Approche des apports surréalistes

Approche des apports surréalistes

Si Guy Debord se veut totalement innovant, il ne fait aucun doute qu’il tient ses grands principes des surréalistes. Jeune, il n’a jamais voulu reconnaître leur « filiation », c’est seulement plus tard qu’il en viendra à admettre la valeur des surréalistes et en particuliers de Breton, qui tenait cette avant-garde d’une main de maître. Entre les projets en commun, les disputes, les injures, les liens entre ces deux avant-gardes sont nombreux. Toutefois, il est évident qu’alors que les situationnistes (ou les lettristes) représentent une jeune avant-garde qui vient d’éclore, les surréalistes, eux, arrivent sur leur fin. Le temps joue donc largement en défaveur des surréalistes qui, s’ils avaient encore l’entrain de leurs premières années, auraient de quoi rivaliser avec les situationnistes. Mais voilà, Breton n’est plus ce qu’il était et commence déjà à s’institutionnaliser, alors que Debord est tout jeune, tout frais, et ne pense qu’à une seule chose : défier la société. Naitra ainsi entre ces deux hommes qui avaient pourtant tant de points en commun mais qu’une génération sépare, une rivalité sans borne. Pourtant leurs objectifs n’étaient pas si éloignés que cela, tous deux voulaient renouveler l’art. Certains ont même dit de Breton qu’il était le père que Debord n’avait jamais eu. Pourtant, jamais ne transparaitra dans l’œuvre de Debord la recherche d’un père perdu, au contraire même, les enfants perdus n’ont pas de père, et n’aspirent pas à l’être. On en restera donc là quant à l’hypothétique relation père-fils entre ces deux hommes1 .

Une relation particulière

Une relation ambigüe

Il est clair que les surréalistes et les lettristes n’ont jamais fait bon ménage. La seule fois où ils ont essayé de se rencontrer fut un échec, et on peut se demander si ce n’était pas le but recherché par les lettristes qui ne souhaitaient qu’une seule chose : faire apparaître ce qui les séparait des surréalistes. Pour l’occasion du centenaire de la naissance de Rimbaud, les surréalistes et les lettristes organisèrent une action commune de protestation contre l’érection d’une statue officielle de Rimbaud à Charleville. Comme tant d’autres actions communes, celle-ci n’aura pas le temps d’avoir lieu à cause d’une brouille précoce. En effet, les surréalistes ne digèrent ni la publication dans Potlatch 12 de l’étrange autocritique d’André-Frank Conord fraichement exclu du lettrisme, ni le détournement d’une phrase de Lénine dans un projet de déclaration commune rédigé par l’I.L. Les surréalistes verront dans ces deux actes la preuve que les lettristes sont staliniens puisqu’ils excluent les leurs en leur extorquant une autocritique et qu’ils falsifient Lénine, comme les staliniens l’ont si souvent fait. L’accusation perd évidemment tout son sens dès qu’on étudie un peu la définition du terme stalinisme. Ce qui semble surtout agacer les surréalistes est le côté très public des lettristes qui n’hésitent pas à publier les exclusions. Les surréalistes eux préfèrent rester plus discrets sur leurs exclusions, car il y en avait aussi, et respectent Lénine. Compte tenu de leur passé quelque peu scandaleux, on ne peut que sourire au diagnostic du stalinisme que leur inspire immédiatement l’attitude de l’I.L., qui réussit ainsi plutôt bien, dans le dos et au dépens des surréalistes, son positionnement dans les avant-gardes situé dans la radicalité absolue. Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que les surréalistes vont choisir de régler leurs comptes avec les lettristes en diffusant un tract de manière clandestine, confidentielle, apparemment pour éviter que ces derniers puissent en prendre connaissance. Mais les lettristes finissent tout de même par mettre la main dessus et, fidèles à leur principe de rendre public tout conflit, le republient intégralement dans Potlatch, 14 Le 29 novembre, quelques-uns de nos gens, ayant enfin saisi sur la voie publique des signataires du tract que M. André Breton nous avait consacré au début d’octobre, ont pris possession de ce tract. Nous livrons à nos lecteurs le texte intégral du libelle surréaliste dont la principale originalité polémique est d’avoir été diffusée sous le manteau, M. Breton et ses amis s’étant imprudemment engagés à nous empêcher, quoi qu’il arrive, d’en connaitre la teneur : Titre : FAMILIERS DU GRAND TRUC « Pour qu’une action commune puisse être menée, il est nécessaire que les partenaires soient animés des mêmes intentions et que l’un n’ait pas de motif valable de mépriser l’autre. Nous avions été conduits, non sans hésitations, à envisager, d’accord avec l’Internationale (!?) lettriste une entreprise dans le cadre de la célébration du centenaire de Rimbaud1 .[…] 

Rapport à l’art

 La beauté nouvelle sera de situatio . Cette phrase, dite par Debord lorsqu’on lui demande « Quel sens donnez-vous à la poésie ? » semble à la fois détournée de Sartre et de Breton (Dans Nadja, Breton termine son livre par la phrase : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas2 »). Debord annonce, dès 1952 en fait dans le second Bulletin de l’Internationale lettriste, son programme : « La beauté nouvelle, dite de situation, sera provisoire, passagère, elle sera dans la vie même ». Ce programme n’en rappelle-t-il pas un autre ? Lors de la recherche d’un nouveau langage par les surréalistes, ceux-ci ont donné un nouveau sens au terme poésie ; en effet, poésie entre pour eux en relation avec la vie, il comporte aussi des valeurs éthiques. Cette intégration de la poésie dans la vie de tous les jours passe par une communication esthétique, la recherche d’un nouveau langage, « une opération de grande envergure portant sur le langage » (Breton). Mais tout le monde n’est pas réceptif à ce nouveau langage, c’est pourquoi les surréalistes vont s’adresser uniquement aux lecteurs capables d’achever le texte littéraire par une interprétation propre. Les textes créés par les surréalistes se présentent sur deux niveaux. Le premier niveau voit le sens du texte déjà fixé et déterminé par la personnalité de l’auteur qui a produit ces textes. Le deuxième niveau, par contre, donne la possibilité au lecteur de créer un sens au texte qui, sans son intervention, reste obscur. L’inspiration du lecteur peut ainsi être suscitée. Cette inspiration, transmise de l’auteur au lecteur, peut se réaliser de deux manières possibles : soit, en faisant appel à l’imagination passive du lecteur, par la force des images, soit, cette fois-ci en s’appuyant sur l’imagination active du lecteur, par la constitution du sens. Le lecteur a ainsi le même rôle que l’auteur : il peut prendre le texte comme texte stable et fermé ou comme texte ouvert dont il constitue le sens par une intervention créatrice. Le texte reste pour lui une grille relativement vide de signification qu’il faut compléter pour créer un sens. C’est ce travail qui constitue l’aventure du lecteur. Le lecteur des surréalistes doit y mettre du sien s’il veut en profiter. Il n’est pas donné à tout le monde de lire les œuvres des surréalistes (comme il n’est pas donné à tout le monde de lire Debord.) La théorie surréaliste de l’émotion qui, comme la théorie surréaliste de l’inspiration, cherche à agir sur le lecteur, entre en relation avec l’érotisme. L’émotion poétique-sensuelle s’assimile à l’émotion érotique-sexuelle, la poésie à l’amour. Pour Breton, « la poésie se fait dans un lit comme l’amour1 », le plaisir, le désir et la jouissance du lecteur sont un but. La relation entre la littérature et le principe du plaisir fait partie intégrante du surréalisme, mais celle-ci demande une lecture active.

Les promenades 

Après ce choix de s’adresser à un public restreint, un autre thème se retrouve dans les deux avant-gardes : Debord va s’inspirer des fameuses promenades surréalistes dans Paris, qu’il développera pour en faire de la psychogéographie (lui et son avant-garde.) Il est incontestable qu’il y a un certain nombre de points communs entre les expériences de la ville décrites dans Nadja ou Le Paysan de Paris et la façon dont Debord présente la dérive. Le personnage de Nadja décrit par Breton est inaccessible, comme transcendant, détaché des autres hommes qui continuent leurs routines pendant qu’elle dérive inlassablement au grès de ses humeurs dans Paris, sans aucun but. Breton la décrit comme un « esprit de l’air » : J’ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l’air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s’attacher, mais qu’il ne saurait être question de se soumettre .Ce personnage intangible ne peut que nous rappeler les enfants perdus de Saint-Germain-desPrés, ils ne peuvent être arrêtés. Durant tout le livre, nous suivrons Nadja dans ses déambulations, voici comment les décrit Breton : « Emerveillé que je continuais à être par cette manière de se diriger ne se fondant que sur la plus pure intuition et tenant sans cesse du prodige. » Breton nous parle d’un prodige, mais ces promenades aléatoires, Debord les rendra plus systématiques, plus cadrées, plus scientifiques en quelques sorte, ce qui fait qu’elles seront plus accessibles, non pas innées mais entrainées. Voici ce que cela peut donner : L’internationale Situationniste n°2 : Nous avons choisi, comme sujet d’une étude psychogéographique, le quartier des Halles qui, à l’inverse des autres zones ayant fait jusqu’à présent l’objet de certaines descriptions psychogéographiques (Continent Contrescarpe, zone des Missions Étrangères) est extrêmement animé et fort connu, tant de la population parisienne que des étrangers qui ont quelque peu séjourné en France. 

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