Introduction historique au droit

INTRODUCTION HISTORIQUE DE DROIT

UNE HISTOIRE DES DROITS

– L’histoire passe souvent pour un luxe dans les facultés de droit. En ces temps de chômage, on valorise toujours plus la finalité professionnelle des enseignements, qui s’essoufflent à suivre l’inflation des normes juridiques. Reconnaissons-le : beaucoup de professions juridiques ne requièrent aucune compétence historique. On peut être un très bon fiscaliste ou avocat d’affaires sans connaître le moindre mot du Digeste de Justinien, du Décret de Gratien, sans parler du Miroir des Saxons. De manière logique, l’enseignement du droit reflète en grande partie ce constat. On lui prescrit de s’adapter toujours plus aux demandes des milieux professionnels. Parallèlement, parmi les universitaires, dominent les positivistes, attachés à une approche purement technique du droit qui laisse loin derrière elle la nécessité d’une réflexion théorique et critique. La détermination du contenu et de l’orientation des enseignements s’en ressent nécessairement. Ajoutons que la fonction descriptive est très importante en droit : l’exposé souvent complexe des mécanismes juridiques prévaut sur leur éventuelle mise en cause. La célèbre anthropologue M. Mead disait que le candidat aux études de psychologie avait des problèmes de personnalité, celui intéressé par la sociologie ne se sentait pas à l’aise dans sa société d’origine… quant à l’aspirant à l’anthropologie, il cumulait ces deux traits. Elle avait en grande partie raison. En général, les juristes n’éprouvent guère ce genre de doutes. Mais que serait la recherche sans des âmes inquiètes ? Le droit peut servir aux sciences humaines. Aujourd’hui en tout cas, il n’en constitue pas une. Par ailleurs, il n’est nullement prouvé que, même sur un plan théorique, l’histoire serve à quelque chose. Ses partisans soulignent toujours qu’elle peut éclairer le futur. Mais le célèbre constat de P. Valéry donne à réfléchir : « L’histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne absolument rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout. Elle est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré ». L’histoire annonce-t-elle l’avenir ? Certainement, mais d’une manière qui nous demeure opaque : les historiens qui ont pris le risque le prédire se sont presque toujours trompés. Au-delà du court terme, l’enchevêtrement des facteurs engendre une complexité trop grande pour qu’on puisse tracer son évolution. Après tout, la Révolution ne devait pas nécessairement accoucher de la République : en 1789, l’opinion était hostile aux privilégiés, mais croyait toujours en la monarchie, d’ailleurs présente dans notre première Constitution (1791). Il y a plusieurs manières de parvenir à la démocratie : l’exemple anglais le montre bien, où elle naquit de la monarchie parlementaire. On peut même soutenir que si l’histoire ne prédit pas l’avenir, le présent explique histoire. En effet, nous interrogeons le passé en fonction des transformations de notre époque . Des objets de recherche nouveaux surgissent tandis que d’autres s’effacent. On s’est ainsi intéressé à l’histoire des femmes à partir des années soixante et dix ; nous nous tournons maintenant vers celle du droit des homosexuels ou des minorités, sans compter la floraison des ouvrages sur le droit musulman, autrefois parent pauvre du droit comparé. Simultanément, les commentaires de la pensée de Marx sont en chute libre. Cette posture face au passé explique la naissance de la matière à laquelle est consacré cet ouvrage : une introduction historique au droit, qui, suivant les recommandations des promoteurs de la réforme des enseignements d’histoire du droit, doit désormais accorder une place importante aux droits européens. Car la construction de l’Europe est aujourd’hui une de nos préoccupations majeures. Le présent modèle le passé : on y cherche des solutions -les intégristes poussent cette démarche à l’extrême – alors qu’il faudrait se satisfaire d’y trouver des idées… et aussi du plaisir (l’étude du passé fait voyager), ce qui ne compte pas pour rien.

LES LIMITES DE CETTE HISTOIRE DES DROITS.

– La matière ainsi assignée à notre démarche est quasiment infinie. On renoncera d’emblée à tenter de la subjuguer en sept cents pages. La tentative a pourtant déjà été faite au siècle dernier, par les auteurs évolutionnistes. Dans l’esprit du temps, ceux-ci pensaient qu’existaient des grandes lois de l’évolution valables dans toutes les sociétés, occidentales ou non. Il était donc nécessaire et suffisant de collecter toutes les informations disponibles sur  tous les droits et de classer ces données suivant un certain nombre de schémas préétablis qui révéleraient un ordre uniforme derrière l’apparence de la diversité. Les auteurs allemands (H.E. Post, J. Kohler) se sont illustrés dans cette démarche et ont  accompli un travail titanesque, malheureusement difficile à utiliser aujourd’hui en raison des présupposés qui les animaient. Non sans raison, on fait remonter à cette époque la naissance de l’anthropologie juridique moderne, dans le sens étymologique d’un discours sur l’être humain dans sa plus grande généralité. Si les auteurs allemands ont construit un évolutionnisme rigide, H. Sumner-Maine, un grand juriste anglais considéré comme le fondateur de cette anthropologie, était plus mesuré. Il croyait néanmoins en une origine commune  indo-européenne de notre civilisation, dont il s’efforçait de retrouver la trace dans l’évolution des différents droits européens depuis la matrice indienne. Quoi qu’il en soit des différences entre ces auteurs, il suffit de consulter leurs ouvrages pour constater que nous y verrions beaucoup plus aujourd’hui des historiens du droit attirés par un certain exotisme que des anthropologues. Mais au début du siècle suivant, des enquêtes menées directement sur le terrain ont montré le caractère exagérément systématique des thèses évolutionnistes, qui entreront dans un déclin rapide. De plus, la première moitié du XXème siècle européen a été dominée [15] par les nationalismes. Cette ouverture en direction des systèmes juridiques étrangers n’a donc pas duré et l’histoire du droit s’est engagée dans des perspectives principalement nationales, même si à l’heure actuelle la plupart des anthropologues du droit français ont eu une première formation d’historiens du droit (à la différence des milieux anglo-saxons). Une exception notable cependant : celle des travaux de la Société Jean Bodin, publiés sous la forme de nombreux Recueils thématiques (La femme, La ville, La coutume, La preuve, etc.), qui envisagent l’histoire des droits (occidentaux et autres) dans leur pluralité. On peut par ailleurs effectuer avec profit des incursions chez les comparatistes. Si leurs préoccupations essentielles concernent le droit positif, les données historiques ne sont pas absentes de leurs oeuvres. D’autre part, les systèmes d’origine européenne les occupent principalement et on trouvera chez eux beaucoup d’informations sur les droits de Common Law, profondément exotiques pour un juriste français. Par un chemin différent, il est donc temps de renouer avec une tradition pluraliste de l’histoire des droits. Pluraliste, et d’autant moins exhaustive. Car un ouvrage de cette dimension ne peut avoir qu’une ambition limitée par rapport aux domaines auxquels il se propose d’introduire, qui couvrent une bonne partie de l’histoire de l’humanité. Nous avons donc dû prendre le parti de laisser bien souvent le lecteur insatisfait, nous contentant d’ouvrir devant lui quelques pistes sur lesquelles il lui faudra poursuivre seul. Nous procéderons donc le plus souvent par idée générales, appuyées par quelques exemples : c’est après tout la fonction d’une introduction. La même contrainte s’impose à la bibliographie. Dans les rubriques Pour aller plus loin, situées à la fin de chaque chapitre, nous ne donnerons que quelques titres à partir desquels le lecteur pourra par ricochet élargir le cercle de ses références. Par ailleurs, dans un souci d’allègement du texte, nous avons choisi de réduire au minimum les notes de bas de pages. Quand un auteur est cité dans le corps du texte, on trouvera la référence à l’oeuvre visée dans ces mêmes rubriques bibliographiques.

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