Entre “ masculinité toxique ” et nouvelles masculinités contemporaines

Entre “ masculinité toxique ” et nouvelles masculinités contemporaines

D’UNE MASCULINITÉ GUERRIÈRE A DES MASCULINITÉS PLURIELLES

Depuis #MeToo et l’affaire Weinstein, les questions liées à la mascul inité se sont imposées, en particulier autour du concept de « masculinité toxi que ». Dans Le Mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes, Olivia Gazalé déclare dès l’introduction que « nos représentations du féminin et du masculin sont encore très impr égnées d’une construction culturelle des sexes venue du fond des âges . » Afin de comprend re les problématiques et 21 les conséquences qui ont découlé de ce nouveau mouvement fém iniste, il est essentiel de remonter aux origines de la masculinité et de décrypter ses fond ements. Comment l’éducation des garçons et des filles a-t-elle laissé des empre intes sur notre vision de la masculinité contemporaine ? Dans cette première partie, il s’agit de montrer comment les in jonctions masculines, dont la naissance remonte à l’Antiquité, ont encore des conséquen ces sur les comportements des hommes. Ces normes, basées sur des critèr es que nous allons expliquer, ont résulté à faire émerger la masculinité toxique à l’origine des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. Après avoir exposé ces bases his toriques et sociologiques, nous aborderons également les évolutions de la masculinité après #MeToo. 1. Naissance de la norme masculine a) Création de la masculinité de l’Antiquité à aujourd’hui Les premières traces qui ont défini la norme masculine sont apparues dès la Grèce Antique. Les hommes devaient allier à la fois des critères physique s – avoir des épaules larges, être grand- mais aussi, comme le remarque Olivia Gaz alé, des critères liés à la morale stoïcienne. Hercule, héros de la mythologie grecque, ét ait admiré pour son physique puissant ainsi que pour son courage, sa bravoure et sa combat ivité . Etre un homme se 22 manifestait donc par une différenciation physique et compor tementale : il était interdit de montrer ses émotions et d’avoir des attitudes efféminées. L’ho mme est alors associé à la puissance, la maîtrise de soi et la capacité à gouverner : « ces t raits le place au dessus de la femme qui est réputée colérique, irrationnelle, irréfléchie et impulsive . » 23 L’une des principales causes de distinction entre les hommes e t les femmes provient, outre la différence physique, de la transformation du sang. F rançoise Héritier déclare à ce propos : « L’homme, de nature chaude, possède par là même une aptitude à la coction intense du sang, qui le transforme en un résidu parfaitement pur et dense : le sperme. La femme ne peut parvenir à cette opération ; elle parvient seulement à tr ansformer le sang en lait . Ainsi la différence ultime . » 24 La femme subit sa nature : elle ne connaît ni la date ni la durée de ses règles alors que l’homme à la capacité de pouvoir la maîtriser. En plus de produire une substance beaucoup plus noble, il n’est pas dans la perte mais dans le choi x de la création. Ce pouvoir de contrôle va être rapidement lié à la notion même de virilité qui va se redéfinir sans cesse au cours des siècles. Le dictionnaire Larousse donne pour sec onde définition de la virilité, la première étant « l’ensemble des caractères physiques de l’homm e adulte ; ce qui constitue le sexe masculin » , la « capacité d’engendrer ; [la] vigueur sexuelle. » La virilité, p ar sa nature reproductrice, est l’idéal que les hommes cherchent et doivent atteindre pour être de vrais hommes. Olivia Gazalé déclare à ce propos : « un homme qui a une pu issance sexuelle c’est l’indicateur de sa puissance guerrière, politique, militaire [sa ] puissance tout court et donc de son rayonnement . » Le héros de guerre apparaît, par conséquen t, comme le modèle 25 central du masculin. Si l’étymologie du mot héros provient du g rec herôs soit demi-dieu, par quels moyens les garçons étaient-ils élevés au rang d’être supérieur ? Dans la Grèce Antique, l’apprentissage de la virilité était rit ualisé : l’éraste devait viriliser l’éromène lors d’un rapport sexuel car son sperme était virilisant. L’éducation se faisait donc à travers la reconnaissance de ses pairs et ‘une pédag ogie qui devait endurcir les jeunes garçons. Comme le héros de guerre était l’idéal à att eindre, de futurs combattants étaient formés et un dressage était nécessaire. La masculinité et la virilité ne sont pourtant ni innées ni des données biologiques mais une construction idéolo gique. Pour Elisabeth Badinter, il existe plusieurs méthodes pour transformer un jeune garço n en homme : « qu’il s’agisse des rites d’initiation, de la pédagogie homosexuelle, o u de la confrontation avec ses pairs, toutes ces institutions prouvent que l’identité masculi ne est acquise au prix de grandes difficultés . » Les filles ont une initiation naturelle à la fémin ité, les règles lors de 26 l’adolescence, c’est un « processus éducatif » pour les garçon. L’apprentissage de la virilité nécessite des épreuves : « la masculinité se gagne au terme d’un c ombat (contre soi-même) qui implique souvent une douleur physique et psychique .» Depuis des millénaires la société créé, au moyen d’une éducation violente, des petits soldats, des hommes forts qui doivent répondre à des normes physiques mais aussi morales. Pour Pierre Bourdieu, la virilité « est une notion éminemment relationnelle, construite devant et pou r les autres hommes et contre la féminité, dans une sorte de peur du féminin, et d’abord en so i-même . » Nous pouvons 28 alors nous interroger sur les critères qui sont encore perpétré s et qui définissent les hommes aujourd’hui. 

Harvey Weinstein, un homme normé ?

Dans le podcast Les couilles sur la table datant du 15 mars 2018 , Raphaël Liogier, sociologue, philosophe et auteur de Descente au coeur du mâle, déclare que Harvey Weinstein aimait « jouir de son pouvoir à travers le corps des f emmes . » L’affaire Weinstein 31 est avant tout la révélation au grand jour des agressions sexuelle s commises par le producteur depuis des décennies. Quel est le lien entre la notion de pouvoir et ces agressions ? Dès le début cette filiation était affichée. Pour af firmer nos propos, nous allons nous pencher sur les deux articles, celui du New York Times et le New Yorker, à l’origine du scandale. Tant sur la forme que sur le contenu, ils nous ont sembl é intéressants sur plusieurs points en particulier pour comprendre la création de #MeToo et comment s’esquissait déjà la crise de la masculinité qui allait suivre. En analysant ces deux articles, nous pouvons tout d’abord cons tater que le traitement de l’affaire diffère. Au-delà de l’annonce même des agressions sexuelles, le New York Times met l’accent dès le titre sur la temporalité exceptionnellement longue des actes perpétrés par Harvey Weinstein – Harvey Weinstein Paid Off Sexual Harassment Accusers for Decad es – 32 le New Yorker préfère mettre l’emphase sur les victimes – From Aggressive Overtures to Sexual Assault: Harvey Weinstein’s Accusers Tell Their Stories . Autre point de différentiation, le New York Times fait une restitution factuelle de l’affaire, alternant des témoignages plus ou moins récents et des éléments contextuels tandis que l’article du New Yorker est construit comme un roman divisé en dix chapitres. Le premier est une introduction donnant des clefs de contexte et le dernier conclut l’article e n mentionnant notamment le travail du réseau Weinstein pour étouffer les différentes affaires. Quant aux huit autres, ils relatent chacun un témoignage des victimes d’Harvey Weinstein. Cette construction journalistique retranscrit donc des témoignages bruts et do nne l’opportunité aux victimes de pouvoir enfin raconter leurs agressions alors qu’elles avaient é té réduites au silence ou qu’elles n’avaient jamais osé parler par honte et par peur. Le jo urnaliste du New Yorker, Ronan Farrow, se positionne ainsi comme le porteur de la vérité . Il utilise le pronom « je » (« the woman I spoke to tell a very different story ») et, par la res titution de tous ces témoignages, dévoile la personnalité du célèbre producteur, not amment l’emprise qu’il pouvait avoir sur ces femmes ou encore sa position de dominant. Le champ lexical de la violence est utilisé, nous pouvons noter l’utilisation des mot s « force », « forced » ou « forcibly »(force, forcé, par la force) dix fois dans l’article du New Yorker et le mot « power » (pouvoir) est utilisé cinq fois dans les deux écrits. D’autre part, si nous nous penchons sur le contenu même de ces ar ticles et le choix des propos retranscrits, le vrai visage de Harvey Weinstein, e t ce qui s’apparente à la masculinité toxique, y est dépeint. Il est décrit par l’une de ses conseillères comme un « vieux dinosaure qui apprend de nouvelles façons [d’être] . » C ette dernière lui avait 34 notamment expliqué : « qu’en raison de la différence de pouvoir entre un grand chef de studio comme lui et la plupart des autres dans l’industrie, que ls que soient ses motifs, certains de ses mots et comportements peuvent être perçus co mme inappropriés, voire menaçants35. » Nous apprenons aussi sa haine des femmes qu’il réduit à leur statut reproductif. Il a déclaré à l’une de ses victimes qu’elle était jus te bonne à « être une épouse » et « faire des bébés. » Nous pouvons alors affirmer qu’il possède des critères de la masculinité que nous avons évoqué plus haut : le pouvoir et le c ontrôle des autres. Ces deux notions apparaissent encore plus explicitement puisqu’il ne p eut plus ni asseoir son pouvoir ni avoir une emprise sur ses victimes. Harvey Weinstein représen te donc le cas classique de la domination masculine que Pierre Bourdieu avait formulé dans La Domination Masculine : « La domination masculine, qui constitue les femmes en objets sym boliques, dont l’être (esse) est un être-perçu (percipi), a pour effet de les placer dan s un état permanent d’insécurité corporelle ou, mieux, de dépendance symbolique : elles existent d’abord par et pour le regard des autres, c’est-à-dire en tant qu’objets accu eillants, attrayants, disponibles . » La masculinité, et par extension la virilité, définit les homm es comme supérieurs aux femmes. Cette domination masculine, qui a évoluée avec les si ècles, est encore prévalente dans nos sociétés occidentales. Elle est à l’origine de l’inégali té hommes-femmes, des violences sexuelles.Outre l’exemple de l’affaire Weinstein qui entre dans la case du parfait dominant – prédateur sexuel, il soutenait publiquement Hill ary Clinton lors de l’élection présidentielle et a, entre autres, contribué à la création d’une ch aire professorale au nom de Gloria Steinem à l’Université Rutgers – nous pouvons alors nous interroger sur la manière dont la domination masculine s’opère.

Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
I. D’UNE MASCULINITÉ GUERRIÈRE A DES MASCULINITÉS PLURIELLES
1. Naissance de la norme masculine
a) Être un homme de l’Antiquité à aujourd’hui
b) Harvey Weinstein, un homme normé ?
c) La domination masculine
2. Le déclin de la virilité
a) La crise de la masculinité
b) La reconnaissance de comportements néfastes
c) La publicité Gillette où l’explosion de la « masculinité » toxique
3. Une fragilisation des privilèges
a) La fin du modèle patriarcal
b) Un idéal inaccessible
c) Une prise de conscience nécessaire
II. #METOO : LE MOUVEMENT SOCIAL FÉMININ DU XXIe SIÈCLE
1. Une libération unique de la parole
a) D’un acte individuel au mouvement collectif
b) #MeToo et #Balancetonporc, de la délation ?
c) Le silence des hommes
2. Le pouvoir au coeur du mouvement
a) Exister dans l’espace numérique
b) Une légitimité sans cesse questionnée
c) L’objectification du corps féminin
3. Les revendications de #MeToo
a) Un mouvement inclusif
b) Devenir un homme libéré par un enseignement raisonné
c) L’éducation au consentement48
III. LE « BACKLASH » OU LE RETOUR DE BÂTON
1. Une modification des rapports hommes-femmes
a) La fin de la séduction
b) La liberté d’importuner
c) #WeToo, nous aussi nous voulons l’égalité
2. Un mouvement qui divise
a) Les masculinistes
b) Les faux féministes
c) La féminité hégémonique
3. Une évolution des comportements ?
a) Une parole remise en question
b) Des stéréotypes sexistes et forte adhésion à la culture du viol
CONCLUSION
CORPUS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
RÉSUMÉ
MOTS-CLEFS

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