d’ionisation. On parle alors de « photo-émission » des électrons . Lorsque le processus d’irradiation est réalisé sous la forme de plusieurs impulsions successives, la dissipation de l’énergie des premières impulsions peut être incomplète et conduire à la formation de défauts dans l’arrangement périodique des ions. Ces défauts permettent l’existence d’états électroniques au sein de la bande interdite et réduisent le nombre K de photons nécessaire à la transition inter-bandes pour les impulsions suivantes. Ce phénomène est désigné par le terme « incubation » [42,44–46]. Lors du processus d’ionisation multiphotonique, une densité d’énergie électromagnétique importante peut conduire à un nombre élevé d’électrons excités dans la bande de conduction dont certains peuvent acquérir une énergie suffisante pour ioniser par collisions d’autres électrons de la bande de valence. Ce mécanisme, nommé « ionisation collisionnelle » ou « avalanche électronique » [42,47,48], conduit à passer d’une configuration avec un électron en haut de la bande de valence et un autre en haut de la bande de conduction à deux électrons au bas de la bande de conduction. L’évolution de la densité d’électrons dans la bande de conduction ne sous l’action de l’ionisation multiphotonique et de l’avalanche électronique peut s’écrire [49] : dne dt = α I(t)ne(t) +X K σK  I(t) ~ω K ns (1.2) Le premier terme correspond à la contribution de l’ionisation collisionnelle avec α le coefficient d’avalanche tandis que le second terme traduit l’effet de l’ionisation photonique et ns la densité atomique du matériau à l’état solide. Un matériau isolant n’est donc transparent pour un 7 Chapitre 1 : Ablation en régime femtoseconde faisceau laser que tant que la densité d’électrons excités dans la bande de conduction n’est pas trop importante. Pour ne ∼ 1017 cm−3 , des effets de focalisation et de défocalisation dus au « plasma » d’électrons de la bande de conduction (ou électrons libres) conduisent à la filamentation du faisceau [39, 42]. Lorsque l’excitation induite porte la densité ne aux environ de 1021 électrons/cm−3 , le matériau devient fortement absorbant pour le faisceau laser et adopte un comportement de type métallique. On parle de « coupure optique ». Pour les matériaux absorbants comme les métaux et les diélectriques fortement ionisés, les électrons libres sont susceptibles d’acquérir de l’énergie par absorption du rayonnement laser. Mais la conservation du moment cinétique impose la présence d’un partenaire de collision qui sera ici l’oscillation acoustique des éléments du réseau ou phonon. En effet, l’électron est considéré comme échangeant un nombre arbitraire de photons avec le champ, mais en l’absence de potentiel extérieur ces échanges sont virtuels, l’impulsion de l’électron ne change pas et il n’y a donc pas d’absorption de l’énergie électromagnétique. On parle d’habillage de l’électron par le champ [50]. Lors d’une collision, l’électron peut émettre (Bremsstrahlung) ou absorber (Bremsstrahlung inverse) un nombre entier de photons. Ce dernier processus est le vecteur principal de l’interaction entre la lumière incidente et le solide absorbant et il conduit à l’absorption de l’énergie électromagnétique qui suit la loi de Beer-Lambert [39, 51] : Iabs = I exp(ne σBI . z) pour z < 0 (1.3) o`u Iabs est l’intensité absorbée en fonction de la profondeur, I l’intensité du faisceau laser incident, σBI la section efficace pour le Bremsstrahlung inverse et z la distance à la surface de la cible suivant la direction normale comme illustré dans la figure 1.1.

Découplage des électrons et du réseau

La compréhension des différents mécanismes conduisant à l’ablation nécessite la comparaison des échelles de temps associées à chaque processus. La thermalisation de l’énergie laser est provoquée par les collisions entre les électrons et les ions du réseau. Le temps caractéristique associé à l’établissement de l’équilibre thermique entre les électrons et le réseau est le temps de couplage électron-phonon τE qui dépend du matériau irradié et de la fluence laser. Dans la majorité des cas nous concernant, le dépôt de l’énergie laser (durée d’impulsion τ ) est plus rapide que la thermalisation de l’énergie (τ < τE) induisant un déséquilibre extrême entre le système électronique et les ions du réseau. La description de la réponse du matériau à l’excitation du laser est couramment réalisée par la définition d’une température pour chaque sous-système (Te pour les électrons et Ti pour le réseau) et l’utilisation d’un « Modèle à Deux Températures », initialement développé par Anisimov et al. en 1974 [52]. Cette démarche est valide dans la mesure o`u l’on considère le laser comme une source de chaleur pour le système électronique (pour certains matériaux comme les isolants à bande interdite très large, les processus d’absorption de l’énergie optique réclament un traitement plus approfondi intégrant en particulier les phénomènes non-thermiques que nous aborderont plus bas). Le modèle à deux températures conduit à écrire une équation de propagation de la chaleur pour chaque sous-sytème :    Ce ∂Te ∂t = ∂ ∂z Ke(Te, Ti) ∂ ∂z Te − γ.(Te − Ti) + S(z, t) Ci ∂Ti ∂t = ∂ ∂z Ki(Ti) ∂ ∂z Ti + γ.(Te − Ti) (1.4) o`u Ce et Ci sont les capacités calorifiques volumiques électronique et ionique, Ke et Ki les conductivités thermiques électronique et ionique, γ le coefficient de couplage entre les électrons et les ions et enfin S(z, t) le terme source de la chaleur représentant l’énergie laser incidente. L’écriture de ces équations s’appuie sur deux hypothèses. D’une part, la largeur de la zone d’interaction entre le laser et le matériau doit être grande devant sa profondeur permettant d’écrire des équations mono-dimensionnelles ne dépendant que de la profondeur z. D’autre part, le chauffage direct des ions par le laser est négligeable devant le chauffage du système électronique 9 Chapitre 1 : Ablation en régime femtoseconde autorisant l’écriture de la seconde équation sans terme source. Dans la cas des impulsions ultra courtes, le déséquilibre entre les électrons et le réseau est important (l’exemple du cuivre est illustré sur la figure 1.2 extraite de [38]) et tend à se résorber lorsque la durée d’impulsion augmente [41]. L’état de déséquilibre entre les électrons et les ions est associé à des conséquences significatives du point de vue de la relaxation de l’énergie et de l’ablation. Par exemple, le dépôt effectif d’énergie se réalise sur une profondeur différente de la longueur de pénétration optique habituelle et on doit prendre en compte la conduction thermique des électrons (en particulier des électrons balistiques [53, 54]). D’autre part, aucune éjection de matière ne se produit pendant la durée de l’impulsion (en régime ultra bref) et l’écrantage plasma ne se produit pas. De même, si le dépôt d’énergie est assez rapide, le matériau ne subit pas d’expansion pendant le chauffage (mécanisme de chauffage isochorique ou à densité constante). La pression devient alors très importante au niveau de la surface et l’on observe la génération d’ondes de choc ainsi que l’expansion adiabatique du matériau lorsque l’irradiation est réalisé sous vide [55,56]. De plus, la thermalisation rapide de l’énergie (∼ 10−12 − 10−11 s) peut induire des taux de chauffage importants par rapport aux vitesses des changements de phase à l’équilibre. De fa¸con générale, lorsque le dépôt d’énergie est rapide devant la capacité de dissipation du matériau, le confinement énergétique conduit la matière dans des états hors-équilibre ouvrant de nouveaux canaux pour la relaxation et l’ablation. 

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