La dimension spatiale de l’intégration des immigré

La dimension spatiale de l’intégration des immigré

L’espace et le processus d’intégration des immigrés : perspectives théoriques a La dimension spatiale de l’intégration des immigrés La théorie classique de l’intégration des migrants est une théorie « aspatiale ». Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer que dans sa décomposition devenue canonique des sept étapes de l’assimilation (Alba et Nee, 2003, p.23), M. Gordon n’accorde aucune place à la dimension spatiale de cette dernière. Elle semble en effet complètement gommée par cette dimension composite que Gordon qualifiait de structurelle, qui ab-sorberait toute forme d’interaction économique et sociale entre les groupes minoritaires et les membres de la majorité ou du central core. Or, ce caractère « aspatial » du paradigme classique de l’intégration peut sembler paradoxal lorsqu’on connaît la place qu’occupe l’espace dans les travaux pionniers de l’Ecole de Chicago considérés comme les fondements de la théorie classique de l’assimilation. En effet, dans un désir de se rapprocher des sciences dures, typique de la sociologie de la période, l’Ecole de Chicago cherchait à relier les processus sociaux d’interaction et d’assimilation à la distribution spatiale, comme en témoigne le paragraphe suivant écrit par Park et Burgess 1 : « Reduce all social relations to relations of space and it would be possible to apply to human relations the fundamental logic of the physical sciences. Social phenomena would be reduced to the elementary movement of individuals, just as physical phenomena, chemical action, and the qualities of matter, heat, sound and electricity are reduced to the elementary movements of molecules and atoms. » Pour comprendre ce paradoxe, il faut examiner le lien que les sociologues de Chicago traçaient entre espace et assimilation. En effet, un des héritages les plus importants de la sociologie de Chicago peut être trouvé dans la théorie du développement spatial de la ville forgée à partir d’analyses empiriques sur la ville de Chicago présentée comme un « laboratoire urbain ». Ainsi, dans leurs travaux, Park, Burgess et McKenzie cherchent à expliquer l’organisation du milieu urbain en tant qu’unité et notamment la formation de ghettos (Park, 1925; Park et al., 1925; Park, 1952). La ville est présentée comme un organisme caractérisé par des processus de compétition ; des parallélismes peuvent ainsi être trouvés entre la vie en communauté urbaine (que Park appelle l’ »écologie humaine ») et les modèles de la science de la nature largement inspirés par les processus darwiniens. C’est dans ce contexte que se sont développés des travaux qui se fondent sur des « modèles d’invasion et de succession » pour expliquer la ségrégation résidentielle des migrants mais aussi des Noirs-Américains dans la ville. Selon ces modèles, l’installation des immigrés dans les quartiers centraux de la ville débute toujours par une période de conflit. L’assimilation désigne ainsi le processus d’atténuation de ces conflits symbolisé par le partage progressif de l’espace urbain. L’objectif de Park est de montrer qu’il existe un lien entre la distance spatiale et la distance sociale ; on pourrait ainsi évaluer l’état d’avancement du processus d’assimilation d’un groupe d’immigrés en mesurant le degré de ségrégation résidentielle de ce dernier. Park distingue les étapes suivantes de l’assimilation spatiale : l’invasion, la réaction, l’afflux et la stabilité. Il existe ainsi une sorte de continuum à la fois spatial et social entre la ségrégation et l’assimilation. Ces méthodes et modèles ont influencé pendant longtemps des travaux américains en sciences sociales sur la question de la ségrégation (Lieberson, 1961; Lieberson, 1981; Ley, 1983). Cependant, une des raisons pour lesquelles les développements théoriques du modèle classique de l’intégration, tout en revendiquant les racines de l’Ecole de Chicago, ont accordé peu d’importance à l’espace, réside probablement dans le fait que le lien entre espace et intégration ne paraissait que temporaire au regard des travaux des sociologues de Chicago. Le processus naturel d’assimilation aboutirait à la disparition graduelle des frontières sociales et spatiales entre les migrants et la société d’accueil, et partant la disparition de la ségrégation. Néanmoins, dès les années 1960, des critiques commencent à émerger soulignant la nécessité d’inscrire la dimension spatiale, et notamment les stratégies des différents acteurs en termes de distribution géographique, au centre de la question de l’intégration.

Ségrégation sociale ou ségrégation ethnique?

Lorsqu’on s’intéresse à la dimension spatiale, le mot ségrégation est difficile à définir rigoureusement. Il s’agit d’un des phénomènes sociaux les plus dominés par des prénotions, y compris dans le monde académique (Kantrowitz, 1981). On l’associe à la pauvreté ; pourtant les quartiers les plus ségrégués, statistiquement parlant, sont les quartiers riches (Maurin, 2004; Préteceille, 2006b). Aux États-Unis, alors que l’intégration socio-économique et culturelle des Européens est souvent mise en avant par le courant de l’assimilation, leur ségrégation spatiale est toujours un fait (Alba et al., 1997). On suppose qu’elle a des conséquences néfastes sur les groupes et les individus qui la connaissent ; pourtant l’exemple des enclaves ethniques dont un des plus célèbres est celui des Asiatiques aux États-Unis (Zhou, 1992), remet en cause cette appréhension exclusivement négative de la ségrégation, du moins d’un point de vue socioéconomique 4 . Une définition relativement neutre distingue deux composantes du concept : une forte spécificité sociale (culturelle ou ethno-raciale) et une frontière spatiale (Brun, 1994). Cette définition ne formule aucune hypothèse normative sur les conséquences de ce lien entre spécificité sociale et frontière spatiale. Alors qu’en France plusieurs chercheurs se sont intéressés à la traduction des frontières sociales – en termes de classes sociales ou de catégories socio-professionnelles – en des frontières géographiques, force est de constater que les travaux quantitatifs sur la ségrégation ethnique sont très rares. Ce manque de connaissance empirique contraste avec des discours politiques et sociaux de plus en plus présents sur la ghettoïsation de la France, l’ethnicisation des rapports sociaux, l’urbanisme affinitaire (Donzelot, 1999), et le séparatisme (Maurin, 2004). Ce désintérêt pour la ségrégation ethnique peut-être expliqué par divers facteurs, dont bien évidemment, la ligne idéologique du modèle républicain de l’intégration développée ci-dessus. De plus, une des raisons fondamentales réside dans le fait que pendant longtemps, la ségrégation spatiale était conçue en France comme l’expression matérielle des inégalités sociales, et notamment entre classes sociales. Les travaux de N. Tabard l’ont montré, la position des habitants dans la hiérarchie socioprofessionnelle est la première par ordre d’importance des caractéristiques qui rendent compte de la différenciation des quartiers au sein de la ville. Dans leur typologie socioéconomique des quartiers, G. Martin-Houssart et N. Tabard ne traitent pas directement de la dimension ethnique de la distribution spatiale 5 . L’idée est de montrer que la hiérarchie spatiale est toujours proche de la hiérarchie sociale.

Mesurer la ségrégation ethnique en France a L’enjeu du débat méthodologique

Parallèlement à cette réflexion théorique, on assiste à l’émergence de tout un débat méthodologique entre sociologues, économistes et géographes autour de la question de la mesure de la ségrégation. Toute une littérature s’est développée pour comparer les différentes méthodes, souligner leurs avantages et leurs inconvénients et proposer des avancées méthodologiques. Une des conclusions principales que l’on peut tirer à la suite du passage en revue de ce débat méthodologique est que la notion de ségrégation recouvre des réalités diverses et hétérogènes. Alors que pendant longtemps, le débat méthodologique s’est concentré sur la recherche du meilleur indice, aujourd’hui il existe une quasi-unanimité au sein du cercle de méthodologues qui se sont intéressés à cette question, plaidant pour un usage multiple et diversifié de plusieurs types d’indices afin de rendre compte de la complexité du phénomène étudié. En effet, la ségrégation est difficile à définir formellement. D’un point de vue général, la ségrégation spatiale correspond au degré de séparation entre deux ou plusieurs groupes dans l’espace urbain. L’idée sous-jacente est donc celle d’une inégalité de distribution d’individus appartenant à des groupes différents dans des unités spatiales prédéfinies. Cependant, cette approche générale masque la complexité inhérente à la question de la ségrégation ; les groupes peuvent être ségrégués les uns des autres de diverses manières. La littérature méthodologique a dès les années 1950 proposé des indices cherchant à appréhender les différentes facettes de la réalité ségrégationniste. Les argumentaires pour défendre l’usage de tel ou tel indice reposent sur la vérification d’un certain nombre de propriétés mathématiques gages de la robustesse de la méthode de calcul (Hutchens, 2001) 10. Dans un article qui dresse une bonne synthèse du débat méthodologique sur la mesure de la ségrégation, Massey et Denton (1988) insistent su la multidimensionnalité de la notion de ségrégation. Ils focalisent l’attention sur les insuffisances de tels ou tels indices à rendre compte de la complexité du phénomène et la nécessité de multiplier les mesures. Aujourd’hui, on distingue notamment cinq dimensions importantes qu’il est possible de séparer conceptuellement mais qui sont très imbriquées et très corrélées dans la réalité empirique. Ces dimensions sont : l’inégalité (unevenness), le contact (exposure), le regroupement (clustering), la concentration et la centralisation. 

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