La création légale du service de Protection Maternelle et Infantile

Les enfants, les femmes et les corps : l’émergence d’un nouveau champ en sciences sociales :

A. Qu’est-ce que l’enfance ? 

Pour tout historien qui travaille sur l’enfance et de la famille, il est évident de commencer par définir cette catégorie d’individus que sont les enfants. Longtemps perçus comme des êtres oubliés de l’histoire, les enfants font pourtant l’objet d’une attention de la part des historiens depuis plusieurs décennies.

1) Philippe Ariès, précurseur de l’histoire de l’enfance
En 1960, Phillipe Ariès publie L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime et pose ainsi les bases de l’histoire de l’enfance et de la famille. L’auteur étudie « le sentiment de l’enfance », dont il date l’apparition à l’Époque Moderne. Il appréhende, dès lors, la place de l’enfant au sein du cercle familial et éducatif en distinguant les « sociétés traditionnelles » et les « sociétés industrielles » . En posant ces termes, la particularité de la période de l’enfance est mise en lumière, autant dans l’histoire, que dans l’historiographie : « Dans la société médiévale, que nous prenons pour point de départ, le sentiment de l’enfance n’existait pas ; cela ne signifie pas que les enfants étaient négligés, abandonnés, ou méprisés. Le sentiment de l’enfance ne se confond pas avec l’affection des enfants : il correspond à une conscience de la particularité enfantine, cette particularité qui distingue essentiellement l’enfant de l’adulte même jeune.  » .

Il n’omet pas toutefois de préciser que l’enfance dont il parle est aisée, née au sein d’une famille d’élite. L’auteur est encore loin de pouvoir faire une « histoire par le bas», faute de sources . Néanmoins, Philippe Ariès revient, partiellement, sur sa théorie concernant l’absence du sentiment de l’enfance au Moyen Age lors de la réédition de son ouvrage en 1975. Il évoque une analyse trop succincte des sources. Ce point n’a d’ailleurs pas échappé à l’historien médiéviste Didier Lett, spécialiste de l’histoire de l’enfance et de la parentalité, qui a adressé à Phillipe Ariès de vives critiques. Auteur d’une thèse portant sur l’histoire de l’enfance, Enfances, Eglise et familles dans l’occident chrétien entre le milieu du 12e siècle et le début du 14e siècle : perceptions, pratiques et rôles narratifs, sous la direction de Christiane Klapisch-Zuber, il tend à démontrer que l’enfant, au Moyen Age, est bien considéré comme un être en devenir, dont il faut s’occuper et qui possède une véritable place au sein de la famille . Les nombreux travaux de Didier Lett remettent donc en cause les théories sur l’enfance au Moyen Age, développées par Philippe Ariès.

Influencé par des sociologues, des psychologues et des pédiatres du monde anglophone, Philippe Ariès suit les pas laissés par des chercheurs en sciences humaines et sociales avant lui. Grâce à ce décloisonnement, ce champ d’étude est ouvert à l’historiographie française, prémices du tournant amorcé par l’École des Annales dès les années 1960. L’histoire culturelle et ethnographique prend dès lors une place importante auprès des nouvelles générations d’historiens.

2) La montée de la considération de l’enfance et de la jeunesse
À la suite des travaux de Philippe Ariès, il apparaît une véritable mise en route intellectuelle vis-à-vis de l’enfance. Les professionnels de la santé comme les chercheurs en sciences humaines et sociales incarnent désormais la voix de l’enfance. En 1979, Maurice Crubellier fait publier son ouvrage L’enfance et la jeunesse dans la société française : 1800 – 1950 . Il est l’un des premiers historiens à traiter ce sujet, d’une part, sur la période du XXe siècle, d’autre part, et contrairement à Philippe Ariès, en étudiant une large part de la population française puisqu’il s’intéresse aux enfants des familles modestes et moyennes. Tout comme Philippe Ariès cette fois, il insiste sur les contours flous de cette période qu’est l’enfance, une période dont les limites brumeuses varient au gré de l’histoire et des milieux d’étude. Cherchant à étudier l’enfance et la jeunesse dans un cadre différent de celui qui était de vigueur au moment de la parution de son ouvrage, l’auteur étudie ces individus en dehors du cadre scolaire. Il tend à donner une image plutôt négative de l’influence qu’exerce l’école sur les enfants et développe ainsi l’idée que ce lieu est « un pouvoir à conquérir ». Force est de reconnaître l’influence qu’ont exercé les autres acteurs des sciences humaines et sociales tels que Michel Foucault et son concept de « biopolitique » pour la première fois cité en 1974, ainsi que Guy Avanzini avec son ouvrage Immobilisme et innovation dans l’éducation scolaire publié en 1976 .

Pour illustrer la montée de la considération de l’enfance il convient également de citer les travaux de la pédiatre et psychanalyste Françoise Dolto. La cause des enfants, véritable césure dans l’étude de l’enfance, met en avant les enfants en tant qu’individus à part entière, sujets d’une construction sociale complexe. Ces derniers ne sont plus seulement des êtres irrémédiablement mis en dessous des adultes du fait de leur dépendance, mais bel et bien dotés d’une conscience unique, de besoins et désirs propres. Bien que ses travaux en psychanalyse aient été importants dans la considération de l’enfance, c’est sa chronique quotidienne « Lorsque l’enfant paraît » sur France Inter qui permet à Françoise Dolto de vraiment développer l’intérêt du plus grand nombre pour les enfants. De 1976 à 1978, elle répond, aux côtés du journaliste Jacques Pradel, aux lettres que lui adressent des parents en difficulté face à l’éducation de leurs enfants. Si l’émission n’a duré que deux ans, le retentissement qu’elle a eu compense largement sa courte diffusion. En effet suite à cela, en 1990, paraissent aux éditions du Seuil trois volumes, homonymes de l’émission, reprenant les plus grandes questions posées à la psychanalyste.

Françoise Dolto donne ainsi la parole aux parents et aux enfants et fait considérer ces derniers comme des individus à part entière dès leur plus jeune âge. Il faut toutefois signaler que des psychologues et des psychanalystes ont remis en cause ses thèses concernant l’enfance. On peut notamment citer Le Livre noir de la psychanalyse de Jacques Van Rillaer. Ce dernier affirme que Françoise Dolto suit la pensée de Sigmund Freud concernant le concept de « Sur-Moi ».

B. Une histoire des femmes 

1) Femmes et mères : des entités indissociables ?
L’histoire des femmes peut être divisées en deux grandes parties. La première se développe dès le deuxième XIXe siècle grâce au concours des socialistes et tend à perdurer jusqu’au début de la deuxième moitié du XXe siècle. En France, l’historien Jules Michelet publie chez Hachette en 1859 une œuvre intitulée La femme. Dans cette œuvre transparait clairement l’idée qu’une femme est avant tout une épouse et une mère, et que son rôle se cantonne très généralement à la sphère privée dans laquelle elle reste une éternelle mineure, passant de l’autorité de son père à celle de son mari. L’auteur intitule d’ailleurs le chapitre IV de son introduction : « La femme ne vit pas sans l’homme » . Au XIXe siècle il est difficile pour les femmes de vivre d’elles-mêmes. La société patriarcale de ce siècle incite très fortement les femmes à se marier et les destine à la maternité, comble de la félicité. Le rôle des femmes dans la société se cantonne alors à la procréation, à l’éducation des jeunes enfants et aux œuvres de bienfaisance. Le titre de l’ouvrage ne ment pas, c’est bel et bien une histoire de la femme, puisqu’au sens de l’auteur la femme n’a qu’un rôle.

Cette vision de l’histoire des femmes est restée en vigueur jusqu’aux années 1960, période durant laquelle des chercheurs et chercheuses entament l’étude de travaux sur les femmes en tant qu’individus à part entière, détachés de son référent masculin. C’est la naissance d’une histoire des femmes. La mise au pluriel du terme « femmes » exprime la multiplicité des rôles qu’endossent les femmes et leur singularisation, chaque femme est unique. L’historiographie passe d’une histoire de la femme, écrite par des hommes, à une histoire des femmes écrite par ses intéressées, tout en n’écartant pas les chercheurs. Peu à peu se dessinent également les contours d’une histoire militante aux multiples aspects, enfant des idées de libération de mai 1968.

Bien que l’étude de la PMI centre la réflexion sur les femmes en tant que mères, il n’est pas inutile de rappeler que ce service tend à aider les femmes, depuis 1945, dans la recherche d’un équilibre entre vie familiale et vie en société à travers le travail et la vie publique. Il est ainsi nécessaire de considérer l’importance de l’étude des femmes dans la seconde moitié du XXe siècle afin d’appréhender l’évolution des pratiques liées à la parentalité.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : HISTORIOGRAPHIE
I. Les enfants, les femmes et les corps : l’émergence d’un nouveau champ en sciences sociales
A. Qu’est-ce que l’enfance ?
B. Une histoire des femmes
C. Une histoire des corps
II. Lier les enjeux étatiques et la protection sociale
A. Légiférer pour mieux régner
B. Une innocente protection ?
C. L’écriture du concret
Conclusion historiographique
PARTIE 2 : PRESENTATION DES SOURCES
I. Sources manuscrites
II. Source imprimée
III. Bibliographie
PARTIE 3 : ÉTUDE DE CAS
Introduction
I. Un contexte d’apparition difficile
A. Le préoccupant état sanitaire de la population au sortir de la Seconde Guerre mondiale
B. Repeupler la France
II. La création légale du service de Protection Maternelle et Infantile
A. L’ordonnance du 2 novembre 1945
B. Une existence antérieure à 1945 ? La loi du 16 décembre 1942
III. Cinquante ans de fonctionnement de la PMI
A. Des débuts mitigés
B. Fédérer des associations dispersées
C. Des missions variées réparties sur trois périodes
D. Les acteurs de la PMI
E. Les moyens financiers et matériels
Conclusion
CONCLUSION GENERALE

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