De la dissémination à l’identité numérique des CDI

Lorsqu’en 1989, la présence des CDI (centre de documentation et d’information) devient obligatoire dans chaque établissement scolaire français, la vague Internet n’a pas encore déferlé dans la société civile. Ces lieux, gérés par les professeursdocumentalistes titulaires du CAPES documentation (certificat d’aptitude au professorat et à l’enseignement du second degré, créé dans cette spécialité en 1989), demeurent jusqu’alors des espaces où est conservée sous forme essentiellement d’ouvrages imprimés la documentation nécessaire et/ou relative à l’activité scolaire. L’avènement d’Internet, permettant l’interconnexion des ordinateurs en réseau et facilitant ainsi le transfert des informations entre machines, modifie la perception du fonds par les élèves d’une part et par les professeurs-documentalistes de l’autre. Tandis que les premiers voient dans cette nouvelle technologie un moyen plus facile et rapide d’accès à l’information que le support papier qu’ils tendent à délaisser ; les seconds en perçoivent la dualité : à la fois ersatz dont la qualité des informations véhiculées n’est pas assurée contrairement aux ressources imprimées par une sélection d’expert en amont – celle du professeur-documentaliste –, et moyen supplémentaire de promouvoir le fonds – ou du moins de communiquer sur ce qu’il contient. Ainsi, à partir de 2000, BCDI-Web, prolongement du logiciel de gestion de bibliothèque BCDI , permet d’accéder en ligne au catalogue du CDI : la base de données recensant l’ensemble des documents du fonds est consultable en temps réel depuis n’importe quel ordinateur, interne ou externe à l’établissement scolaire . En 2010, E-sidoc complète BCDI-Web. En plus de la consultation à distance, cette interface permet de mettre en avant le CDI dans son ensemble, collection, activités, personnel et usagers compris. Entre temps, certains professeurs-documentalistes se sont appropriés les outils généralistes du Web pour un usage professionnel. On trouve ainsi des sites, des blogs, des profils Facebook ou Netvibes dédiés aux CDI. Ces univers virtuels sont bien souvent plus qu’une simple transposition numérique de l’espace documentaire réel. Ils proposent une approche différente de l’information et/ou des services supplémentaires. Cette démarche consistant à multiplier les modes d’accès aux ressources du CDI est appelée dissémination. Elle est révélatrice de l’évolution des CDI depuis les années 1990, calquée sur celle des bibliothèques publiques.

On peut alors se demander quels sont les enjeux de la dissémination numérique des CDI ? Quels en sont les modes de présence sur le Web ? Quels critères influencent ces derniers ? Quels outils sont utilisés et pour quels impacts ? Comment s’intègrent-ils dans la politique documentaire ? Quelles sont les préconisations officielles ? Et enfin de quoi est-ce l’aboutissement ?

Il me semble que la dissémination des CDI est la conséquence de la logique de marketing documentaire centré usager née dans les bibliothèques publiques et adaptée du monde de l’entreprise, ainsi que de l’hybridation des ressources qui nécessite de repenser la médiation à partir de nouveaux outils. Les modalités de mise en œuvre de cette dissémination diffèrent selon des critères d’une part propres à l’établissement, et d’autre part propres au personnel en poste dans les CDI considérés. De plus, l’actuelle tendance à l’uniformisation des outils pourrait renforcer la visibilité des CDI et donc permettrait à terme de passer d’une présence disséminée à une véritable identité numérique reconnue par l’ensemble des communautés d’usagers. Telle une image de marque  numérique, cette reconnaissance serait l’aboutissement de la démarche marketing calquée sur l’entreprise.

La vérification de ces hypothèses s’est faite en deux étapes. La première, à partir des travaux de recherche antérieurs, a été marquée par le fait que l’historiographie sur le sujet est assez limitée. Comme le fait remarquer Silvère Mercier « les enjeux de l’identité numérique des individus sont de mieux en mieux compris, analysés et outillés […]. Pourtant il me semble que le sujet n’est jamais abordé sous l’angle de l’institution ». Dès lors, la bibliographie articulée autour de l’évolution des logiques de fonctionnement des bibliothèques et des CDI d’une part et des portails documentaires d’autre part se caractérise par la prédominance de publications récentes – 70% des documents de la bibliographie ont moins de cinq ans – et par une faible diversité des supports. Les articles issus de revues professionnelles sur le monde de la documentation en général ou destinées aux professeurs documentalistes en particulier représentent 32% d’entre eux. Ce chiffre atteint 39% si l’on y ajoute les supports de conférence. Cela indique qu’il y a un véritable intérêt de la profession pour le sujet, même si le thème est rarement traité. Les articles de blogs constituent 21% de ma bibliographie. Il s’agit de blogs rédigés à titre personnel par des bibliothécaires considérés comme des références par leurs pairs. La bibliographie comprend enfin des rapports institutionnels (25%), majoritairement issus de l’administration scolaire. Outre la rareté des informations sur le thème de l’identité numérique des bibliothèques (et plus précisément des CDI), la conséquence principale du nombre limité de sources et de leur caractère récent est un certain manque de recul qu’il est nécessaire de garder à l’esprit lors de la lecture des interprétations proposées.

La deuxième étape a consisté à mener une enquête électronique auprès des professeurs-documentalistes membres de deux listes de diffusion professionnelles : Edoc et Cdidoc. Le questionnaire s’adressait « aux responsables des CDI des établissements scolaires du second degré, qu’ils aient ou non un espace virtuel dédié au CDI » (Annexe). Deux cent soixante-deux réponses représentant autant d’établissements scolaires ont été récoltées pour près de sept mille mails envoyés. On estime cependant que plusieurs professeurs-documentalistes étant inscrits aux deux listes16, le nombre véritable de professeurs ayant reçu le questionnaire est donc inférieur au nombre de mails envoyés. De plus sachant que dans 40% des établissements sondés le CDI accueille deux personnels et que le nombre total de professeurs-documentalistes sur le territoire national est estimé à douze mille personnes, les trois cent cinquante-quatre professeurs-documentalistes ayant acceptés de répondre ne représentent qu’environ 3% de l’ensemble des professeursdocumentalistes en France. Ce pourcentage relativement faible constitue la principale limite de la représentativité de l’enquête dont les résultats sont donc à interpréter avec précaution.

L’ensemble de ce travail de recherche s’articule autour de quatre parties. La première s’intéresse au contexte d’émergence de la dissémination issu de l’évolution des logiques de fonctionnement des bibliothèques publiques, logiques reprises de manière tardive et au travers de directives officielles par les CDI . La deuxième propose d’évaluer l’influence de certains critères locaux (liés à l’établissement et au personnel) sur la mise en place des espaces virtuels des CDI. La troisième révèle les enjeux pédagogiques et identitaires de tels espaces et en tire une typologie de positionnement.

Table des matières

INTRODUCTION
I. Approche usager et dissémination : de la bibliothèque au CDI
I.1 Bibliothèques et logique marketing
I.2 Les préconisations officielles pour des CDI virtuels
II. Les professeurs-documentalistes, les fers de lance des CDI virtuels
II.1 Une enquête sur les espaces virtuels des CDI
II.2 Critères d’influence liés à l’établissement
II.3 Critères d’influence liés aux professeurs-documentalistes
III. Des positionnements différents en fonction des enjeux
III.1 Enjeux pédagogiques et identitaires de la dissémination
III.2 Typologie des positionnements des espaces virtuels des CDI
IV. E-sidoc : témoin et acteur d’un CDI en transformation
IV.1 Vers un CDI 2.0
IV.2 De la présence disséminée à l’identité numérique
CONCLUSION

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