Cours macroéconomie financière croissance et cycles

Extrait du cours macroéconomie financière croissance et cycles

Introduction / Le terrain fertile des innovations financières
La libération financière améliore l’allocation des ressources dans l’économie, ce qui est bon pour la croissance et le bien-être. Donc la libération financière n’a que des vertus. Elle est à l’avant­ garde de l’ère nouvelle de l’information et de la communication globales.
Ce slogan de la vulgate économique a été diffusé par les médias avec la répétition lancinante d’un tube. Il a été repris avec suffi­sance par des brochettes de ministres et de hauts fonctionnaires, fort contents de la manière dont ils ont démantelé les réglemen­tations qui avaient reconstruit la finance après le naufrage des années 1930. Pourtant la croissance a faibli de décennie en décennie depuis les années 1960 dans les pays développés, jusqu’à son accélération temporaire aux États-Unis dans la dernière décennie du xx’ siècle. La finance de marché a pris un essor stupé­fiant et a bouleversé les comportements financiers des agents économiques. L’engouement des individus pour les actions et leur recours à l’endettement n’ont fait que s’amplifier d’une décennie à l’autre, en dépit de coups d’arrêt temporaires, rythmés par les accidents financiers. Ce monde de la finance, plus accessible aux utilisateurs et plus sophistiqué pour les professionnels, a été marqué par toutes sortes de distorsions : penchant persistant à sous-évaluer les risques, corruption et fraudes à grande échelle, conflits d’intérêts, mansuétude des autorités publiques. Loin de se conformer à l’idéal d’efficacité et de transparence auquel elle prétend, la libéralisation financière a montré d’une crise à l’autre son incapacité à s’autoréguler. Pourtant les innovations finan­cières ont énormément accru la capacité à drainer de l’épargne, à faire circuler des capitaux dans le monde entier, à stimuler l’esprit d’entreprise, à disséminer les risques. Les raisons de ce double aspect de la finance, aiguillon d’initiative et facteur d’insta­bilité, seront mises en évidence dans ce livre.
Si la pratique de la finance s’écarte de l’idéologie microécono­mique de l’efficience des marchés, les relations entre les systèmes financiers et la macroéconomie sont des défis encore plus aigus; d’où le titre donné à ce livre. Le retour des cycles financiers capables d’affecter toute l’économie est un enseignement majeur de ces trente dernières années. Les effets de l’endettement sur le profil des cycles doivent être bien compris pour conduire des poli­tiques économiques visant à amortir les cycles et à éviter les crises.
Le premier tome de ce livre traite des liens entre la libéralisa­tion financière, les changements de comportements financiers, la croissance et les cycles. Le premier chapitre s’occupe des liens entre finance et croissance à travers les comportements des agents non financiers, entreprises et ménages. Les deuxième et troi­sième chapitres s’intéressent aux rapports entre la finance et l’économie réelle à partir de l’analyse du fonctionnement des marchés financiers et du comportement des banques. Enfin, le quatrième chapitre étudie l’incidence des structures financières sur les cycles économiques.
1 / Finance et croissance
Dans les années 1980, la libéralisation financière est sortie du monde anglo-saxon. On n’attendait pas seulement de la libérali­sation financière de meilleurs services pour ses utilisateurs. On pensait qu’une meilleure liaison macroéconomique allait s’établir entre la finance et l’économie. Elle devait passer par une plus grande efficacité des marchés de capitaux pour faire les ajuste­ments entre les intentions d’épargne et les besoins d’investissement.
L’épargne pouvait être encouragée par une plus grande gamme de choix de placements et par des protections contre les risques mieux adaptées aux besoins de chacun. L’investissement devait être favorisé par une plus grande diversité des méthodes de finan­cement et une évaluation plus concurrentielle des rendements exigés des entreprises par la communauté financière.
Les événements n’ont pas comblé les espoirs. Dans tous les pays, l’épargne nationale et l’investissement national ont fléchi (tableau I) par rapport aux niveaux antérieurs à 1980. Particuliè­rement marqué a été le fléchissement de l’épargne dans les pays anglo-saxons, surtout à partir de 2000. Aux États-Unis notam­ment, l’investissement national l’emporte sur l’épargne natio­nale depuis plus de vingt ans, signalant que la croissance est systématiquement financée par l’étranger. En Allemagne et en France, l’épargne et l’investissement ont conjointement fléchi après 1980. La grande augmentation des taux d’intérêt réels dans les années 1980 a été un facteur important de la décélération de la croissance en France et surtout en Allemagne (tableau Il). À partir du milieu des années 1990, il s’est produit un clivage. La crois­sance est devenue nettement plus élevée dans les pays anglo­saxons que dans les autres pays.
Toutefois, dans une perspective longue, ce sont les taux de croissance des années 1960 qui ont été particulièrement élevés
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dans la hiérarchie de la croissance par rapport à l’époque 1960-1973 du développement de la consommation de masse.
Pour expliquer l’inversion des performances entre les pays déve­loppés et y situer le rôle de la finance, il faut un cadre théorique adéquat. Ce cadre est fourni par la théorie de la croissance endo­gène [Pagano, 1993]. Cette théorie fait du progrès technique un facteur spécial qui est le moteur de la croissance. La particularité du progrès technique vient de l’activité qui le produit: la connais­sance scientifique et technique [Aghion et Howitt, 2000]. Elle nourrit l’innovation selon un modèle schumpétérien : création de nouvelles lignes de produit par des investissements de capacité; destruction des processus de production antérieurs par des inves­tissements de procédé qui améliorent la qualité des produits et remplacent les techniques existantes [Villemeur, 2003]. Les diffé­renciations entre les pays développés au sein du régime de crois­sance stimulé par les TIC viennent principalement de trois caractéristiques: l’intensité de l’effort de l’innovation, la compo­sition de l’investissement entre les deux catégories, la régulation de l’équilibre épargne/investissement et la gouvernance des entre­ prises. La finance agit sur l’innovation par incitation à rechercher une haute rentabilité, sur la composition des investissements par le niveau du coût du capital, sur la régulation et la gouvernance par l’essor des marchés financiers.
L’innovation fondée sur les TIC est générique parce qu’elle développe une société d’information dont l’infrastructure est l’économie des réseaux. Or les réseaux de la « nouvelle économie », tout en multipliant les interdépendances des marchés et leur donnant une extension mondiale, fonctionnent d’une manière très éloignée de la concurrence parfaite [Curien et Muet, 2003]_ Car les biens d’information sont, comme les idées qui les produisent, des biens publics. Leur consommation par chacun n’est pas diminuée par la consommation des autres. Ce sont des biens à externalités de demande : leur utilité pour chacun est renforcée par l’utilité des autres qui interagissent sur les mêmes réseaux. Ce sont des biens qui sont produits à rendements crois­ sants : ils ont de forts coûts fixes et de faibles coûts marginaux. Ce sont des biens virtuels complexes (biens d’expérience, biens adap­tables au profil de chaque consommateur) dont le prix est notoi­rement insuffisant pour évaluer la qualité.
Il s’ensuit que le dynamisme de la connaissance produit une croissance auto-entretenue parce qu’elle s’investit dans une économie de réseaux dont les rendements ne décroissent pas avec l’accumulation des connaissances [Romer, 1986]. Mais les caracté­ristiques de cette dynamique de rendements croissants du côté de l’offre et d’externalités du côté de la demande provoquent des boucles autorenforçantes qui ne peuvent être maîtrisées que par des médiations imbriquant étroitement le public et le privé. La vague spéculative des dernières années du siècle précédent, pous­sant les entreprises de la « nouvelle économie» à un énorme surinvestissement, puis l’effondrement des marchés financiers révélant des faillites frauduleuses massives dans de nombreuses entreprises mondiales, a révélé les dysfonctionnements de la régu­lation par la finance.
Telle est la ligne directrice que nous allons exploiter dans la première partie de ce livre. Le lien entre la croissance et le système financier passe par le financement de la production des innova­tions techniques. Or, l’organisation du financement du progrès technique se heurte à des difficultés considérables. La produc­tion des innovations est par essence incertaine. Les agents privés qui sont susceptibles de la prendre en charge peuvent être réti­cents parce qu’ils anticipent mal les rendements des investisse­ments nécessaires. Ils peuvent être excessivement prudents parce qu’ils craignent que les bénéfices de leurs efforts leur échappent, à cause des externalités liées au progrès technique. La croissance peut donc pâtir d’un manque de capacités de financement dési­reuses de prendre le pari de l’innovation.
Dans les années 1980, une énorme expansion financière a été concomitante d’un ralentissement durable de la croissance tendancielle dans les pays développés. Car le coût du capital très élevé, induit par la forte augmentation des taux d’intérêt réels (tableau 1), a incité les entreprises à des restructurations intenses dans tous les pays développés. Les investissements de procédé ont incorporé les nouvelles technologies dans les secteurs les plus frappés par l’augmentation des coûts du capital. L’accroissement de la rentabilité par destruction et remplacement des anciennes techniques industrielles mécanisées l’a largement emporté sur la création des nouvelles capadtés de production.
Au milieu des années 1990, c’est l’éclosion des biens et services informationnels de consommation qui a connu une croissance rapide aux États-Unis. Le rattrapage du niveau de vie américain par l’Europe et le Japon s’est inversé pour la première fois depuis le milieu des années 1950. Il faut essayer de comprendre comment la finance a contribué à cette différenciation à rebours dans la croissance. Dans la suite de ce chapitre, on étudiera les comporte­ments des ménages et des entreprises sous l’angle des facteurs qui favorisent ou défavorisent l’orientation de l’épargne vers le financement de l’innovation. On mettra en évidence les comportements patrimoniaux des ménages à la recherche de rendements finanders dans les marchés de capitaux. Puis on montrera l’influence prépondérante des actionnaires dans la gouvernance des entreprises indtant à la maximisation de la valeur boursière.

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