La christianisation de la région de Puliyampatti
Dans la présentation de son ouvrage Le Maduré. La Nouvelle Mission (1889 : 29), le père jésuite Jean décrivait la région de Tirunelveli comme ‘l’eldorado des missions protestantes’3. Cependant, la christianisation de la région n’a pas commencé avec les missions protestantes car l’Eglise catholique y était implantée depuis le 17ème siècle. La petite ville de Kayattar située à 15 kilomètres au Nord de Puliyampatti est attestée pour avoir abrité la plus ancienne église du diocèse de Tirunelveli. Les paroisses Kamanayakenpatti et Pannirkulam auxquelles a été attachée celle de Puliyampatti avant qu’elle ne devienne paroisse indépendante en 1954 sont aussi d’anciennes fondations. Néanmoins, les différents conflits qu’ont subi les missions catholiques ainsi que les rivalités entre ces dernières ont favorisé l’expansion du protestantisme au 18ème et surtout au 19èmesiècle.
Les missions catholiques des Jésuites et Padroado : les limites de l’œuvre apostolique
Selon le Directory of diocese of Palayamkottai publié en 1989, le premier centre catholique situé à l’intérieur des terres mentionné dans les lettres des Missions de Maduré serait Kayattar. Aujourd’hui, c’est une petite ville située à une quinzaine de kilomètres au Nord de Puliyampatti d’où de nombreux patients sont originaires. Au 16ème siècle, elle était le siège du roi Pandya Vettum Perumal, vassal de l’Empire de Vijayanagar, dont le royaume s’étendait jusqu’à la Côte de la Pêcherie (Mundadan 1989 ; Thekkedath 1982)
Plusieurs rapports du 17ème siècle cités dans le Directory fournissent une évaluation de la communauté catholique fréquentant la paroisse de Kayattar dédiée à saint Jacques le Majeur (tm : Yakappan). 18 chrétiens sont dénombrés en 1644, 40 deux ans plus tard et 115 en 1653. Les années 1660 connaissent une expansion du catholicisme dans divers villages et villes de la région. Le rapport de 1666 indique que le père jésuite Rodriguez en chemin pour Tenkasi, visite plusieurs villages de la région dans lesquels il est surpris de découvrir une communauté catholique significative. Les paroisses de Kayattar, Kamanayakenpatti, Pannirkulam y sont mentionnées. Le rapport ne donne aucune précision concernant les prêtres en charge de ces paroisses. Ce n’est qu’en 1688 que l’on est informé de la présence d’un jésuite à Kayattar, le père Borghese. Celui-ci parle de quitter sa résidence pour s’établir à Kamanayakenpatti, un village au Nord-Ouest de la petite ville de Kayattar. Ayant jugé l’intérêt de la situation géographique et la tranquillité de ce village, Jean de Britto s’y était installé quelque temps auparavant et y avait fait ériger une église en 1685. Avec le père Borghese, Kamanayakenpatti devient pour un temps le lieu de résidence des missionnaires jésuites oeuvrant dans le Sud de la Mission du Maduré.
Les jésuites apparaissent dans ces rapports comme les administrateurs et les fondateurs des paroisses de la région. Cependant, on peut déceler à travers le patronage de l’église de Kayattar à saint Jacques le Majeur une empreinte franciscaine. Les historiens attribuent, en partie, la christianisation des villages de l’intérieur du Tamil Nadu aux castes converties de la Côte de la Pêcherie. Certains paravar qui forment la caste des pêcheurs la plus répandue de la côte4, avaient coutume de s’enfoncer à l’intérieur du pays pour y faire du commerce. Le royaume d’Ettaiyapuram (Ouest de Kovilpatti), ainsi que le signale Bayly (1989 : 381-382), constituait un centre stratégique et commercial important. Les villages de Kayattar et de Kamanayakenpatti étaient situés sur les axes commerciaux. Ainsi, de ce contact, seraient nés l’intérêt des castes agricoles (vellālar, nātār, maravar) pour la religion nouvelle apportée par les paravar et l’adoption de leurs saints tutélaires tels que Yakappan, saint Antoine de Padoue, promus par les franciscains, ou encore, saint François-Xavier, grande figure emblématique des jésuites5.
Durant les premières décennies du 18ème siècle, les chrétiens de Kamanayakenpatti subissent de grandes périodes de persécutions, de famines et de pillages qui les obligent à quitter la région. Le père Borghese est emprisonné en 1700 à Tirunelveli6 et la résidence des jésuites de Kamanayakenpatti est abandonnée au profit d’un nouvel établissement dans le village tranquille de Kurukkalpatti (près de Mel Nilidanallur). Le père Beschi, en charge de la chrétienté de la région entre 1713 et 1715, est également arrêté et incarcéré à la prison de Palayamkottai. Il échappe à la mort grâce à l’intervention de l’armée britannique basée dans cette ville. Une lettre annuelle écrite de la main de Beschi en 1731 informe que l’église de Kamanayakenpatti, endommagée par l’armée du raja d’Ettaiyapuram, vient d’être reconstruite. Elle est dédiée à Notre Dame de l’Assomption7. Avant sa reconstruction, cette église était déjà placée sous le patronage de la Vierge mais la statue avait été volée par un chrétien qui profita du désordre occasionné par l’arrivée de pilleurs. La légende, qui n’est pas sans parallèle avec celles qui circulent en Occident, raconte que le voleur serait devenu subitement aveugle mais qu’il parvint à se sauver8. Cette reconstruction s’accompagne les années suivantes d’un nombre croissant de conversions que les lettres annuelles évaluent entre 90 et 150 adultes jusqu’en 1746. En 1748, l’église est à nouveau détruite, cette fois par un incendie accidentel. Les paroissiens, déjà bien appauvris par les famines et les pillages, réussissent avec l’aide de leur prêtre jésuite à reconstruire l’église. A partir de 1746, le nombre de conversions décline et ce jusqu’à 1759, date qui sonne la fin de l’Ancienne Mission du Maduré après 150 années d’existence.
La dissolution de la Compagnie de Jésus étant signée par le Portugal en 1759, puis par la France en 1764, les jésuites dépendant du Padroado et de la Propaganda fide qui oeuvrent dans cette région sont contraints de cesser leurs activités apostoliques9.
En 1838, la Compagnie de Jésus est rétablie en Inde et quatre pères jésuites français sont envoyés à Madurai. C’est le commencement de la Nouvelle Mission du Maduré. Le père du Ranquet se charge de la chrétienté de Tirunelveli et le père Martin de celle de la côte de la Pêcherie10. Palayamkottai étant à cette époque le centre administratif et militaire du collectorat de Tirunelveli (anglais : Tinnevelly), cette ville est choisie pour établir le centre de la Mission du Sud. En 1850, une église dédiée à saint François-Xavier est érigée sur un vaste terrain. Elle accueille en plus des soldats irlandais postés à Tirunelveli, une communauté de basse caste d’à peine cinquante âmes. La communauté catholique indigène atteindra cinquante ans plus tard, huit cents membres (Dessal 1902 : 171). Ce chiffre atteste une faible progression du catholicisme, ralentie par les conflits internes à l’Eglise catholique et par la concurrence des missions protestantes.
A leur retour, les problèmes auxquels les missionnaires jésuites doivent faire face sont importants car la suppression de leur compagnie a freiné considérablement les progrès de l’évangélisation.
Après la suppression de leur compagnie, les jésuites français sont restés dans la Province du Maduré en travaillant sous la juridiction de la Société des Missions Etrangères de Paris. Mais faute de nouvelles recrues, cela n’a été que de courte durée. Pour remplacer les jésuites dans le Sud du Tamil Nadu, c’est-à-dire dans leurs territoires de Travancore et de la Côte de la pêcherie où la christianisation est la plus marquée, la Couronne portugaise est contrainte de déplacer des franciscains qui oeuvrent dans les provinces de sa juridiction. Ce sont ainsi 28 religieux qui sont désignés en 1759 pour s’occuper de la chrétienté de cet immense territoire (Meersman 1971 : 486). Ce chiffre dérisoire trahit les difficultés auxquelles la Couronne portugaise a dû faire face au 18ème siècle.
Si les débuts de l’implantation des Portugais en Inde avaient été prometteurs, un siècle plus tard, au 17ème siècle, ces derniers perdent leur suprématie dans l’activité évangélisatrice en Inde11 à cause de la concurrence et la répression exercées par les Hollandais12. De plus, ils essuient de multiples invasions marathi (Indiens du nord-ouest) qui les obligent à abandonner des territoires. Le déclin des Hollandais leur permet de réintégrer leurs anciennes possessions mais le renvoi des missionnaires jésuites en 1759 signe un nouvel arrêt dans les progrès apostoliques. Une fois de plus, la Couronne portugaise montre son incapacité à fournir le clergé nécessaire pour réaliser un apostolat de bonne qualité13. Cela lui vaudra, un siècle plus tard, la suppression des ordres religieux à Goa (1835) et, après le rétablissement de la Compagnie de Jésus, la réduction de ses territoires apostoliques.
Lorsque les jésuites de la Nouvelle mission se rendent dans les territoires occupés par leurs prédécesseurs, il est rare qu’ils n’aient pas de mauvaises surprises. C’est ce qu’en attestent les impressions du père Martin au cours de sa visite de la côte de la Pêcherie (Houpert 1937 : 68) :
Des grands désordres étaient devenus communs dans les villes comme dans les villages. Beaucoup d’hommes âgés ne pouvaient pas même faire le signe de croix. L’alcoolisme était répandu dans tous les rangs et les classes, même chez les femmes. L’inviolabilité du mariage était oubliée ; le concubinage semblait avoir perdu sa honte. Les dimanches étaient considérés des jours ordinaires. Dans beaucoup d’endroits, les pratiques superstitieuses et la sorcellerie étaient communes. Les revenus des églises, leur trésor, même leurs ornements et les objets sacrés étaient devenus la proie de personnes manipulatrices et avides. Dans plusieurs endroits, les chefs (de village) s’étaient arrogés des droits aussi bizarres que criminels en déchargeant le prêtre de ses devoirs sacerdotaux. Le prêtre ne pouvait pas bénir un mariage, administrer les sacrements ou présider aux funérailles sans leur autorisation. Tel furent les ravages causés parmi ces chrétiens en cinquante ans faute de service pastoral. »
La suppression de la Compagnie de Jésus, puis celle des religieux travaillant sous la juridiction des Portugais ont eu des conséquences fâcheuses sur les progrès de l’Eglise catholique en Inde. Ce contexte a favorisé l’expansion des missions protestantes et le retour à la religion hindoue. L’Islam, pour sa part, dont la présence est variable selon les endroits du Tamil Nadu, ne semble pas avoir bénéficié de la situation. C’est surtout avec le clergé du Padroado (goanais) que les jésuites connaissent les premières difficultés. Lorsqu’ils voudront regagner les territoires qui étaient anciennement occupés par les membres de leur congrégation, ils se verront refoulés. Ainsi que l’exprime le père Verdier en 1850 (Lettres des Nouvelles Missions du Maduré Tome 4 1847 : 191), le retour des jésuites français sur la scène apostolique engage une période difficile de conflits, de procès, de stratégies pour gagner des ‘âmes’ et détenir le pouvoir :
Nous avons à soutenir des luttes incessantes contre trois ennemis bien puissants, le schisme, l’hérésie et le paganisme. Le premier nous attaque et nous combat par la violence et la force ouverte ; le second, par l ‘argent et la séduction ; le troisième, par le préjugé et le respect humain. »14
La confrontation avec le clergé goanais ne s’achèvera qu’à la fin du 19ème siècle. Après l’annulation de plusieurs brefs, Grégoire XVI publie celui connu sous le nom Multa praeclare en 1838. Le texte stipule que la juridiction de la Couronne portugaise est désormais limitée aux territoires de l’archevêché de Goa. Elle se trouve ainsi privée du diocèse de Mylapore et des territoires diocésains de Cochin qui sont rattachés respectivement aux vicariats de Madras et de Verapoly. Le clergé goanais nie l’existence du texte et refuse de se retirer des territoires dont il est dépossédé. Cette désobéissance connue sous le nom de ‘schisme goanais’ devient une source d’interminables conflits avec les prêtres de la Propaganda fide15. Ce n’est que le 23 juin 1886 que Léon XIII parviendra à rétablir la paix en redéfinissant les juridictions dans un Concordat accepté et signé par la Couronne portugaise. L’archevêque de Goa est élevé à la dignité de Patriarche ad honorem des Indes orientales et acquiert le privilège de présider les conseils provinciaux de toute l’Inde. Il détient le patronage sur la province ecclésiale de Goa qui inclut les diocèses de Cranganore, Cochin et Mylapore et sur quelques régions où la présence portugaise est importante (Launay IV 1898 ; Perumalil et al. 1972 ?)
Quelques Lettres de la Nouvelle mission du Maduré retracent les conflits que les jésuites français essuient lorsqu’ils veulent prendre possession des paroisses de la Côte de la Pêcherie et de l’intérieur des terres qui dépendent de la juridiction du clergé portugais. Bien que ce clergé soit numériquement affaibli, il est représenté par les chefs de caste des villages qui contrôlent les paroisses. Aussi, la forte résistance que les jésuites de la nouvelle mission rencontrent vient de ces chefs de caste qui, détenteurs des clefs de leur église et des biens ecclésiaux, leur en interdisent l’accès16. Certainement que cette résistance a pesé dans le choix de Palayamkottai comme point d’ancrage de la mission du Sud. En dépit d’une communauté catholique insignifiante et d’une activité très forte des missions protestantes, les jésuites peuvent espérer exercer leur apostolat dans une atmosphère moins tendue. Ceci n’aurait pu être possible s’ils étaient restés à Tuticorin.
Les missions protestantes : ‘la religion des cānār’
Les premiers protestants à s’imposer dans le Tirunelveli sont Hollandais. Ils s’emparent du port de Tuticorin en 1658 et chassent les Portugais, commerçants comme religieux. Cependant, leurs intérêts étant plus centrés sur le développement commercial que sur celui de l’évangélisation, ils n’ont laissé que peu de traces de leur identité religieuse. La seule marque encore visible est le temple massif construit à Tuticorin dont ils ont remis les clefs aux Britanniques lorsque ces derniers ont pris le contrôle de la ville en juin 1825.
En revanche, les Danois arrivés un demi-siècle plus tard dans le Sud de l’Inde, manifestent une plus grande motivation pour diffuser leur religion. Frédérique IV du Danemark avait fondé la Mission de Halle en 1706 et celle-ci accueillait les volontaires protestants de toute l’Europe. Les activités évangélisatrices des Danois dans le sud de l’Inde se sont limitées à leur comptoir principal, Tranquebar. Mais, grâce aux travaux du luthérien allemand B. Ziegenbalg, les méthodes d’évangélisation de la Mission de Halle ont servi de modèle aux missions anglicanes qui se sont établies par la suite. B. Ziegenbalg s’illustre par la traduction et la publication en tamoul du Nouveau et d’une partie de l’Ancien Testament. Il fonde également quelques institutions éducatives et un séminaire.
Jayakumar (1999 : 100) montre que Ziegenbalg s’oppose à tout comportement qui est en inadéquation avec les valeurs piétistes auxquelles il adhère. Il cite un extrait d’un de ses rapports écrits en 1712 dans lequel il explique que lorsqu’un ‘païen’ décide d’embrasser le christianisme, il le somme de renoncer à toutes les superstitions en relation avec la caste et autres coutumes. Que ce soit à l’intérieur de l’église ou dans les rapports sociaux, l’adoption du christianisme implique l’abandon des coutumes hindoues et donc celle des distinctions de caste. Que la caste ait une dimension sociale et culturelle, ainsi que la définit Roberto Nobili, ne la rend pas plus conforme à l’idéologie piétiste que si elle est intrinsèquement hindoue. Cependant, ainsi que le souligne D. B. Forrester (1980 : 17-18), la théorie luthérienne mettant l’accent sur l’individu et séparant le monde social et politique du monde spirituel s’est traduite par une attitude divisée des missionnaires protestants par rapport à la caste. Une partie d’entre eux refuse son expression au sein du culte car l’organisation sociale ne doit pas interférer avec la foi tandis qu’une autre partie l’accepte du fait que la caste est considérée faire partie de l’identité de l’individu et donc du converti.
A la différence des missions catholiques, les premières sociétés évangélisatrices n’utilisent pas l’atout de la caste dans leurs travaux apostoliques. Elles ne suivent pas la démarche si contestée des jésuites qui consiste à adopter les coutumes des hautes castes pour les attirer vers le baptême et ensuite convertir les castes inférieures17. De manière générale, les protestants ne cherchent ni à introduire des changements radicaux dans la vie sociale de leurs fidèles, ni à privilégier les castes supérieures comme le font les missionnaires catholiques en leur réservant les droits de préséance et les places dans les séminaires.
La fin du 18ème siècle marque le début de la formation d’une communauté protestante dans le Tirunelveli dont on attribue la conversion à Schwartz, un missionnaire de la SPCK (Society for the Promotion of Christian Knowledge), travaillant pour la mission de Halle. Jusqu’en 1819, les Britanniques avaient interdit les activités évangélisatrices sur leurs territoires par crainte de susciter l’animosité et de déstabiliser leurs relations avec les hindous. Les missionnaires ne pouvaient s’engager en Inde que par le biais des recrutements auprès des pays européens présents en Inde (Bugge 1998 : 87; Forrester ibid. : 25 ). C’est la raison pour laquelle les missionnaires de la SPCK, société anglicane fondée en 1698 en Angleterre, se sont associés à la mission danoise de Halle pour évangéliser l’Inde. Schwartz est le premier pasteur de cette société à visiter le Tirunelveli dans les années 1770. Il convertit quelques membres de bonnes castes pour la plupart vēl l ālar, mais ce sont surtout les intouchables parayar qui répondent à son appel. Dans les décennies qui suivent, la SPCK commence à afficher une nette progression de la conversion aussi bien des vēllālar que des communautés intouchables, parayar, pallar et cānār, obtenue grâce au zèle de catéchistes recrutés par Schwartz. La nomination de deux luthériens, l’Allemand J. D. Jaenicke et le Tamoul Satyanathan pour s’occuper de l’évangélisation du Tirunelveli marque le commencement d’une période très favorable aux missions protestantes. Celle-ci s’articule sur les mouvements de ‘conversion de groupe’ au sein des castes intouchables, notamment celles des cānār et des kalla cānār. Le luthérien allemand C. T. E. Rhenius, travaillant pour la CMS (Church Missionary Society)18, nommé en 1820 au Tirunelveli est le premier à bénéficier du mouvement de conversion des cānār. Surnommé par ses fidèles ‘l’apôtre de Tirunelveli’, il s’illustre dans l’action sociale en faveur des intouchables par la création d’écoles destinées tant aux garçons qu’aux filles, dans l’aide aux pauvres et aux opprimés. Surtout, en prononçant des discours égalitaristes, il leur donne la possibilité de prendre conscience de la maltraitance et de l’exploitation dont ils font l’objet de la part des castes supérieures. Pour favoriser leur nouvelle identité, effacer les traces de leur origine intouchable et les protéger de l’oppression hindoue, il renomme les hameaux des intouchables d’un nom biblique et incite les habitants à faire de même avec leur patronyme. Il pense ainsi qu’en possession d’un nouveau patronyme, de la même manière que les vēllālar chrétiens ont changé leur nom pour s’assimiler aux eurasiens (dans le contexte, métis entre Européens et Indiens), les intouchables pourront bénéficier de postes dans l’administration.
La CMS, sous l’influence des idées évangélistes et égalitaristes portées par les pasteurs luthériens, valorise l’implication du volontariat laïque dans l’évangélisation. Cependant, quelques temps avant la mort de Rhenius en 1838, un changement d’orientation se dessine avec la nomination d’un clergé anglican adhérant aux principes de la High Church qui accordent, au détriment des laïcs, une large préférence à la hiérarchie ecclésiale dans l’œuvre d’évangélisation. Celui-ci dénie le rôle du volontariat dans l’action évangélique et insiste sur l’importance des ordres ecclésiaux dans le contrôle de l’Eglise. Néanmoins, ce changement ne semble pas avoir affecté les conversions communautaires –dénommées par certains auteurs ‘mass conversion’ (Hardgrave 1969)- qui vont s’accélérer avec l’arrivée des missionnaires de la SPG (Society for the Propagation of Gospel), une société créée en Angleterre en 1826. Dérivée de la SPCK, elle est également influencée par les principes de la High Church mais, à la différence des autres, son clergé missionnaire est cette fois anglican et non luthérien. La Couronne britannique ouvre les portes de ses colonies aux missionnaires de sorte que les sociétés anglicanes CMS et surtout SPG vont connaître un essor spectaculaire à partir de 183619. Jayakumar (ibid. : 133) justifie le rapide succès des missionnaires de la SPG par leur adhésion aux principes de la tradition de la High Church. Issus des classes moyennes de la société et possédant une éducation universitaire élevée, ils sont particulièrement soucieux de valoriser l’éducation et les formations cléricales, et à renforcer les liens au sein des communautés chrétiennes. Cependant, Jayakumar semble occulter l’impact sur l’expansion du protestantisme des moyens financiers dont les missionnaires disposent grâce aux donations de bienfaiteurs des sociétés évangélisatrices et de l’Eglise anglicane. Ce critère financier est au centre des critiques des jésuites de la Nouvelle Mission du Maduré lorsqu’ils comparent leur situation avec celle de leurs rivaux (Jean 1889)
