Comprendre le développement d’un service public d’eau à Paris

Comprendre le développement d’un service public d’eau à Paris

Notre connaissance de ce développement historique repose sur trois grandes sources d’information : l’observation des infrastructures techniques qui ont successivement été mobilisées pour assurer l’approvisionnement en eau à Paris (aqueducs, canaux, réservoirs, réseaux de canalisations, puits artésiens, usines, fontaines, etc.) ; les archives portant sur ces infrastructures (documents financiers, plans techniques, rapports officiels, contrats, organigrammes des services, etc.) ; et enfin les conséquences de ce développement (volume d’eau distribué et consommé, évolution des épidémies, des modes de vie, des pollutions, des exclusions face à ce service, etc.). De très nombreuses études ont déjà retracé la chronologie du développement historique du service d’eau qui a existé à Paris et ses modalités à diverses époques (CEBRON DE LISLE, 1990a ; BEAUMONT-MAILLET, 1991 ; PEZON, 2000 ; BOCQUET et al., 2008). Pourtant, une question centrale est restée jusqu’à présent peu abordée : pourquoi. Pourquoi ce développement ? Pourquoi sous ces formes là plutôt que d’autres ? Pourquoi à ces instants là précisément plutôt qu’à d’autres ?… Autrement dit : quelles sont les causes de l’apparition et de l’évolution de cette action publique, de ses diverses modalités sociotechniques ? Dans ce chapitre, nous proposons de mener une analyse rétrospective de la construction d’une action collective de service public d’eau à Paris sur le temps long passé. Ce retour d’expérience va nous permettre d’expliquer pourquoi certaines décisions politiques ont été prolongées dans le temps et se sont institutionnalisées sous la forme du service d’eau actuel, tandis que d’autres non.

Pour étudier le développement passé d’un service public d’eau à Paris, le plus simple est de commencer par observer les infrastructures techniques utilisées au cours des siècles pour approvisionner Paris en eau. Ces infrastructures peuvent être étudiées au travers de preuves directes (ex : vestiges d’anciens aqueducs) ou indirectes (ex : archives, conséquences). Retracer la chronologie de ces infrastructures sur le long terme permet plusieurs constats. Tout d’abord, nous observons que la grande majorité des infrastructures actuelles du service d’eau à Paris a moins de deux siècles d’existence, ce qui est très peu comparé aux près de 2000 ans d’histoire de la ville de Paris. Ensuite, nous observons que ces infrastructures techniques sont apparues par « vagues » à peu près successives, ce qui nous amène à caractériser plusieurs régimes de développement : puits et eaux de rivières ; aqueducs romains (Ie au IVe siècle) ; à nouveau puits et eaux de rivières (IVe au XIIe siècle) ; aqueducs locaux (XIIIe à 1860) ; machines hydrauliques (XVIIe au XVIIIe siècle) ; canal de l’Ourcq (1803-1875) ; puits artésiens, grands aqueducs modernes et usines de pompage (1854 à mi XXe siècle) ; usines de traitement et barrages- réservoirs (1924 à ce jour). Enfin, nous observons qu’au XIXe siècle la grande majorité des anciennes infrastructures d’eau ont été soudainement abandonnées et remplacées par de plus modernes, qui a conduit à la démultiplication des moyens d’approvisionner Paris en eau.

leur création, leur configuration, leur maintien et leur évolution sont la conséquence directe de programmes d’action publique (policies), donc de la volonté par l’autorité publique de participer et/ou de réguler l’approvisionnement en eau à Paris ; une causalité de type policies artefacts. Ces politiques publiques de service d’eau ont elles-mêmes une origine : elles résultent de la compétition au sein de la société entre divers groupes d’intérêts pour le pouvoir politique (politics). L’action comme l’inaction publique observée au cours des siècles à Paris au sujet du service d’eau matérialise donc que diverses coalitions d’acteurs ont été temporairement capables d’orienter des choix collectifs au sujet de l’approvisionnement en eau à Paris ; de déterminer ce qu’est –ou n’est pas– le service d’eau à Paris : ses objectifs, modes d’organisation et de gestion, ressources et territoires, techniques utilisées, normes… soit une causalité de type politics policies artefacts. C’est pour cette raison que nous allons historiquement observer une forte corrélation positive entre la puissance du pouvoir politique en place à Paris, et la puissance du système sociotechnique développé pour y assurer un service d’eau (cf. infra: S2). Car comme nous allons le voir, développer de grandes infrastructures d’eau implique des acteurs qui soient assez puissants pour mobiliser des moyens suffisants (ressources hydrologiques, matérielles, techniques, financières, humaines, juridiques, politiques, etc.), et pour les mettre en œuvre dans ce but spécifique.Retracer la chronologie des rapports de force politique (politics), de l’histoire des programmes d’action publique (policies) ou des infrastructures techniques construites (artefacts), ne suffit cependant pas. Pour comprendre pourquoi ce développement historique a eu lieu, pourquoi à ces instants là et sous ces formes spécifiques, il va nous falloir dépasser ce simple constat descriptif, pour étudier quelles sont les dynamiques qui animent les évolutions observées.

 

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