ETUDE DE LA DEGRADATION DE L’ACIDE NALIDIXIQUE PAR LA NANO MAGNETITE

Dégradation oxydative d’une quinolone par la nano-magnétite via l’interaction Fe(II) / O2

Les Quinolones 

Présentation des quinolones 

Généralités : historique, synthèse et utilisation 

Les antibiotiques appartenant à la famille des quinolones, ont fait l’objet d’un usage intensif dans la médecine humaine et vétérinaire, dès les années 1960. L’acide nalidixique (NAL) est la première quinolone à avoir été synthétisée, en 1962 par Georges Lesher. Elle dérive de la 7-chloroquinoline, un produit secondaire de la synthèse de la chloroquine (Appelbaum and Hunter, 2000). De nos jours, il existe plus de 30 dérivés de l’acide nalidixique appartenant à 4 générations différentes suivant leur activité antimicrobienne (Oliphant and Green, 2002; Xiao et al., 2008) (Figure I.1). On peut classer aussi les quinolones en fluorées et non fluorées, la première quinolone fluorée étant la norfloxacine synthétisée en 1979 (Appelbaum and Hunter, 2000). Figure I.1 : Structures de 20 quinolones et fluoroquinolones, d’après Xiao et al. (2008). Leur activité antibactérienne se base sur l’inhibition de deux enzymes responsables de la réplication de l’ADN bactérien, l’ADN gyrase et la topoisomérase IV (Hooper, 1998). Elles sont généralement utilisées pour lutter contre les maladies respiratoires, les infections urinaires et génitales (Oliphant and Green, 2002) et sont habituellement éliminées par voie rénale et/ou hépatique.

Propriétés des quinolones 

Toutes les (fluoro)quinolones (FQs) possèdent : i) deux cycles aromatiques, un premier cycle pyridine et un deuxième hétérocyclique (pyridine ou pyrimidine) ou un benzènique ; ii) une fonction cétone en position 4 et iii) une fonction carboxylique en position 3 (Figure I.2). Figure I.2 : Structure de base des (fluoro)quinolones. X= CH ou N. Les FQs possèdent généralement au minimum 2 pKa (pKa1 = 5,46 – 6,31 ; pKa2 = 7,39 – 9,30) correspondant soit à l’ionisation du groupe carboxylique ou du cycle pipérazine (Ross and Riley, 1990). En fonction du pH, elles peuvent être sous formes neutre, zwitterionnique, chargé positivement ou négativement. L’acide nalidixique (acide1-éthyl-1,4-dihydro-7-méthyl-4-oxo-1,8-naphtyridine-3- carboxylique) est un acide organique faible de formule brute C12H12N2O3. Sa structure est constituée d’un noyau 1,8-naphtyridine avec un azote en position 8, substitué par un groupe éthyle en R1 et un méthyle en R2 (Figure I.3). Il a été commercialisé en France sous la marque Negram et Negram forte pour traiter les infections urinaires, les deux étant retirées de la vente en 2003 et 2005 respectivement quand d’autres traitements efficaces et moins toxiques ont été disponibles. NAL est classé dans la liste OEHHA Prop 65 comme un polluant organique cancérigène. N X R1 R2 F ou H O R3 HO O Figure I.3 : Formule développée de l’acide nalidixique. La littérature ne mentionne en général qu’un pKa pour NAL correspondant à l’ionisation du groupe carboxylique en position 3. La valeur du pKa diffère légèrement selon la méthode de mesure ; pKa = 5,95 (Ross and Riley, 1990) ou 6,02 (Starosci.R and Sulkowsk.J, 1971) pour des mesures effectuées par spectrophotométrie et 6,12 déterminé par la méthode de solubilité (Starosci.R and Sulkowsk.J, 1971). Au-dessus de son pKa, NAL est chargé négativement, alors qu’en dessous il est sous forme neutre. Cependant, l’étude de son spectre d’absorption en milieu acide a permis de mettre en évidence un autre pKa, de l’ordre de -1, par protonation de la cétone (Pavez et al., 2006). Sa solubilité dans l’eau dépend largement du pH de la solution, elle augmente de 33 mg.L-1 à 27 600 mg.L-1 pour des valeurs de pH allant de 5 à 9 (Hari et al., 2005). Cette évolution se reflète aussi dans l’évolution de l’hydrophobie, qui augmente quand le pH diminue (log Kow respectivement de 1.54, 0.47 et -1.16 à pH 5, 7 et 9) (Hari et al., 2005). 

Présence des quinolones dans l’environnement 

L’utilisation fréquente de ces antibiotiques dans la médicine humaine et vétérinaire a abouti à des valeurs significatives de leur teneur dans l’environnement. Les (fluoro)quinolones sont parmi les 5 familles d’antibiotiques (ß-lactam, macrolides, fluoroquinolones , sulfonamides, et tétracyclines) les plus détectées dans l’environnement avec des concentrations relativement élevées (Jia et al., 2012 et références incluses). Dans le cas de la consommation humaine, ces molécules ainsi que leurs métabolites, se retrouvent dans les eaux usées via les excréments. Les eaux usées sont soit déversées directement dans le milieu naturel, soit dirigées vers les stations d’épuration où elles sont traitées avant d’être rejetées. Mais les (fluoro)quinolones ne sont souvent pas complètement éliminées au cours des traitements. Elles aboutissent donc dans les milieux aquatiques, ou sont épandues sur les sols cultivés lors de la valorisation des boues des stations d’épurations. Dans le cas de la consommation vétérinaire, les résidus de médicament se retrouvent généralement dans les déchets d’élevage (lisier, fumier, etc.) qui N N O OH O comme les boues des stations d’épuration sont appliqués sur les sols agricoles. La production des médicaments implique également une pollution, à proximité des usines. Les médicaments qui ne sont pas consommés et jetés dans les éviers ou les déchets ménagers constituent aussi une voie de pollution significative. Dans ces deux derniers cas, les composés se retrouvent souvent sous leurs formes natives, n’ayant pas subi des transformations métaboliques. Des études récentes ont rapporté la présence des résidus de (fluoro)quinolones dans les sols traités par les boues des stations d’épuration (22 µg/kg) (Tamtam et al., 2011b), les denrées alimentaires (0.18-0.80 ng/g) (Chang et al., 2010; Toussaint et al., 2005; van Vyncht et al., 2002), les eaux issues des stations d’épuration (12-1208 ng/L) (Dorival-Garcia et al., 2013; Mascolo et al., 2010; Xiao et al., 2008), les eaux de surfaces (1.3-535 ng/L) (Tamtam et al., 2008; Xiao et al., 2008) et les effluents hospitaliers (Hartmann et al., 1999). En raison des problèmes de résistance microbienne, la consommation des antibiotiques est surveillée en Europe et en France. Un récent rapport conjoint de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) et l’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies) sur la résistance aux antimicrobiens chez les bactéries zoonotiques affectant les humains, les animaux et les aliments (EFSA & ECDC 2011) montre des niveaux élevés de résistance microbienne aux quinolones chez plusieurs bactéries pathogènes. Ce qui a pour conséquence la difficulté à traiter et guérir différentes maladies. En outre, d’après le projet ESAC (European Surveillance of Antimicrobial Consumption) qui collecte les données de consommation des antibiotiques en Europe, la famille des quinolones arrive en troisième position des familles des antibiotiques les plus consommées en médecine hospitalière derrière les pénicilines et les céphalosporines. En plus de l’augmentation de la résistance microbienne, certaines quinolones peuvent altérer l’activité de différents groupes de bactéries responsables de la biodégradation dans les sédiments et les eaux (Kümmerer et al., 2000). La ciprofloxacine, un antibiotique de la famille des fluoroquinolones, s’est avérée responsable de la génotoxicité des eaux usées d’hôpitaux (Hartmann et al., 1998). Des effets de photo-toxicité des quinolones ont été décrits, en relation avec la formation d’espèces réactives de l’oxygène sous irradiation (Umezawa et al., 1997; Wada et al., 1994; Wagai and Tawara, 1992a, 1992b). Il n’existe pas de réglementations spécifiques concernant les produits pharmaceutiques quant à leurs présences dans le milieu naturel. Cependant, il existe des valeurs seuils des résidus détectés dans les denrées alimentaires (UE n° 37/2010). Parmi eux, deux fluoroquinolones sont particulièrement mentionnées : l’enrofloxacine et la ciprofloxacine. 

Technologies de traitement des milieux contaminés par les quinolones

 Comme tout polluant organique, le devenir des quinolones est lié en particulier à leurs propriétés physico-chimiques telles que leur pKa, leur solubilité dans l’eau, leur photosensibilité et leur biodégradabilité. Dans le milieu naturel, deux phénomènes principaux régissent le devenir de ces polluants : l’adsorption sur les particules, sols ou sédiments, et la dégradation chimique ou biologique, résultant de processus naturels ou de techniques de remédiation. Ils sont résistants à l’hydrolyse et aux températures élevées. 

Biodégradation 

La biodégradation repose sur l’intervention de micro-organismes pour atténuer la contamination. Ainsi, de nombreux micro-organismes sont capables de dégrader ou minéraliser les polluants organiques. Les quinolones sont des polluants très récalcitrants à la biodégradation (Mascolo et al., 2010). De plus, leur minéralisation reste toujours incomplète. Par exemple, Mascolo et al. (2010) montrent que seulement 20% de la quantité initiale d’acide nalidixique est éliminée après 28 jours par un traitement biologique aérobie dans les stations d’épuration d’où la nécessité de couplage avec des traitements chimiques. Différentes études ont été menées sur la biodégradation des dérivés de quinolones. Les taux de dégradation les plus élevés obtenus étaient de l’ordre de 50% (Dorival-Garcia et al., 2013; Marengo et al., 1997; Wetzstein et al., 1999). 

Procédés physico-chimiques

  • Photodégradation 

Les réactions photochimiques constituent une voie importante d’atténuation des produits organiques dans l’environnement. Elles sont induites par l’absorption de la lumière ultraviolette ou visible. Il existe deux types de photodégradation soit directe, dans ce cas le produit absorbe lui-même la lumière, soit induite par la photoexcitation d’autres chromophores. En milieu naturel, de nombreux composés influent sur la photodégradation. Parmi ces composés, on trouve les ions nitrates, les acides humiques ou fulviques qui, selon leur nature, leur concentration et la longueur d’onde utilisée, peuvent se révéler soit inhibiteurs soit activateurs de la photolyse (Li et al., 2014). Le fer peut également être photoinducteur, par la réduction du Fe(III) en Fe(II) en formant des HO• ou par le biais du procédé Photo-Fenton en présence de peroxyde d’hydrogène (H2O2) (Sirtori et al., 2009c). Les (fluoro)quinolones sont très réactives photochimiquement avec un maximum de photosensibilité au rayonnement ultra-violet qui dépend de leur état d’ionisation et donc du pH (Pavez et al., 2006). Sous forme neutre, elles présentent un maximum d’absorption entre 255 et 275 nm (λmax ~ 258 nm pour NAL) dû à la transition n π* du carbonyl, ainsi qu’une seconde bande d’absorption moins intense entre 320 et 420 nm (λmax 325 nm pour NAL) et une bande de fluorescence entre 350 et 440 nm (Albini and Monti, 2003). Cependant, l’intensité de la lumière solaire diminue dans la troposphère à cause de l’absorption par la couche d’ozone, ce qui implique qu’aucune lumière n’est transmise à λ < 290 nm et que seule 5 à 6% de l’intensité lumineuse de la lumière solaire arrivant au sol soit photoactive. Peu de molécules organiques se dégradent par photolyse directe ; c’est la photo-dégradation indirecte qui a principalement lieu. Les FQs ayant un maximum d’absorption aux alentours de 325 nm peuvent se photodégrader de façon directe dans l’environnement. La photolyse directe de l’acide nalidixique est fortement dépendante du pH et les propriétés du solvant, celle-ci étant plus importante sous conditions acides et dans les solvants protiques qui défavorisent la formation de liaisons d’hydrogène intramoléculaires (Pavez et al., 2006). Cette photolyse conduit principalement à une décarboxylation, puis, en présence d’oxygène et via un intermédiaire hydroperoxyl, à une hydroxylation (Vargas et al., 1991). De façon annexe, il est intéressant de noter que cette réaction conduit également à la formation d’oxygène singulet, responsable de la phototoxicité du NAL et d’autres quinolones (Vargas and Rivas, 1997). La photolyse directe d’autres quinolones a également été étudiée, y compris dans des conditions réalistes par rapport à l’environnement. Les voies de dégradation prépondérantes sont l’oxydation du cycle pipérazine, la défluorination (photosubstitution F/OH) et la Ndéalkylation (Albini and Monti, 2003; Burhenne et al., 1999), ainsi que l’ouverture d’un des hétérocycles (Burhenne et al., 1999). L’importance relative des différentes voies et le  rendement quantique sont variables selon le pH, c’est-à-dire l’état d’ionisation du composé (Wei et al., 2013). La photolyse directe de l’enrofloxacine sous lumière solaire simulée a abouti à la formation de 7 composés stables à la photolyse et la minéralisation de 30% du composé parent (Burhenne et al., 1999). Cependant, la présence du carbone organique particulaire influence négativement la photodégradation des FQs en favorisant la sorption (Cardoza et al., 2005). Certains auteurs ont montré que la photochimie des fluoroquinolones est complexe, car les espèces ioniques co-dissoutes ont une influence sur les fluoroquinolones (zwitterioniques ou ioniques) à l’état fondamental et/ou excité, au travers d’interactions bi-moléculaires ou non spécifiques. Ainsi, leur fluorescence est largement influencée par la présence de cations multichargés, qui conduisent à la formation de complexe cation-ligand (voir paragraphe sorption). Cette complexation change non seulement le spectre d’excitation, mais aussi les transferts d’énergie interne, et donc les rendements quantiques (Albini and Monti, 2003). Par ailleurs, plusieurs études se sont intéressées à la dégradation de (fluoro)quinolones par différents procédés d’oxydation avancée, en particulier la dégradation photo-induite catalysée par le dioxide de titane ou le réactif de Fenton. Ces procédés se sont avérés très efficaces (Calza et al., 2008; Sirtori et al., 2009c). Les réactions et produits formés seront détaillés dans le paragraphe procédés d’oxydation avancé.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I- ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1. Les Quinolones
I.1.1. Présentation des quinolones
I.1.2. Technologies de traitement des milieux contaminés par les quinolones
I.2. Les oxydes de Fer
I.2.1. Généralités
I.2.2. La magnétite
CHAPITRE II- REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
II.1. Introduction
II.2. Fundamentals on the heterogeneous Fenton process
II.3. Fundamentals on the O2 mediated classic/Heterogeneous Fenton-like reactions
II.3.1. Homogeneous Fenton reactions
II.3.2. Heterogeneous Fenton reactions
II.4. Conclusion
CHAPITRE III- PROTOCOLES DE SYNTHESE ET METHODES ANALYTIQUES
III.1. Produits chimiques et préparation des solutions
III.2. Synthèse de la magnétite et la maghémite
III.3. Techniques analytiques
III.3.1. Phase solide
III.3.2. Analyse de l’acide nalidixique et de ses sous-produits d’oxydation
III.4. Dosage du fer
III.4.1. Dosage colorimétrique du fer ferreux
III.4.2. Spectrométrie d’émission optique avec plasma induit
III.. Analyses par Infra-Rouge
CHAPITRE IV- ETUDE DE LA DEGRADATION DE L’ACIDE NALIDIXIQUE PAR LA NANO MAGNETITE
IV.1. Développements pour la mise en place du protocole expérimental
IV.1.1. Etape d’adsorption
IV.1.2. Etape de dégradation
IV.1.3. Etape de désorption
IV.2. Dégradation oxydative de l’acide nalidixique par la nano-magnétite
IV.2.1. Introduction
IV.2.2. Materials and methods
IV.2.3. Results and Discussion
IV.3. Résultats complémentaires
IV.3.1. Suivi de la dégradation
IV.3.2. Effet de la quantité de magnétite
IV.3.3. Suivi des sous-produits issus de l’acide nalidixique en conditions Mt/O2
IV.3.4. Dégradation de l’acide nalidixique par réaction de Fenton classique
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVE

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