La L.A.B. dans le temps des passions – réorientations et solidarités

LA L.A.B. DANS LE TEMPS DES PASSIONS – REORIENTATIONS ET SOLIDARITES

 A partir de 1932, la Ligue d’Action du Bâtiment ne va plus se concentrer sur le seul respect des conditions-cadres de travail. Avec le tournant pris par la conjoncture économique, son champ d’action s’élargit pour s’intéresser à l’ensemble de la condition ouvrière. Dans le même mouvement, elle réduit progressivement ses interventions d’action directe sur les chantiers, les clauses des conventions étant mieux observées. Des commissions de contrôle seront toujours dépêchées, mais avec une bien moindre systématisation. Les causes des grèves déclenchées par le syndicat de la construction le prouvent : désormais, la question brûlante n’est plus le respect des conventions, ou leur possible amélioration, mais la sauvegarde pure et simple des acquis antécédents. La Ligue se déploie alors sur deux champs principaux : dans un premier temps, la lutte antifasciste et anticorporatiste ; dans un second, la défense et l’aide active aux chômeurs. Il devient alors plus difficile de cerner les contours précis de la L.A.B. Elle officie parfois sous son propre étendard anarcho-syndicaliste, mais peut aussi bien s’intégrer à d’autres mouvements de gauche, plus composites, donnant souvent des impulsions décisives en cas de conflit. Les Ligueurs avaient acquis une certaine expérience du combat réel et entendaient la mettre à profit. Lorsque l’atmosphère sociale était chargée, l’étincelle provenait le plus souvent de l’engagement de ces militants de choc. Evidemment, il y eut des résurgences de la Ligue originelle entre 1932 et 1934, mais elles furent toujours périodiques et relativement peu importantes. Par exemple, en février 1934, le Groupe de contrôle des ouvriers sur bois est constitué, « renforcé de l’aide précieuse de quelques-uns des anciens de la L.A.B.1 ». L’Ouvrier en parle déjà au passé. Par contre, durant l’année 1935, les récits concernant la Ligue se multiplient, et l’action syndicale directe ressurgit sur les chantiers – mais une action située désormais sur le plan défensif dans une période de démantèlement des acquis. Dès octobre 1935, la L.A.B. se retrouve à nouveau activée, et les colonnes de L’Ouvrier sont pleines de dénonciations de « kroumirage2 ». Mais une autre lutte, contre le chômage et les expulsions, vient confisquer ces forces anarcho- syndicalistes. Elle aboutira à la démolition pure et simple d’une partie d’un immeuble insalubre du quartier populaire de Saint-Gervais, un froid matin de décembre 1935. Ce coup d’éclat constituera à la fois l’apogée et le chant du cygne des Ligueurs du bâtiment. Ces évolutions relativement rapides – la période couverte s’étendant sur six années – ne peuvent être comprises pleinement que si l’on y insère une problématique locale fondamentale : entre 1933 et 1936, le premier gouvernement cantonal à majorité socialiste  s’installe à l’Exécutif genevois. Dans cette partie consacrée à la dynamique de la Ligue, il faudra jauger quels étaient les rapports entre un syndicat d’obédience anarchiste, donc antiparlementaire, et un gouvernement Nicole qui entendait appliquer une politique en faveur de la classe ouvrière.

La crise économique mondiale a touché la Suisse de façon moins brutale que ses voisins européens, mais en y étant plus insidieuse et plus longue. Fait primordial, le pays connaît une arrivée différée de la crise, qui affectera pleinement l’économie à partir de 1932-1933. Les secteurs actifs dans l’exportation sont les premiers touchés. Pour le bâtiment, il est possible d’établir un déclin à partir de 1933 seulement, alors que le niveau économique du secteur retombe à ce qu’il était en 19293. Pour les anarchistes genevois, le premier mai 1932 est par exemple l’occasion de lancer un « appel aux travailleurs » explicite sur l’état de l’économie : Face à la crise, la position des syndicats se trouve affaiblie, mais les ouvriers avaient obtenu des augmentations de salaire, parfois une diminution de leur temps de travail, jusqu’au début des années trente. Ils espéraient bien faire respecter ces conquêtes récentes. Les premiers signes de la récession économique provoquent un réflexe initial offensif des syndicats et une recrudescence des mouvements. En Suisse, le nombre de grèves va toutefois être moins nombreux que celui de la période faste de la fin des années vingt, même si les grèves de 1930 à 1933 arrivent à mobiliser en moyenne absolue plus de monde5. Au niveau local, un autre exemple de réflexe offensif intervient en janvier 1932. Face aux problèmes rencontrés par sa Caisse de chômage, la F.O.B.B. genevoise lance un nouveau mot d’ordre pour lutter à la fois contre la surproduction et le chômage : « à maigre salaire, maigre travail6. » Cet appel de Tronchet s’inscrit dans la plus pure tradition syndicaliste révolutionnaire. Mais à la fin de 1932, lorsque la crise s’installe pleinement et touche toutes les couches du salariat, le syndicat doit plier l’échine et subir les événements, même si sa verve rhétorique ne faiblit pas. La problématique du chômage n’épargnait personne et ravageait aussi bien les couches sociales inférieures que moyennes (fonctionnaires, employés, artisans, commerçants).

 

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