Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum

Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum

EPIDEMIOLOGIE DESCRIPTIVE DU PALUDISME AUX COMORES

Comme nous l’avons vu en Partie 2.2, le paludisme, principalement à Plasmodium falciparum, a, dans la foulée de son introduction aux XVIIIe et XIXe siècles sur l’archipel des Comores, évolué sur un mode endémo-épidémique. Les études récentes de prévalence décrivent ainsi un paludisme hyper- voire holoendémique sur les îles de l’Union des Comores (Grande Comore, Anjouan, Mohéli). Et suite à l’échec de la lutte intégrée à éradiquer la maladie sur Mayotte, le paludisme y persiste à un état hypoendémique assombri par la menace régulière de flambées épidémiques. Cet échec global a été le fait des insuffisances et du relâchement de la lutte antipaludique et de la surveillance épidémiologique. L’arrivée, au début des années 1980, de clones de P. falciparum résistants aux anti-paludiques a également mis a mal les protocoles thérapeutiques comoriens et mahorais reposant sur la chloroquine (Eichenlaub et Pohle 1980; Le Bras et al. 1987). La persistance du paludisme à Mayotte a ainsi conduit la Ddass à proposer en 2002 un nouveau protocole thérapeutique pour les accès palustres non compliqués à Plasmodium falciparum associant en première intention chloroquine et pyriméthamine-sulfadoxine (Fansidar®), et en deuxième intention halofantrine (Halfan®) ou méfloquine (Lariam®). Ce protocole est resté en vigueur jusqu’en 2007, puis remplacé par le Riamet® (ACT combinant artéméther et luméfantrine), dont l’arrivée a été longtemps retardée (Quatresous et al. 2007). En Union des Comores, le même ACT (combinaison artéméther/luméfantrine, Coartem®) s’est également peu à peu imposé en première intention à partir de fin 2003, la quinine constituant un traitement de deuxième intention, et l’usage du Fansidar® restant limité aux femmes enceintes (Programme National de Lutte contre le Paludisme 2007). Nous l’avons évoqué, le programme très controversé d’élimination du paludisme instauré fin 2007 – début 2008 sur l’île de Mohéli, sous la direction d’une équipe universitaire et industrielle chinoise, et reposant sur un traitement de masse associant l’ACT artémisinine/pipéraquine (Artequick®, Artepharm Co., Chine) à la primaquine, et sans volet de lutte anti-vectorielle, bouleverse une fois de plus la donne. Afin de retarder autant que possible le développement et l’expansion des résistances aux ACT, la surveillance de la sensibilité de P. falciparum aux antipaludiques doit être Partie 3 – Epidémiologie descriptive du paludisme aux Comores Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores. 30 optimale. Or, bien qu’il n’existe aucune revue de la littérature récente sur le sujet, cette surveillance épidémiologique, et notamment des résistances, semble avoir été irrégulière et inégale selon les différentes îles de l’archipel, et les quelques essais thérapeutiques d’efficacité et études de sensibilités disponibles semblent avoir fourni des résultats assez discordants. Nous présentons donc ici une synthèse des données relatives à l’épidémiologie descriptive du paludisme sur l’archipel des Comores (Union des Comores et Mayotte) (données entomologiques et de transmission, nombre de cas et incidence, prévalence et endémicité, degrés de chimiorésistance), ainsi qu’à Marseille à partir des cas de paludisme importés des Comores. Son objectif est de tenter de dresser un bilan des connaissances concernant l’épidémiologie du paludisme sur l’archipel et d’en envisager les applications et les limites. 

MATERIELS ET METHODES

Sources 

 Les données sur lesquelles se base cette revue ont été identifiées à partir de diverses sources : • Recherches bibliographiques sur la base PubMed en croisant les termes « malaria », « plasmodium », « Comoros », « Mayotte » ; • Recherches sur le moteur de recherche Google en appliquant la même stratégie, en anglais et en français ; • Listes bibliographiques mentionnées dans les articles précédemment publiés sur le sujet, et référençant notamment des articles parus dans des revues non indexées sur PubMed, le « monde » de la paludologie comorienne étant finalement relativement restreint et les publications fréquemment rédigées en français ; • Différents sites Internet d’organismes nationaux ou internationaux : Organisation Mondiale de la Santé (http://www.who.int/malaria/) et Fond Mondial contre le Paludisme (http://www.theglobalfund.org/programs/country/?countryid=COM&lang=en) pour les données comoriennes ; Institut français de Veille Sanitaire (InVS, http://www.invs.sante.fr) pour les données concernant Mayotte ; Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores. A B C D Figure 6 – Gîtes larvaires d’anophèles aux Comores : A/ citerne en Grande Comore ; B/ estuaire bouché par un cordon de sable à Mohéli ; C/ marécage sur la côte au vent d’Anjouan ; D/ rivière sur la commune de Bandraboua, Mayotte (photos de S. REBAUDET, sauf A/ courtoisie de Mme R. SILAÏ) Partie 3 – Epidémiologie descriptive du paludisme aux Comores Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores. 31 • Données, rapports et documents fournis par le Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) de l’Union des Comores à l’occasion de la venue de Madame Rahamatou SILAÏ (technicienne au PNLP) à Marseille en juin 2008 et d’un séjour effectué aux Comores en septembre 2008 ; • Données fournies par le Dr LEPERE, médecin au dispensaire de Bandraboua à Mayotte ; • Quelques documents académiques de Thèse ou de Master ; • Données fournies par le Centre National de Référence (CNR) paludisme de Marseille, qui recense tous les cas de paludisme importés pris en charge dans les hôpitaux de la ville. 

Nature des données recensées 

Ont été synthétisées dans cette revue : des données entomologiques (vecteurs, gîtes et niveaux de transmission), des données de morbidité (incidence des cas de paludisme et son évolution sur l’archipel des Comores), des données d’endémicité (prévalence), et enfin les données de chimiorésistance.

DONNEES ENTOMOLOGIQUES : VECTEURS, GITES ET NIVEAUX DE TRANSMISSION 

Peu de données sont disponibles et accessibles concernant les vecteurs du paludisme aux Comores et les taux de transmission de la maladie. La transmission du paludisme sur l’archipel des Comores est assurée par 2 espèces d’anophèles : Anopheles gambiae s.s. sur les 4 îles (forme moléculaire S et forme chromosomique Savane, en Grande Comore et à Mayotte (Leong et al. 2003)) et An. funestus, absent de Grande Comore (Blanchy et al. 1999). Toutes deux sont anthropophiles et endophiles et pondent dans des gîtes dont l’eau doit être relativement claire. An. gambiae s.s. affectionne notamment les collections d’eau de pluie et les ornières ensoleillées, ainsi que les citernes (Fig. 6A) et bassins d’ablution très nombreux en Grande Comore, à condition qu’ils soient entretenus et pas trop pollués. Les estuaires bouchés (Fig. 6B) par des cordons de sable que l’on trouve sur Anjouan, Mohéli et Mayotte offrent également des gîtes larvaires classiques à An. gambiae, mais dont la qualité peut être altérée par le déversement de produits organiques par la population locale ou l’entrée trop importante d’eau salée. An. funestus, lui, pond préférentiellement dans les bas-fonds végétaux ombragés (Blanchy et al. 1999). Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores. Tableau 6 – Données entomologiques : vecteurs et niveaux de transmission Grande Comore Mohéli Mayotte 1989a 2003b Nov. 2007b Fév. 2003c Nov. 2007b Mai-juil 2008d Nombre d’anophèles femelles capturées* 159 188 258 53 % An. gambiae s.s./An. funestus 100/0 100/0 100/0 24/76 38/62 9/64 Infectivité (indice sporozoïtique) (%, chez An. gambiae s.s./An. funestus) § 5,7/– 1,9/4,1 2,1/2,7 – Taux d’inoculation entomologique (nombre de piqûres infectante par homme et par unité de temps) 20/an 10/an – 0,014 – 0,916/nuit – – a d’après (Blanchy et al. 1999) b d’après des données fournies oralement et non publiées c d’après (Robert 2003) d d’après (Le Mabec et Thouillot 2008) * captures sur appât humain +/- captures au pyrèthre +/- captures au piège lumineux CDC § mesurée sur les femelles anophèles par détection de l’antigène CSP par ELISA Partie 3 – Epidémiologie descriptive du paludisme aux Comores Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores.En Grande Comore, seul An. gambiae s.s. est donc présent. De vieilles données entomologiques font état de densités peu élevées sur l’île. Et le taux d’inoculation entomologique (TIE) avait été estimé à 20 piqûres infectantes par homme et par an (Tableau 6) (Blanchy et al. 1999). Une nouvelle détermination de ce TIE a été réalisée en 2003. Il ne nous a malheureusement pas été possible d’en récupérer le rapport mais d’après le PNLP (données orales), cette étude ferait état d’un TIE de l’ordre de 10 pi/homme/an, avec de fortes disparités régionales dépendantes de la pérennité du remplissage des citernes. La transmission du paludisme en Grande Comore est ainsi globalement considérée comme perannuelle à l’exception de la côte Est, où les citernes s’assèchent en saison sèche (Tchen et al. 2006). Un récent travail sur appâts humains a été réalisé sur l’île juste avant le lancement en novembre 2007 du programme sino-comorien d’élimination du paludisme à Mohéli par traitement antipaludique de masse. Il confirme l’absence d’An. funestus en Grande Comore et le taux d’infectivité des An. gambiae s.s. capturés était de 5,7% en cette fin de saison sèche (Tableau 6) (données fournies oralement et non publiées). Il faut enfin noter que les effets du réchauffement climatique semblent se faire sentir sur la transmission du paludisme en Grande Comore, qui aurait pris de l’altitude ces dernières années (données PNLP, non publiées). Sur Anjouan, An. gambiae s.s. et An. funestus sont tous deux des vecteurs importants de paludisme. An. funestus pullule dans les zones marécageuses de la côte Sud-Ouest en fin de saison des pluies, mais An. gambiae semble absent de la côte Nord et des Hauts (Tchen et al. 2006). Aucune donnée précise sur le niveau de transmission n’a cependant pu être obtenue concernant cette île. L’île de Mohéli est géographiquement relativement homogène et offre de nombreux gîtes naturels pour An. gambiae s.s. et An. funestus. Les cultures sur brûlis qui détruisent la forêt fournissent en plus de nouveaux lieux de vie à An. gambiae s.s., espèce assez héliophile (Tchen et al. 2006). Une étude entomologique ponctuelle a été réalisée sur 3 sites de l’île en février 2003 en collaboration avec l’Institut Pasteur de Madagascar (Tableau 6) (Robert 2003). Les captures d’anophèles femelles ont alors retrouvé une nette prédominance d’An. funestus, et après étude de leur infectivité, le taux d’inoculation entomologique estimé en cette saison des pluies 2003 affichait de grandes disparités, approchant 1 pi/homme/nuit sur le site le plus infesté, Ouala I, situé au Sud-Ouest de l’île. La transmission apparaît donc globalement intense à Mohéli (Robert 2003). Un travail complémentaire réalisé en novembre 2007 a retrouvé de nouveau une nette prédominance d’An. funestus. L’infectivité des 2 espèces à cette période de l’année était supérieure à 2% (Tableau 6) (données fournies oralement et non publiées). Mais l’application du traitement de masse par ACT à l’ensemble de la population a  semble-t-il conduit à une rapide diminution du taux d’anophèles femelles positives (données fournies oralement et non publiées). Une nouvelle mesure du taux d’inoculation entomologique en différents points de l’île, aux 2 saisons et sur un nombre plus importants de nuits et d’appâts humains serait néanmoins bienvenue pour guider la lutte antivectorielle nécessaire à la consolidation des effets de ce traitement de masse. A Mayotte, les estuaires ensablés étaient considérés comme de très bon gîtes larvaires pour An. gambiae s.s., principalement en saison sèche. La pollution organique des cours d’eau due à la croissance démographique et les entrées d’eau salée en fonction du degré de communication de ces estuaires avec la mer, ont néanmoins chassé An. gambiae de ses habitats naturels vers des gîtes anthropiques (ornières, fosses d’emprunt de terre…) qui seraient surtout productifs après les périodes de pluie intense (Blanchy et al. 1999; Quatresous et al. 2005). Alors qu’An. funestus était considéré comme éradiqué de l’île depuis 1990, grâce aux pulvérisations intra-domicilaires d’insecticides et à l’extension des cultures vivrières aux zones encaissées et humides, 2 spécimens ont été à nouveau capturés sur l’île en 2004 (Blanchy et al. 1999; Tchen et al. 2006). Une étude entomologique menée par capture sur piège lumineux à Bandraboua, principal foyer de paludisme de Mayotte, durant la saison sèche 2008, a confirmé la réémergence d’An. funestus (64% des anophèles capturés) (Tableau 6). Elle pose ainsi la question du rôle de cette espèce dans le maintien de la transmission en saison sèche (données récoltées par Le Mabec et Touillot (Le Mabec et Thouillot 2008), non publiées, et fournies par le Dr Lepère, du dispensaire de Bandraboua, Mayotte). Des informations complémentaires, notamment sur l’infectivité de ces moustiques, sur leur présence en saison des pluies et dans d’autres zones de l’îles, et l’établissement d’une cartographie précise des gîtes seraient très intéressants pour adapter au mieux les stratégies de lutte antivectorielle. Globalement, les connaissances relatives aux vecteurs du paludisme sur l’archipel des Comores – densité, comportement, résistance aux insecticides, gîtes larvaires, dynamique des populations anophéliennes, niveaux de transmission du paludisme – semblent donc encore relativement peu fournies et mériteraient des études complémentaires.

Table des matières

Sommaire
1 Introduction générale
2 Le contexte
2.1 Les Comores et les Comoriens
2.1.1 Géographie physique et climatique
2.1.2 Une brève histoire des Comores
2.1.3 Démographie générale, l’immigration à Mayotte, les Comoriens de Marseille
2.1.4 Une situation économique et sanitaire difficile en Union des Comores
2.2 Histoire et origine du paludisme aux Comores
2.3 Quelques rappels utiles de paludologie
2.3.1 Généralités – le poids de la pandémie
2.3.2 Notions de biologie parasitaire et vectorielle
2.3.3 Eléments d’épidémiologie du paludisme à Plasmodium falciparum
Mesure, déterminants et classification de la transmission du parasite
Indicateurs et classification de l’endémie palustre
Faciès épidémiologiques
Épidémies
2.3.4 Le développement de la chimiorésistance de P. falciparum
Les antipaludiques
Le poids de la chimiorésistance de Plasmodium falciparum
Les méthodes de surveillance de la chimiorésistance
2.3.5 Diversité génétique de P. falciparum et principes d’épidémiologie moléculaire et de génétique des populations appliqués au paludisme
3 Épidémiologie descriptive du paludisme aux comores
3.1 Introduction
3.2 Matériels et méthodes
3.2.1 Sources
3.2.2 Nature des données recensées
3.3 Données entomologiques : vecteurs, gîtes et niveaux de transmission
3.4 incidence et morbidité du paludisme
3.5 Prévalence et niveaux d’endémicité
3.6 Chimiorésistance de Plasmodium falciparum
Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores.
3.7 Conclusion : Vers une nouvelle épidémiologie du paludisme aux comores ?
4 Étude de la diversité génétique et de la structuration des populations de Plasmodium
falciparum dans l’archipel des Comores
4.1 Introduction et rappels
4.2 Matériels et méthodes
4.2.1 Echantillons de Plasmodium falciparum
4.2.2 Recueil d’informations épidémiologiques
4.2.3 Procédures de génotypage
Extraction de l’ADN
Marqueurs moléculaires
Génotypage des microsatellites par polymerase chain réaction (PCR)
Génotypage de Pfcrt
Génotypage de Pfdhps et de Pfdhfr
4.2.4 Analyses statistiques
Multiplicité des populations de P. falciparum
Diversité génétique
Dérive génétique et bottleneck récent
Structuration génétique des populations
Assignement
Déséquilibre de liaison
Fréquence des mutations associées à la chimiorésistance
Mesure des corrélations entre Fst et indicateurs épidémiologiques
4.3 Résultats
4.3.1 Multiplicité moyenne
4.3.2 Diversité génétique
4.3.3 Dérive génétique et bottleneck
4.3.4 Différenciation génétique entre les îles et structuration
4.3.5 Assignement
4.3.6 Déséquilibre de liaison
4.3.7 Fréquence des mutations ponctuelles associées à la chimiorésistance
4.3.8 Corrélations entre Fst et indicateurs épidémiologiques
4.3.9 Association entre pression médicamenteuse et fréquence des résistances
4.4 Discussion
4.4.1 Hétérogénéité des populations plasmodiales de l’archipel des Comores
Rebaudet – Epidémiologie moléculaire et génétique des populations de Plasmodium falciparum dans l’archipel des Comores
4.4.2 Situation épidémiologique particulière à Mayotte62
4.4.3 Faible représentativité de la population plasmodiale échantillonnée à Marseille
4.4.4 Niveaux contrastés de chimiorésistance entre les îles mal expliqués par la structuration des populations
4.5 Conclusion : applications de ces données pour la lutte antipaludique et perspectives
5 Conclusion générale et perspectives
Bibliographie
Annexes

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