Étude archéozoologique des sites de Monsu (Colombie) et Hope Estate (Saint-Martin)

Présentation archéologique de l’île de Saint-Martin

Les premières traces de population dans les îles caraïbes se trouvent dans les Grandes Antilles, les premiers habitants des Petites Antilles étant les mésoindiens archaïques, qui n’arrivent que vers 3500-3000 av. J-C.
Les premières traces d’implantation sur l’île de Saint-Martin datent du Mésoindien (3300 av. J-C – 100 ap. J.-C.). Il semblerait que les populations ayant habité l’île à cette époque se soit implantées à proximité de mangroves ou de baies peu profondes (gisement pré-céramique de Norman Estate, site de Sandy Ground). L’abondance de mollusques dans ces zones aurait été un avantage non négligeable pour ces populations de chasseurs/cueilleurs.
À la suite de ces sites précéramiques apparaissent les premiers sites céramiques de la culture Huecan-Saladoïde (500 av. – 500 ap. J.-C., d’après la céramique) comme le site de Folle Anse (île de Marie-Galante), un grand village avec dépotoir .
Les premières populations à pratiquer l’agriculture s’installèrent donc plutôt à proximité de sources à l’intérieur des terres, sur des plateaux surélevés ayant un intérêt défensif. Hope Estate se trouve dans ce cas de figure, mais c’est également le cas d’autres sites comme Quartier d’Orléans. Il semblerait que, dans ces cas de figure, ce soit la proximité à des terres arables qui ait déterminé l’implantation de groupes humain céramistes de la sous-série Cedrosan Saladoïde et Huecan Saladoïde. Ces populations saladoïdes auraient transporté avec elles, sur les îles, de nombreux animaux natifs du continent sud-américain (agouti, chien, opossum, tatou, cerf, pécari…). Par ailleurs, tous les sites postérieurs au IXème siècle de notre ère sont localisés derrière la forêt littorale, mais à proximité des zones de pêche. Pour ces populations, l’accès à des sources d’eau douce ne semble pas avoir été une priorité, elles auraient privilégié la présence d’étangs ou de mangroves. La majorité des sites archéologiques sur l’île de Saint-Martin date de cette époque.

Histoire de l’investigation archéologique sur le site de Hope Estate

Le site a été fouillé a plusieurs reprises depuis 1987 (date de sa découverte par Michel Petit) par Haviser (1991), Henocq (1994), et Bonnissent (1995-2008), dans le cadre de fouilles programmées et de sauvetage. Ces fouilles ont permis de mettre à jour des structures d’habitat, plusieurs zones de dépotoir et une nécropole, se répartissant sur une surface de plus d’un hectare. La partie centrale du site est celle qui présente le moins de vestiges, tandis que les secteurs nord-est, sud-est et nord-ouest semblent avoir été des zones de rejet. Dans ces zones de dépotoirs, on constate l’accumulation de restes fauniques (coquilles de crabe, restes de poisson, de mammifères – en particulier de rongeurs-, coquillages marins, etc.) ainsi que de fragments d’artefacts (tessons de poteries, restes d’outils lithiques) et de traces matérielles d’activités humaines comme des cendres et des charbons.
La configuration spatiale du site de Hope Estate a été interprétée selon deux hypothèses différentes. Il pourrait s’agir de structures d’habitat encerclant un espace vide (place ?), elle-même encadrée par une ceinture de dépotoirs, comme c’est le cas dans les Grandes Antilles. Mais les habitats pourraient également avoir couvert l’ensemble du plateau, sans qu’il y ait eu d’espace vide. Les modalités d’occupation du site (permanente ? semi-permanente ?) demeurent également discutées .

Études précédentes de l’archéofaune

Comme nous l’avons dit, le site de Hope Estate a déjà fait l’objet d’une étude archéozoologique approfondie puisque 52.062 restes ont été identifiés par Sandrine Grouard. Le but de la présente étude étant simplement d’ajouter des données au corpus déjà constitué, nous allons faire un état des lieux détaillé des connaissances disponibles sur le régime alimentaire des habitants de Hope Estate.
D’après l’étude des petits vertébrés, Sandrine Grouard est parvenu à établir une liste d’espèce présentes sur le site, ainsi qu’à des conclusions sur les milieux fréquentés, l’évolution des stratégie de subsistance et les techniques de chasse et de pêche. Nous allons rapidement résumer les données disponibles sur chacun de ces aspects.
Il semblerait que la localisation du site (se trouvant sur un plateau surplombant un complexe de lagunes saumâtres) ait grandement joué dans le choix des lieux de chasse. En effet, on observe une majorité d’espèces terrestres, pouvant correspondre à celles habitant les forêts autour du site (47% du NMI), ou au complexe de lagunes/forêts (les espèces volantes représentent 11% du NMI). Pour ce qui est des espèces aquatiques, les récifs coralliens et les rochers (25% du NMI) ainsi que les chenaux (14% du NMI) sont très fréquentés. Les zones d’estran (3% du NMI) et les eaux saumâtres (moins de 1% du NMI) sont les moins fréquentées .
En ce qui concerne la saisonnalité des techniques de subsistance, ce sont les animaux à comportement migrateur qui sont plutôt concernés. Certaines espèces de poissons habitant dans les chenaux, les mangroves et les lagunes sont des espèces saisonnières, avec un rendement de chair très avantageux. De même, certaines espèces d’oiseaux migrateurs effectuent des haltes dans les complexes lagunaires. Il est donc possible d’imaginer une exploitation des différents environnements sur toute l’année, avec une exploitation constante des récifs coralliens et de la forêt environnante couplée à une exploitation plus saisonnière des plages, lagunes, mangroves, etc.
Concernant l’évolution des différentes économies de subsistance on peut distinguer differentes périodes. D’abord, une économie très riche et diversifiée dans les couches les plus anciennes, ou le spectre de faune est très large, à l’abondance équilibrée. Pour les niveaux plus récents, au contraire, on observe une spécialisation intense du système de subsistance sur le rat des rizières. Par ailleurs, même si les différents écosystèmes sont toujours présents dans chaque phase stratigraphique, il semble y avoir eu des tendances différentes selon les époques. Les proportions occupées par les espèces correspondant aux zones d’estran et aux eaux saumâtres restent stables et extrêmement réduites, mais les espèces fréquentant les milieux aériens sont plus fréquentes dans les couches les plus profondes, de même que les espèces « coralliennes ». Les espèces rattachées à la forêt, au contraire, occupent une proportion plus importante durant les phases intermédiaires, tandis que les espèces correspondant aux chenaux en eaux profondes augmentent vers les phases superficielles. L’observation des écosystèmes fréquentés confirme donc la spécialisation d’une économie de subsistance vers les espèces forestières et de « haute mer » .

Présentation de la région archéologique du Corredor Costero

Les traces d’occupation antérieures aux Périodes Archaïque et Formative (antérieures à 8000 avant notre ère environ) sont rares dans la zone du Corredor Costero et extrêmement rares dans la région du Canal del Dique. Elles se limitent à des trouvailles de surface dans le cadre de prospections pédestres, sans aucun contexte archéologique.
Ce n’est que vers 6000 avant notre ère que le registre archéologique montre des évidences d’implantation dans la région. Ces premières traces sont rattachées à une vie semi-sédentaire et à l’exploitation des ressources aquatiques (en particulier côtières).
Les sites se multiplient ensuite durant la période Formative (5500 – 500 avant notre ètre) durant laquelle la céramique et l’agriculture sont apparues et se sont diffusées sur le territoire colombien et plus largement dans le nord de l’Amérique du Sud (Groot : 1985). Le premier site datant de l’époque Formative dans cette région est celui de Puerto Hormiga, fouillé par Reichel-Dolmatoff en 1961. Il s’agit d’un amas coquillier daté de 3100 avant notre ère, ayant été interpreté comme correspondant aux débuts de la sédentarisation, en partie grâce à l’exploitation des ressources aquatiques (Reichel- Dolmatoff : 1965). Durant les décénnies suivantes, d’autres sites ont été mis à jour comme Momil (Reichel-Dolmatoff : 1974), Monsú (Reichel- Dolmatoff : 1985), Canapote et Barlovento (Reichel-Dolmatoff et Dussan : 1955).
Ces sites ont été définis comme étant des campements saisonniers, même si l’occupation s’est faite sur plusieurs centaines d’années, destinés à l’exploitation des ressources aquatiques et terrestres. Les ressources animales et végétales y auraient été transformées autant qu’acquises (Oyuela et al : 1990 ; Stahl et Oyuela : 2007).
Au sein de ce « modèle » Monsu se différencie par une relative rareté de la consommation de mollusques et la culture de racines comme le manioc (Reichel Dolmatoff : 1985).

Études précédentes de l’archéofaune

Même si la zone du Canal del Dique a fait l’objet d’investigations archéologiques depuis le début des années 1950 les études concernant les restes fauniques, ou même les systèmes de subsistance au sens large, sont rares. Les informations qui pourraient être obtenues sur les différences de conservation du matériel ou même sur les évolutions des écostystèmes au fil du temps nous est pour l’instant très mal connu (Carvajal : 2012) . Le régime alimentaire des populations précolombiennes de la région du Canal del Dique, semble avoir été composé d’aliments végétaux, mais aussi de ressources fauniques aquatiques riches en protéines (Cooke : 2008). Selon certains auteurs, la fragmentation de la ligne de côte caractéristique d’un estuaire (lagunes, plages, zones de marais, etc.) permet aux populations d’obtenir avec une relative facilité les protéines et les graisses nécéssaires (même lorsqu’elles n’habitent pas à proximité) (Bailey et Milner : 2008).
Il semblerait qu’à l’échelle du continent américain entier, les estuaires aient souvent été des points de sédentarisation et de croissance démographique, même après l’apparition de l’agriculture (alors que tubercules et maïs auraient constitué la majeur partie du régime alimentaire) (Stothert : 1985 ; Stahl et Oyuela Caycedo : 2007).

Table des matières

Introduction
Chapitre 1 : Site de Hope Estate (Saint-Martin)
1.1 Présentation du Contexte Géographique
1.1.1 Présentation du contexte géographique à l’échelle du pays
1.1.2 Présentation géographique de l’île de Saint-Martin
Relief
Hydrographie
Salinité, températures et courants
Climat
Flore et faune
1.1.3. Présentation des différents écosystèmes présents dans les deux zones d’étude
La savane
Le couvert forestier
Les marais d’eau douce/saumâtre et les lagunes
La mangrove
La plage
L’herbier
Le récif corallien
Haute mer
1.1.4 Présentation géographique du site de Hope Estate
Conclusion
1.2 Présentation archéologique du site de Hope Estate
1.2.1 Présentation archéologique de l’île de Saint-Martin
1.2.2 Histoire de l’investigation archéologique sur le site de Hope Estate
1.2.3 Cadre chronologique du site de Hope Estate
1.2.4 Études précédentes de l’archéofaune
1.2.5 Matériel employé pour l’étude
Chapitre 2 : Monsu (Colombie)
2.1 Présentation géographique
2.1.1 Présentation du contexte géographique à l’échelle du pays
2.1.2 Présentation géographique de la région du Corredor Costero
Relief
Climat
Salinité, températures et courants
Flore et Faune
2.1.3 Présentation géographique du site de Monsu
2.2 Présentation archéologique
2.2.1 Présentation de la région archéologique du Corredor Costero
2.2.2 Histoire de l’investigation archéologique sur le site de Monsu
2.2.3 Cadre chronologique du site de Monsu
2.2.4 Études précédentes de l’archéofaune
2.2.5 Matériel provenant de Monsu
Chapitre 3 : Méthodes
3.1 La collection de référence
3.2 Du tri à l’enregistrement
3.3 Méthodes de dénombrements (Nrd, NMIa, NMIf )
3.3.1 Le NR ou Nombre de Restes
3.3.2 Le NMI ou nombre minimal d’individus
3.4 La liste d’espèces et le spectre faunique
3.5 La fonction de Shannon-Weaver
3.6 Le test du χ2
Chapitre 4 : Présentation des résultats
4.1 Modalité de présentation des résultats
4.1.1 Hope Estate
4.1.2 Monsu
4.2 Descriptions des restes et leur état de conservation
4.2.1 Hope Estate
4.2.2 Monsu
4.3 Détail de la faune représentée dans chacun des sites
4.3.1 Saint-Martin
4.3.1.1 Restes présentés par classes
4.3.1.2 Actynopterigii
4.3.1.3. Mammalia
4.3.1.4 Squamates et Testudines
4.3.1.5 Aves
4.3.1.6 Lissamphibiens
4.3.1.7 Restes présentés par milieux et par écosystèmes fréquentés.
4.3.2 Monsu (Colombie)
4.3.2.1 Restes présentés par classe
4.3.2.2 Les Actynopterigien
4.3.2.3 Mammalia
4.3.2.3 Crocodilia, Squamates et Testudines
4.3.2.4 Aves
4.3.2.5 Lissamphibiens
4.3.2.6 Présentation des résultats par écosystème et milieu fréquenté
4.4 Données supplémentaires sur l’exploitation des tétrapodes
4.4.1 Âge d’abattage des rats des rizières
Chapitre 5 : Interprétation et Discussion
5.1 Interprétation des résultats
5.1.1 Hope Estate (Saint Martin)
5.1.1.1 Liste de Faune
5.1.1.2. Les tétrapodes
5.1.1.3 Ecosystèmes fréquentés
5.1.1.4 Étude de la biomasse
5.1.1.5 Saisonnalité et techniques de chasse
5.1.1.5 Exploitation des tétrapodes
5.1.2 Monsu
5.1.2.1 Spectre de faune
5.1.2.2. Les tétrapodes
5.1.2.3 Exploitation des écosystèmes
5.1.2.3 Etude de la biomasse
5.1.2.4 Saisonnalité et Techniques de chasse
5.1.2.5 Méthodes de traitement et de cuisson
5.1.2.6 Monsu au sein du monde caraïbe continental
5.2 Mise en relation des deux sites
5.2.1 Comparaison entre les deux sites
5.2.1.1 Quelles sont les différences en terme de présence/absence d’espèce
5.2.1.2 Quelles sont les différences en terme d’environnements fréquentés ?
5.2.1.3 Quelles sont les différences en terme de système d’exploitation de l’environnement (Garden hunt vs Open environment hunt ?)
5.3 Les différences peuvent elles être expliquées uniquement par une différence d’environnement ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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