LA GARANTIE DE L’EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES

LA CONNAISSANCE DES CHOSES MATERIELLES

LA GARANTIE DE L’EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES

Après la garantie des évidences passées, venons-en au second cas, que nous annoncions, dans lequel entre en jeu, chez Descartes, la garantie de notre connaissance par celle que nous avons de Dieu. Il s’agit du domaine de la connaissance des choses matérielles que Descartes développe, en particulier, dans la Méditation sixième. Là encore, la garantie divine ne vient pas au secours de l’évidence, mais au secours de notre connaissance lorsque l’évidence n’est pas possible. Et elle n’est pas possible, en ce qui concerne, les choses matérielles, dans deux registres : celui de l’assurance de leur existence hors de notre pensée et celui de la connaissance de leur véritable nature à partir de leurs qualités sensibles. Nous avons vu que les évidences passées, dont les raisons qui nous les ont fait connaître ne sont plus présentes à notre esprit, ne sont plus des évidences, c’est-à-dire des représentations entièrement claires et distinctes, mais de simples souvenirs d’évidences. Elles manquent de clarté, précisément au sens où Descartes définit, à l’article 45 de la première partie des Principes de philosophie, la clarté comme le caractère présent et manifeste d’une idée. Il la décrit comme étant à la pensée ce que la présence d’un objet, agissant sur nos yeux, est à la vue604. Le défaut de présence actuelle, dont pâtissent les évidences passées, est dû à une absence de clarté. Cette défaillance de l’évidence, résultant d’un défaut de clarté ou présence, exige que nous en appelions à une garantie des évidences passées par la connaissance actuelle ou actualisée que nous avons de Dieu, comme nous l’avons vu. Qu’en est-il de notre connaissance des choses matérielles ? Si l’évidence, c’est-à-dire la représentation entièrement claire et distincte des choses matérielles par l’entremise de nos sens, n’est pas possible, ce n’est pas le plus souvent, comme pour les souvenirs d’évidences, par défaut de clarté, mais par défaut de distinction. Qu’est-ce que la distinction ? La distinction est le caractère d’une idée, dont le contenu est si précis, qu’elle ne souffre aucune confusion avec le contenu d’autres idées605. Elle ne contient rien de plus que ce qui se présente à l’esprit de façon manifeste, autrement dit, elle ne contient aucun objet ou aspect qui demeure obscur. Rien ne reste inconnu de ce qui est contenu en une idée lorsqu’elle est distincte. L’idée distincte est donc nécessairement claire et ce qui est représenté par l’idée distincte n’excède pas les limites de ce qui est clair. Autrement dit, une idée distincte est une idée dont tous les aspects sont parfaitement manifestes et présents à l’esprit. L’idée distincte est une idée totalement claire. Les évidences passées, qui ne subsistent pas au présent, ne sont pas distinctes parce qu’elles ne sont pas claires. Les perceptions par les sens des choses matérielles ne sont pas distinctes bien qu’elles soient le plus souvent claires. Elles ne manquent que rarement de clarté606, mais seulement, de distinction. Pourquoi ? En ce qui concerne leur clarté, nos pensées qui sont des perceptions sensibles n’en manquent que rarement, car elles sont parfaitement présentes à notre esprit en raison de la contrainte qu’exercent nos sens, ou plutôt les choses matérielles par l’intermédiaire de nos sens, sur notre attention. Ainsi, Descartes rappelle-t-il que les idées des choses corporelles, que je forme par l’entremise de mes sens, imposent à l’esprit leur présence : je n’ai pas le pouvoir de décider de les sentir (qui est une manière de les penser) si les choses dont elles sont les idées sont matériellement absentes, ou de ne pas les sentir si elles sont, à l’inverse, présentes : Car j’expérimentais qu’elles [les idées des choses corporelles] se présentaient à elle [ma pensée], sans que mon consentement y fût requis en sorte que je ne pouvais sentir aucun objet, quelque volonté que j’en eusse, s’il ne se trouvait présent à l’organe d’un de mes sens ; et il n’était nullement en mon pouvoir de ne le pas sentir, lorsqu’il s’y trouvait présen

UNE DÉMONSTRATION IMPARFAITE ?

Nous ne saurions, à ce stade de notre réflexion, éluder l’intérêt de la conclusion apportée par Monsieur Jean-Luc Marion à sa lecture de la démonstration de l’existence des choses matérielles présentée dans la Méditation sixième, que nous venons, à l’instant, d’évoquer. Au terme d’une analyse, aussi remarquable que serrée, du cheminement que suit le texte cartésien, Monsieur J.-L. Marion termine son commentaire par une réserve majeure : la démonstration conduite par Descartes, dit-il, n’est pas parfaitement concluante626. Autrement dit, Descartes n’aurait pas atteint l’objectif recherché. Il ne serait pas parvenu à établir que ce qui existe hors de nous et qui cause en nous nos sensations correspond bien à des choses matérielles. Pourquoi ? Parce que Descartes a précisément dû en appeler à Dieu, d’une part, et, d’autre part, parce que Dieu ne garantit rien d’autre qu’une propension ou croyance spontanée qu’institue en nous la nature, et en vertu de laquelle nous considérons les choses matérielles comme étant les causes efficientes de nos sensations. Ainsi, la démonstration élaborée par Descartes n’est qu’apparemment satisfaisante ; elle ne satisfait qu’en apparence aux critères de la rigueur logique. Pour quelles raisons ? Elle n’est pas convaincante, soutient Monsieur J.-L. Marion, parce qu’elle ne donne finalement pas accès à la réalité à laquelle se réfère et sur laquelle se fonde la valeur objective de nos idées des choses matérielles. Certes, il est établi que les choses que nous concevons comme matérielles existent hors de nous. Toutefois, nous n’y accédons pas directement, mais seulement de manière indirecte par le truchement d’un autre fondement, d’un fondement encore extérieur à cette extériorité même du monde, à savoir Dieu627. Dieu institue, dans la nature et dans notre nature, cette propension, que nous éprouvons de manière confuse, à reconnaître l’existence des choses matérielles.

Formation et coursTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *