CULTURE ET POLITIQUE DANS LE BRÉSIL DES ANNEES 1954-1964

CULTURE ET POLITIQUE DANS LE BRÉSIL DES ANNEES 1954-1964

LE MOUVEMENT DES CINE-CLUBS ET LES CINEMATHEQUES

Tout au long des années 1950, on voit monter un bouillonnement autour du cinéma au Brésil. Si dans les années 1940, le circuit de salles de cinéma commerciales est en expansion, lié à l’industrie cinématographique nord-américaine et ses activités d’exploitation du marché en Amérique Latine, parallèlement, à partir de la deuxième moitié de la décennie, après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, les ciné-clubs commencent à se développer dans le pays. En 1946, le Club de Cinéma de São Paulo, créé auparavant par Paulo Emílio Salles Gomes et d’autres cinéphiles mais fermé pendant la dictature de Getúlio Vargas26, est alors réouvert, atteignant une grande notoriété culturelle dans la ville. En 1946, également à Rio de Janeiro est créé le Club de Cinéma de la Faculté Nationale de Philosophie, organisé par Plínio Sussekind Rocha, personnalité fondatrice pour le mouvement ciné-club brésilien27. À Rio, en 1949, est créé le Cercle d’Études Cinématographiques, qui organisait des séances de cinéma et mettait également à la disposition du public des publications sur le cinéma, en différentes langues, difficiles d’accès à l’époque. En 1948, surgissent simultanément des ciné-clubs à Porto Alegre, à Santos, à Fortaleza ; en 1950 celui de Salvador28, avec Walter da Silveira. Ces initiatives continuent de se multiplier par la suite. On verra des ciné-clubs crées par les étudiants dans les universités, comme aussi le surgissement des quelques Fédérations de Ciné-clubs dans des villes. Cette période voit la création des cinémathèques à Rio de Janeiro et à São Paulo. En 1949, le Club de Cinéma de São Paulo rejoint le Musée d’Art Moderne pour se transformer en Filmothèque qui deviendra plus tard la Cinémathèque Brésilienne. En 1955, un département de cinéma est créé dans le Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro. En 1956, encore à Rio, est créé le Centre de Culture Cinématographique qui va rejoindre plus tard le Musée d’Art Moderne de Rio pour contribuer à la création de la Cinémathèque du Musée, officialisée en 1958. L’auditorium de l’Association Brésilienne de la Presse (ABI) va accueillir les premières séances de cinéma du Musée d’Art Moderne, comme il accueillait déjà d’autres séances cinématographiques organisées par d’autres institutions, comme celles du Cercle d’Études Cinématographiques, celles du Musée de l’Art Cinématographique et d’autres. Tout cela va offrir au public brésilien (même si c’est pour un public spécifique et limité) l’accès à une diversité de la production cinématographique qu’on n’aurait pas pu trouver dans les circuits des salles commerciales. C’est pourquoi le Ier Festival International de Cinéma organisé en 1954 par la Filmothèque de São Paulo est devenu très célèbre, avec Paulo Emílio Salles Gomes en tête, en tant que directeur de l’archive, et les soutiens de la FIAF, de la Cinémathèque Française, des archives de films nord-américaines et anglaises, et encore des cinémathèques italienne, suédoise, portugaise, belge, suisse, néerlandaise et tchèque, en fournissant une programmation exceptionnelle tant par sa quantité que sa qualité, avec des panoramas de la production de plusieurs pays européens et des Amériques du Nord et Latine. Ce festival a eu un public très assidu et nombreux, et par ailleurs a été l’occasion d’acquérir des copies des films pour les archives de la Filmothèque. L’événement a donné lieu à de débats et à plusieurs conférences, et parmi les conférenciers, il y eut par exemple le critique André Bazin, les responsables des cinémathèques françaises et anglaises Henri Langlois, Ernest Lindgren, premier conservateur du Musée Britannique du film, et Gianni Comencini, créateur de la Cinémathèque de Milan.

Les jeunes cinéphiles, critiques et futurs cinéastes

 Les jeunes « cinémanovistes » se forment dans ce contexte. Leurs parcours témoignent de cette effervescence. « En 1954, quand j’ai vu Paulo Emílio [Salles Gomes] présenter Stroheim, j’ai passé toute une nuit sans dormir, j’ai ressenti quelque chose d’étrange, et j’ai vu que je voulais faire du cinéma » 30, raconte Paulo César Saraceni, à propos du premier Festival de Cinéma à São Paulo. Ces jeunes passent du plaisir d’aller au cinéma pendant l’enfance à la fréquentation systématique des ciné-clubs, à l’expérience d’assister aux cycles et festivals organisés par les cinémathèques, prolongés par des débats enflammés dans les bars à la sortie des séances de cinéma. Les amitiés surgissent ainsi autour de la passion par le cinéma qui les rassemble. Carlos Diegues se souvient que les festivals de la Cinémathèque à Rio de Janeiro, déjà au début de ses études de Droit à l’université, le déviait de son chemin : « Je ne voulais suivre aucun cours, je voulais faire du cinéma, je ne pensais qu’au cinéma. Je fréquentais les festivals du Musée de l’Art Moderne, d’abord celui du cinéma américain, puis français, puis italien, puis russe (…) Je voyais tout, rigoureusement tout » 31 . Leon Hirszman évoque également l’importance des cycles et de ces festivals organisés par la Cinémathèque du Musée d’Art Moderne (MAM) de Rio, le rôle qu’a joué dans sa formation les séances organisés par le Musée de l’Art Cinématographique à l’ABI à Rio, où il a rencontré un très grand nombre de cinéphiles, parmi lesquels ses futurs collègues du Cinema novo. Il souligne l’importance des discussions proposées par Plínio Sussekind Rocha au ciné-club de la Faculté Nationale de Philosophie de Rio et le rôle que ces discussions ont joué à l’époque dans ses propres lectures des théories du cinéma : « Ma préoccupation était d’essayer de comprendre les discussions stimulées par Plínio Sussekind Rocha, qui a été une personne très importante pour nous tous, qui nous a illuminé aussi par sa pensée aigue, critique, radicale par rapport aux questions sur le cinéma. Très important pour nous tous. D’une certaine manière, c’est devenu la discussion philosophique sur le problème de l’essence, l’essence du cinéma, de la spécificité cinématographique » 32 . Joaquim Pedro de Andrade raconte la trajectoire du groupe à partir du ciné-club de la Faculté Nationale de Philosophie, et que lui-même avec Leon Hirszman, Paulo César Saraceni, Marcos Farias, Miguel Borges et d’autres collègues réactivaient : « Au départ on ne faisait que montrer des films, puis nous avons commencé à publier un bulletin informatif et critique, et finalement, nous avons commencé à faire de films en format 16mm » 33 . Paulo César Saraceni évoque également le début du mouvement avec leurs premières expériences en format de pellicule 16mm, organisées aux réunions chez Joaquim Pedro de Andrade : « [à la Cinémathèque du Musée de l’Art Moderne à Rio de Janeiro] j’ai vu tout le festival de cinéma américain et le festival de cinéma français. J’étais un spectateur très attentif. Nous débattions beaucoup. C’est là qu’a commencé le Cinema novo, et chez Joaquim Pedro [de Andrade], en 1957 ou 1958, nous nous réunissions pour faire des films en 16 mm » . À Salvador, dont l’effervescence culturelle des années 1950 et 1960 est proverbiale dans l’histoire artistique du Brésil, la culture cinématographique se développait également, et il y avait le Club de Cinéma de Bahia, organisé par Walter da Silveira, où toute une génération Bahia a été formée. Glauber Rocha a fait partie de cette génération, comme Orlando Senna également. Da Silveira, lui-même critique de cinéma, encourageait les adhérents du club à écrire dans les journaux, comme le rappelle Senna, qui souligne les activités de Rocha – et également les siennes comme critique : « Ma liaison initiale avec le cinéma, même si j’ai réalisé quelques documentaires de courts-métrages à Bahia, s’est faite beaucoup plus par la critique » 35 . Paulo Emílio Salles Gomes note alors une croissance très nette de la critique cinématographique dans le pays, engendrée par les ciné-clubs : « De plus en plus, partout au Brésil, les personnes invitées à exercer la critique cinématographique sont des jeunes possédés par la passion du cinéma et formés dans l’action militante des ciné-clubs »36 . Les ciné-clubs ont été des espaces de formation, où les jeunes passaient de public des films et des débats au statut d’animateurs des séances, puis à la critique et à la réalisation, comme ce fut le cas de cinéastes du Cinema novo.

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