Enseignement/apprentissage bilingue breton-français

Enseignement/apprentissage bilingue breton-français

Une situation éducative particulière en Bretagne ?

D’un point de vue général, le système éducatif en Bretagne se distingue déjà de la situation éducative du reste de la France en ce qui concerne le développement et la place du réseau des écoles privées, majoritairement catholiques, avec ou sans filière bilingue. Alors que le pourcentage d’élèves scolarisés en école privée est inférieur à 21% sur la majorité du territoire français, en Bretagne ces chiffres sont de 38% pour les élèves du primaire et de 42% dans le secondaire pour l’année scolaire 2013-201452. La forte christianisation de la région jusqu’au milieu du XXème siècle explique sans doute en partie cette conjoncture actuelle. Les rapports des parents d’élèves de cette région aux différentes institutions scolaires, publiques et privées, en présence dans leur environnement quotidien, ne sont donc a priori pas les mêmes que ceux existants dans d’autres régions de France. A l’instar du discours de l’une des informatrices rencontrées pour cette étude, mère de quatre enfants, on peut percevoir dans les mises en mots d’une grande majorité de parents interviewés, l’intégration du fait qu’un choix éducatif est possible, selon leurs desiderata : c’est « suivant ». « ME9 : ben public/ je ne suis ni pro ni contre// enfin moi je suis vraiment suivant voilà// j’avais ma voisine qui avait sa fille/ en fait on était [nom de la rue où ME9 habitait] et [nom d’une école primaire publique] était juste à côté// donc euh voilà// pour la maternelle ça me posait pas de problème// c’était un peu le/ voilà/ tu habitais là/ si tu allais dans le public/ tu mettais ton enfant enfin là// […]donc pour moi/ pour Barbara/ autant la maternelle ça me posait pas de problème/ autant pour moi pour Barbara c’était [nom d’une école primaire privée catholique] quoi// C : ah pour le primaire de toute façon t’avais prévu ?/ que ce soit dans le privé/ ME9 : voilà// voilà c’était/ c’était pas forcément dans le privé si tu veux/ c’était à [nom de l’école primaire privée catholique citée auparavant]// C : c’était cette école// ME9 : voilà// ça aurait une école publique dans laquelle/ enfin voilà/ j’avais mes repères dans cette école// donc euh/ et c’est pareil/ c’est pas parce que c’était une école privée// c’est voilà/ ça aurait été une école publique c’était pas plus mal/ » Extraits de l’entretien 9, lignes 286 à 331 Une fois cet état de fait mentionné, comme je l’ai brièvement énoncé au chapitre précédent, la Bretagne semble constituer un cas d’étude spécifique des types d’enseignement/apprentissage bilingue français-langue régionale, au sein du système éducatif français, notamment de par la diversité de ses offres d’enseignement/apprentissage du et en breton.

Intégration de l’enseignement/apprentissage du et en breton à l’école

Les premières demandes d’intégration d’un enseignement en breton ou du breton à l’école sont anciennes. En marge des politiques linguistiques nationales d’éviction des langues régionales dans l’enceinte des écoles de la République depuis la Révolution, ces revendications se sont développées en ce sens depuis le XIXème siècle et ponctuellement auparavant (Broudic, 1995a). En 1831, trois préfets de Basse-Bretagne sont consultés par le Ministre de l’Instruction et des Cultes de la Monarchie de Juillet à propos d’un projet d’enseignement bilingue, commençant par une année d’apprentissage du breton. Ce projet restera sans suite bien que le préfet du Morbihan y ait été favorable (Broudic, 1995a). Quelles que soient les motivations à l’origine de ces demandes en faveur de l’enseignement officiel de la langue bretonne, leurs fondements didactiques, les époques et les gouvernements, elles n’ont réellement abouti qu’à la fin des années 1970, après de multiples actions politiques et culturelles. Jean-Charles Perazzi, dans son ouvrage Diwan, vingt ans d’enthousiasme, de doute et d’espoir écrit : « L’école Diwan n’est pas née du hasard, sa naissance n’a rien de spontané. […] la lutte pour la défense d’une langue et d’une culture constitue une très longue histoire dans laquelle s’est inscrite celle de l’école, mais dont les épisodes et les péripéties se perdent dans la nuit des temps » (1998 :13). Dans cet ouvrage, exposé narratif et élogieux de la formation des écoles Diwan, l’énumération chronologique de certaines prises de positions et de regroupements militants en faveur de la langue bretonne de 1870 à 1997 permet de rappeler comment le développement d’un enseignement/apprentissage bilingue et les créations de classes, puis de filières bilingues breton-français étaient, et sont, au cœur de revendications socio-politiques plus larges pour la préservation de la langue et de la culture bretonnes depuis plus de 100 ans. (Perrazi, 1998 : 133-145). Les études sociolinguistiques sur la question, telles que Broudic (1995 a), McDonald (1989), indiquent en effet les liens étroits entre ce qui est appelé « le mouvement breton » (1995a : 304), au niveau politique et culturel, et la demande d’enseignement de la langue bretonne à l’école. Le « mouvement breton » ou « Emsav » naît en 1898 des rapprochements de membres de la noblesse terrienne bretonne, d’intellectuels, de politiques et de membres de l’Eglise catholique dans le cadre de l’Union Régionaliste Bretonne : « L’un des objectifs [est à l’époque] la défense des traditions et des valeurs ancestrales » (Abalain, 2000 : 58). 89 De l’entre-deux guerres à la fin du XXème siècle, le mouvement breton a été constitué de différents types d’organisations politiques et culturelles aux sensibilités diverses : partis politiques, fédérations, associations culturelles… Ces groupes, aux formes variées, et leurs membres, vont allouer des objectifs différents à l’Emsav mais la langue bretonne a toujours été au cœur des préoccupations. Dans les années 1920-1930, les partis politiques du mouvement breton se développent sur fond de nationalisme, entre autres : le Parti national Breton est créé en 1932 par les fondateurs du journal Breiz Atao (Bretagne toujours). Ces nationalistes, aux idéologies fascisantes (voir Déniel, 1976 : 194-205) revendiquent l’indépendance et considèrent la langue bretonne comme un élément d’appartenance au peuple breton, une marque d’identité. Au niveau culturel, les premières associations très liées au mouvement politique œuvrent, également dans l’entre-deux guerres, pour la préservation de la musique bretonne (avec les cercles celtiques, les fêtes folkloriques, …). Ils œuvrent aussi en faveur de l’usage de la langue bretonne en particulier par l’édition. A côté des publications de l’Église catholique comme Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne) qui perdurent, d’autres revues en langue bretonne voient le jour. Roparz Hemon, l’une des figures du mouvement breton, fonde Gwalarn (NordOuest) en mars 1925, qui « marque l’acte de naissance du nationalisme linguistique » (Calvez, 2000 : 33). Par cette revue, il veut créer une nouvelle littérature bretonne moderne avec une volonté de purisme linguistique et d’élitisme intellectuel. Le mot d’ordre est clair : « Il n’y a pas de renaissance nationale sans renaissance linguistique » (Extrait du seul manifeste de Gwalarn en langue française, cité par Calvez, 2000 : 34). En 1933, Yann Sohier, instituteur laïque et sympathisant communiste, fonde le mouvement Ar Falz (la faucille) pour les enseignants laïques qui souhaitent développer l’enseignement du breton. Ses fondements s’inscrivent dans la lignée des propos d’Emile Masson, professeur d’anglais et socialiste, qui au début du XXème siècle propose d’en finir avec l’assimilation de la langue bretonne à l’Eglise catholique : « Le breton, dialecte celtique, et la foi ne sont pas « frère et sœur » en Bretagne […] » (Émile Masson, 1914, cité par An Du, 1992 : 102). Dans le programme d’Ar Falz, Yann Sohier revendique, sans succès, l’enseignement du breton « comme ‘langue véhiculaire de l’enseignement’ : le breton comme langue principale, le français, langue auxiliaire » (Extrait du premier numéro du bulletin de liaison d’Ar Falz cité par Perazzi, 1998 : 135), dans les écoles publiques. L’association « Ar brezoneg er skol » milite également à partir de 1934 pour l’enseignement du breton à l’école. Malgré un nombre insuffisant de signatures pour obtenir gain de cause, leur pétition obtient à l’époque le soutien de 305 communes en Bretagne sur 634. (Broudic, 1995a : 306).

Les « trois Di(v) »

Trois offres d’enseignement/apprentissage bilingue breton-français sont mises à disposition des familles dans l’enseignement public, privé catholique et associatif, respectivement par l’Education Nationale, l’Enseignement Catholique et l’association Diwan. Ces trois filières éducatives sont fréquemment nommées dans l’usage courant les trois « Di(v) », en référence aux noms de trois associations, loi 1901 : Diwan qui signifie le « germe » en breton, Div Yezh « deux langues » et Dihun « l’éveil ». Cette dénomination coutumière – les « trois Di(v) » – ne correspond toutefois pas à une réalité institutionnelle. Ces trois structures associatives ne se confondent pas avec les trois institutions scolaires qui dispensent ces enseignements/apprentissages bilingues. Afin de mieux comprendre la situation et les confusions faites par les usagers eux-mêmes, il convient de préciser les origines et le statut de ces différentes structures éducatives et associatives. Après mai 68, une grande partie des militants de gauche du mouvement culturel breton renforce ses actions pour le développement de l’enseignement du breton dans les écoles publiques. A leur tête se trouvent les membres d’Ar Falz associés à la Jeunesse Etudiante Bretonne et à l’Union Démocratique Bretonne (UDB). Ils constituent GALV, qui signifie l’appel en breton (voir Broudic, 1995a : 327). Leurs initiatives trouvent enfin un écho au niveau politique, avec, entre autres : – l’adoption d’une « charte culturelle bretonne53 » en 1977 sous la présidence de Valéry Giscard D’Estaing. La première partie (« titre I ») de cette charte s’intitule « Enseignement de la langue et de la culture bretonnes ». La charte culturelle bretonne va permettre à l’époque de développer des séances d’initiation au breton dans le premier degré sur demande des parents et des options facultatives de breton au collège et au lycée. – les dispositions octroyées par la circulaire Savary de 1982 en faveur de l’enseignement des langues régionales, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir (cf. chapitre 3). De manière concomitante, l’association « Skol an Emsav » (l’école du « Mouvement ») dispense des cours de breton pour adultes à partir de 1969. Composée majoritairement d’étudiants et d’enseignants, ses membres décident d’agir pour développer l’enseignement/apprentissage en breton. Fruit de leurs réflexions, l’association Diwan dépose ses statuts le 19 avril 1976 (Perazzi, 1998 : 19- 20) afin de pallier les « carences d’une Education Nationale ne donnant pas sa place à la langue bretonne […] » comme le stipule l’article 2 de la Charte des écoles Diwan54 , qui régit cette nouvelle organisation. Au-delà de la concrétisation d’attentes parentales en termes de scolarisation en breton pour leurs enfants, à travers Diwan, il s’agit, pour eux, de pourvoir à un manquement de l’Etat français à l’égard du peuple breton et de sa langue (Broudic, 1995a). Diwan ouvre sa première classe immersive en breton à la rentrée scolaire 1977. En 1979, d’autres parents d’élèves de Rennes se regroupent à leur tour et créent l’Association des Parents d’Elèves pour l’Enseignement du Breton à l’école publique (APEEB), qui deviendra Div Yezh en 1995. Les objectifs affichés de cette association étaient « la défense et l’illustration de la langue bretonne dans les établissements scolaires, ce qui fut transformé en 1985 en : la défense des intérêts matériels et moraux de tous les élèves, et notamment de ceux qui apprennent ou souhaitent apprendre le breton, la culture bretonne, s’instruire par le moyen de la langue bretonne. 55 ». L’association Div Yezh développe des antennes locales pour soutenir le développement de la filière bilingue dans les différents établissements publics bretons. Il existe également une association de parents d’élèves pour la filière bilingue privée catholique. Dès 1990, des parents d’élèves ont créé l’association Dihun avec pour but « de développer l’enseignement du et en breton, de créer des filières bilingues et d’assurer un soutien pédagogique et promotionnel permanent à celles-ci 56 ». Ces trois associations sont des acteurs privilégiés dans le développement de ces filières, en particulier lors de demandes d’ouverture de classes supplémentaires. Elles réalisent aussi des actions régulières pour soutenir financièrement les structures locales (festoù-noz, ventes de crêpes, repas, braderie, tombola,…). Implantées dans les établissements, mais également munies d’antennes départementales et régionales, elles font aussi la promotion de cet enseignement via des brochures (voir annexe 9) des réunions d’information, relayant les discours institutionnels en faveur du bilinguisme scolaire breton-français et les discours.

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