Des conditions propices au développement

Le passage de « Niau et Schneider » à « Schneider et Cie ».

Gustave Schneider est né le 17 juillet 1896, à Hessingue (Alsace)36. Fils de jardinier, il s’oriente vers le Bâtiment, et est embauché très tôt comme garçon dans une entreprise37. Durant la première guerre mondiale, il est envoyé se battre sur le front russe38. De retour en France, il s’installe à Reims, puis dans le 15e arrondissement de Paris39. Il se met alors à travailler pour l’entreprise ZELL, qui est « l’entreprise de bâtiment la plus importante de France de l’époque »40. Les établissements J. ZELL font notamment de la couverture et de la plomberie41. Gustave Schneider y est plombier-chauffagiste. Il s’installe ensuite à Viry-Châtillon, dans les années 1928-192942. Il a peut-être eu la « volonté d’avoir un pavillon en banlieue »43. Mais il continue de travailler pour l’entreprise ZELL. La seconde guerre mondiale marque une rupture. Il part comme tout le monde à la guerre. A son retour cependant, il ne souhaite pas retourner travailler pour ZELL. Il quitte donc l’entreprise et décide de se mettre à son compte. Il débauche par la même occasion un métreur de ZELL, pour qu’il assure par la suite les devis et les études44. C’est alors qu’il s’associe à André Niau. Les raisons qui ont conduites à cette association ne sont connues ni pour l’un, ni pour l’autre.
Les deux hommes fondent une S.A.R.L., sous la dénomination sociale de « Schneider et Cie », le 1er octobre 194545. La société est établie dans les locaux anciennement loués par André Niau, au 3 rue Pasteur, à Viry-Châtillon. Le bail des lieux se fait au prix de 6 000 francs46. La société doit néanmoins rembourser les loyers d’avance remis aux propriétaires des lieux du fonds d’exploitation, à André Niau. Cela s’explique par le fait que la société devient propriétaire du fonds d’exploitation. Le bail ne peut cependant être cédé à la société qu’en 1946, puisqu’il est conclu par André Niau en 1943 pour une durée de 3 ans47. L’immeuble sis au 3 rue Pasteur n’a de plus, pas subi de sinistres du fait de la guerre48. Il faut ajouter ici que cet emplacement est assez stratégique. En effet, l’entreprise se situe ainsi à la bordure de Juvisy-sur-Orge. La zone industrielle de cette commune groupe alors de nombreux entrepôts et usines de fabrication de matériaux de construction (Drouard, Larmanjat, Ferbéton, Coferacier…)49. La proximité de la gare de Juvisy-sur-Orge, ainsi que celle de l’aéroport d’Orly, peuvent également être des avantages. Cependant, il ne faut pas oublier qu’en 1945, la gare de Juvisy est totalement détruite, ainsi que de nombreux établissements industriels.
L’entreprise Niau et Schneider a pour objet l’exploitation d’un fonds de couverture-plomberie, ainsi que de toutes les opérations qui peuvent faciliter l’extension ou le développement de la société50. André Niau apporte son fonds de commerce. La société Niau et Schneider se situe donc bien dans la continuité du commerce d’André Niau. La société n’est pas créée de toutes pièces. Elle récupère ainsi la clientèle et l’achalandage attachés au fonds d’exploitation. Il en va de même pour le matériel. Une liste du matériel apporté par André Niau peut être dressée : des échelles, des bâches, des perches, des remorques, une brouette, des poulies, des planches, des madriers, des règles, des étaux, des perceuses électriques, des établis, et divers petits outillages51. L’ensemble est estimé à 100 000 francs. Les marchandises s’ajoutent également aux apports réalisés par André Niau.
Cet inventaire montre bien la prédominance des matériaux et marchandises liées aux travaux de couverture et de plomberie. Cependant, on constate que des marchandises concernant le chauffage sont également présentes : un tube de chauffage, un poêle, et des tuyaux de poêle ainsi que des coudes. Cela signifierait donc que l’entreprise Niau et Schneider réalise des travaux de chauffage dès sa création. Les marchandises valent environ 100 000 francs. Il faut aussi noter qu’au lendemain de la guerre, le matériel des entreprises de bâtiment a en grande partie disparu, et que ce qui en reste est souvent hors d’âge et usé53.
Les apports d’André Niau sont donc constitués de 100 000 francs d’éléments matériels et de 100 000 francs de marchandises. Les éléments incorporels ajoutent 50 000 francs54. La somme totale est de 250 000 francs. Les apports de Gustave Schneider sont égaux à ceux d’André Niau55. Gustave Schneider les réalise cependant en numéraire. La somme est versée dans la caisse sociale de la société. Le capital social s’élève donc à 500 000 francs. Il est divisé en 500 parts. Chaque part vaut 1 000 francs. Les parts sont réparties entre les deux associés en fonction de leurs apports effectifs. Le nombre minimum d’associés dans une S.A.R.L. est de deux56. André Niau et Gustave Schneider possèdent donc 250 des 500 parts de la société. Elles sont intégralement libérées. Elles confèrent à leur propriétaire un droit proportionnel égal d’après le nombre de parts existantes, dans les bénéfices et dans tout l’actif social57.
Les deux hommes décident également que la société soit administrée en cogestion. Ils sont dès lors tous deux nommés gérants. Leur fonction n’est pas limitée dans le temps. Chacun représente la société et dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de celle-ci. Ils choisissent de recevoir un traitement fixe annuel de 96 000 francs, payables par douzièmes, à compter du 1er octobre 194558. Toutes les informations portant sur la constitution de la société sont publiées légalement dans les Affiches Versaillaises et de Seine et Oise59. La nouvelle société est également immatriculée au tribunal de commerce de Seine et Oise, le 21 décembre 194560.
Les statuts de la société règlent de nombreuses questions. Ainsi, l’année sociale doit commencer le 1er janvier et se finir le 31 décembre. Il est néanmoins prévu que le premier exercice fasse exception, et coure du 1er octobre 1945 au 31 décembre 194661. Cependant, les associés changent la durée de ce premier exercice, qui est alors clos au 31 octobre 194662. Les raisons de cette modification ne sont pas connues. Elle se fait néanmoins dans la logique d’un exercice social d’une durée totale d’un an. Les travaux entrepris durant cette période permettent de réaliser un bénéfice de 209 111 francs (francs constants 1990)63. On ne peut pas le comparer avec celui du dernier exercice d’André Niau (1er janvier-1er octobre 1945), parce que ce dernier est inconnu. Mais la comparaison avec les bénéfices de 1944 peut pour sa part avoir lieu. Entre les deux exercices, on passe de 66 250 francs à 209 111 francs, soit une augmentation de 215 %. Les bénéfices du premier exercice social de Niau et Schneider prouvent que l’entreprise créée est viable. Ils montrent également l’importance nouvelle prise par l’ancien fonds d’exploitation d’André Niau. Les bénéfices sont totalement affectés à la réserve extraordinaire.
Ces bénéfices contribuent ainsi en partie à permettre une augmentation du capital social. Celle-ci est décidée en décembre 194664. Le capital social, précédemment de 500 000 francs, est porté à 1 000 000 de francs. Il est donc doublé. L’apport des 500 000 francs se fait par le prélèvement d’une telle somme sur la réserve extraordinaire de la société. La hausse du capital social entraîne également la création de parts sociales nouvelles ordinaires ou privilégiées65. Elles sont attribuées en représentation des apports en nature ou en espèces. 500 nouvelles parts sont créées. Leur valeur reste inchangée. André Niau et Gustave Schneider en reçoivent donc 250 chacun. Chaque associé possède alors 500 parts. L’augmentation du capital social a été réalisée dans le but de bénéficier des dispositions de la loi du 12 août 194266. Cette augmentation de capital social parait en janvier 1947, dans le Républicain67.
Le fonds d’exploitation apporté par André Niau lors de son association avec Gustave Schneider est donc rentable. Pourtant André Niau quitte rapidement l’entreprise. Son départ se fait en plusieurs temps. Tout d’abord, en 1946, il démissionne de son poste de gérant68. Les statuts de la société lui autorisent cette démission : « Le ou les gérants pourront toujours résigner leurs fonctions, mais à charge de prévenir les associés six mois au moins à l’avance par lettre recommandée »69. Gustave Schneider devient donc le seul gérant de « Niau et Schneider ». En outre, c’est également en 1946 qu’intervient la cession du bail des locaux sis 3 rue Pasteur. André Niau « cède et transporte par les présentes, sous la garantie de droits, faits et promesses, à la S.A.R.L. Niau et Schneider qui accepte, le droit pour tout le temps qui en reste à courir à dater de ce jour, de la jouissance d’une boutique et dépendances faisant partie de la maison sise à Viry-Châtillon, 3 rue Pasteur, dans laquelle est exploitée un commerce de couverture-plomberie »70. Le loyer du bail est par la même occasion révisé. Il est désormais porté à la somme de 12 000 francs71. Le changement de locataire est visible dans les quittances de loyers. Celles-ci ont toutes été conservées. La quittance de loyer d’octobre 1945 n’est ainsi qu’au seul nom d’André Niau72. Et ce n’est qu’à partir de la quittance de loyer de janvier 1947, que la dénomination sociale « Niau et Schneider » est employée73.
La deuxième étape du départ d’André Niau de la société passe par la cession des actions qu’il possède dans celle-ci. Les parts sociales peuvent être cédées librement entre associés. Cependant, elles ne sont pas cédées à Gustave Schneider. Dans le cas où les parts sont cédées à titre onéreux à une personne étrangère quelconque, elles doivent alors être cédées avec le consentement de la majorité des associés. La cession doit aussi être constatée par acte notarié ou sous-seings privés, et signifiée à la société ou acceptée par elle74. Une première cession est donc faite au début de 1947, avec le consentement de Gustave Schneider75. André Niau cède 250 parts sociales, numérotées de 501 à 750, à Alfred Jund. Chaque part est acquise à raison de 1 000 francs. La cession se fait donc au prix total de 250 000 francs. A la fin de 1947, une deuxième et dernière cession de parts sociales a lieu76. Elle est réalisée sous les mêmes conditions que la première. André Niau cède une fois encore 250 parts, numérotées de 1 à 250, à Alfred Jund. Alfred Jund acquiert donc en l’espace d’une année seulement, la totalité des parts sociales d’André Niau. Il le remplace donc en tant qu’associé auprès de Gustave Schneider. Le nouvel associé fait partie de la famille de Gustave Schneider. C’est en effet le frère de la femme de Gustave Schneider77. Les associés décident quelques jours après cela, de modifier la raison sociale de l’entreprise, « Niau et Schneider », qui n’a plus raison d’être. La nouvelle dénomination choisie est celle de « Schneider et Cie »78. Le changement n’est enregistré au registre du tribunal de commerce seulement en juin 194879. Sur les quittances de loyer, ce changement intervient plus tardivement. Ce n’est qu’à partir de la quittance de loyer de janvier 1949 que la quittance porte le nom de « Schneider et Cie »80. L’en-tête de la quittance est toujours imprimé au nom de André Niau créé un artisanat de plomberie-couverture en 1941. Son commerce est assez rentable pour lui permettre de fonctionner tout au long de l’Occupation. A la fin de la guerre, en 1945, il s’associe à Gustave Schneider. Son fonds d’exploitation sert de base à la nouvelle société. Néanmoins, cette association ne dure qu’un temps relativement court. Ainsi, André Niau quitte l’entreprise dès 1947. C’est à ce moment-là que la société prend le nom de Schneider et Cie. L’entreprise réussit à être viable, alors même que les conditions ne s’y prêtent guère. L’ensemble du BTP est en effet assez durement touché par les années de guerre. Cependant, les destructions occasionnées par cette dernière offrent une vaste région à reconstruire, et donc de nombreux chantiers. La Reconstruction est propice au développement des entreprises de bâtiment.

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