La Politique de la ville : du multiculturalisme à la française ?

Décentralisation et territorialisation de l’action publique

Corollaire de la décentralisation politique, le processus de territorialisation de l’action publique impulsé au début des années 1980 a été l’objet de nombreux travaux. Conduits principalement dans les champs de la science politique et de la sociologie, leurs constats, au-delà des divergences d’interprétation et de jugement, sont concordants. Dans la perspective de cette étude, on peut en résumer les apports respectifs sous deux points principaux : les années 1980 voient se développer une transformation profonde de l’ingénierie institutionnelle de la République à l’origine de nouvelles formes d’action publique; ce remodelage a des effets lisibles sur les logiques d’action de l’Etat-providence, dans chacun de ces domaines d’intervention.
C’est autour de l’interrogation sur une éventuelle mutation du modèle français d’action publique que se sont organisés en la matière les travaux des politistes. Selon Olivier Borraz, on peut y distinguer trois courants majeurs20. Se rejoignant dans l’usage de la notion de gouvernance urbaine, une série de travaux s’attachent à souligner la marginalisation dans les nouvelles politiques territoriales du politique et notamment de l’Etat, appelé à devenir un acteur parmi d’autres dans des systèmes locaux de plus en plus complexes et ouverts à la société civile21. D’autres mettent en avant la dimension contractuelle des nouvelles politiques publiques, l’analysant comme l’élément déterminant des évolutions en cours. Selon ces auteurs, la contractualisation produit trois effets majeurs : elle aboutit à la construction, selon un mode procédural, d’un intérêt général localisé qui s’oppose à celui, substantiel et déterritorialisé, incarné par l’Etat national ; elle produit des droits sociaux localisés qui, inscrits dans les orientations générales des politiques publiques, constituent une “ prise de terre ” pour les droits sociaux en général, menacés de devenir lettre morte; elle permet “ de maintenir alignés ” des acteurs aux horizons et intérêts divergents. Un dernier courant d’études traite enfin des évolutions observées comme d’un processus “ d’institutionnalisation de l’action collective ”22. C’est notamment l’analyse de Patrice Duran et de Jean-Claude Thoenig qui, après la théorie de “ la régulation croisée ”, s’efforcent de proposer une nouvelle vision d’ensemble de l’administration territoriale de la République, intégrant les changements qui l’ont affectée les dernières décennies.
Pour les auteurs, le dispositif institutionnel français de gestion du territoire est à mettre en rapport historique avec le problème de l’intégration nationale. La centralisation et la hiérarchie étant des manières de gérer des univers turbulents, elles supposent l’existence d’un Etat dont les règlements s’imposent de manière uniforme et continue sur l’ensemble du territoire géographiquement défini. Dans la période récente où l’appartenance à la communauté nationale ne fait pas problème, on assisterait en revanche à une phase d’expansion et de différenciation du système politique qui conduit à une sorte de “ polyarchie institutionnelle marquée par la confrontation de pouvoirs hétérogènes et difficilement hiérarchisables ”. Ainsi, un système “ autocentré sinon hiérarchisé que structurait la domination de l’Etat […]cède le pas à un univers largement a-centrique que caractérisent l’éclatement des frontières – entre le public et le privé, entre le local, le national et le supranational – et la diversité des acteurs qui y interviennent23. Une série d’oppositions illustrent ce passage que je me propose de résumer, en suivant le développement des auteurs, à l’aide du tableau suivant.
La France des années 1950-60 est la plus proche du premier type de système politique dans lequel la puissance publique se manifeste par une prise en charge globale sinon hégémonique des problèmes. L’Etat maîtrise alors centralement la définition à la fois des questions à traiter et des solutions à apporter, le pilotage et la conduite des opérations. Son action se traduit par l’édiction de règles universalistes et le recours à des technicités autonomes.
Un autre mode de gouvernement “ pluraliste, ouvert et différencié dont l’épicentre se situe autour du traitement territorialisé des problèmes ”24 va lui succéder à partir de la fin des années 1970. Deux types de phénomènes sont invoqués comme étant à l’origine de ces mutations : la décentralisation réalisée dès 1982 par l’Etat au bénéfice des collectivités locales, la crise économique et celle de l’Etat-providence ; l’Etat manque d’argent pour prendre en charge la couverture de tous les besoins. Il laisse ainsi la place à d’autres intervenants et externalise sur les collectivités locales le coût d’une gestion rapprochée en particulier dans le domaine social.
Dans le deuxième type de gouvernement, la puissance publique intervient par la formulation de politiques que les auteurs désignent comme “ constitutives ”, à la différence de celles “ distributives ” caractéristiques de la première période. Elles se traduisent par la mise en place de procédures organisationnelles, des scènes d’échange, des contextes d’action que l’Etat investit de valeurs mais dont il délègue le traitement du contenu. Ces procédures permettent l’association d’acteurs locaux traditionnels – élus, administrations – mais aussi nouveaux – associations, professionnels sociaux – qui se mobilisent dans la négociation avec l’Etat. Il s’agit ainsi moins de distribuer des ressources de manière égalitaire que de gérer leur utilisation pour produire du développement. Depuis 1980 d’ailleurs, le Ministère de l’intérieur préfère parler de développement du territoire et non pas d’aménagement.
L’évolution de l’ingénierie institutionnelle, du rôle et de la place de l’Etat dans la production de l’action publique va de pair avec le renouvellement de ses logiques d’action – aspect davantage traité dans les travaux des sociologues. Pour Pierre Rosanvallon, “ l’Etat-providence traditionnel ” fonctionne comme une machine à indemniser ; ce fut un “ Etat-providence compensateur ”, un “ Etat passif-providence ”. Avec le déclin de la société assurantielle, il entre dans une crise philosophique qui, succédant aux crises financière et idéologique, conduit à reprendre à la racine la question des droits sociaux et à explorer les formes que pourrait prendre un “ Etat-actif-providence ”25. Dans les politiques sociales, “ la révolution discrète du RMI ” en serait un exemple : ce n’est ni une aide sociale – destinées à des marginaux, des “ cas sociaux ” – ni une protection sociale – indemnisant, des “ ayants droit ”26. C’est le passage de la notion de droit à la notion de contrat qui, d’après l’auteur, répond au souci de transformer “ les dépenses passives ” en dépenses “ actives ”, de payer des travailleurs plutôt que d’indemniser des chômeurs27.
Dans le domaine de l’action sociale, Robert Castel décrit la succession de deux politiques qu’il qualifie respectivement “ d’intégration ” et “ d’insertion ”. Les premières “ sont animées par la recherche de grands équilibres, l’homogénéisation de la société à partir du centre. Elles procèdent par directives générales dans un cadre national. Ainsi les tentatives pour promouvoir l’accès de tous aux services publics et à l’instruction, une réduction des inégalités sociales et une meilleure répartition des chances, le développement des protections et la consolidation de la condition salariale ”. Les secondes, apparues au début des années 1980, obéissent “ à une logique de discrimination positive : elles ciblent des populations particulières et des zones singulières de l’espace social, et déploient à leur intention des stratégies spécifiques ”28.
Il est possible de transposer ces analyses, comme le fait Dominique Schnapper, dans un tout autre domaine qui est celui des politiques culturelles. L’auteur montre ainsi qu’on peut distinguer à propos de “ l’Etat d’intervention culturel ” deux âges successifs généralement désignés comme “ l’action culturelle ” et la “ démocratie culturelle ”29. “ Dans le premier, qui a dominé la période 1958-1981 et qui prolongeait directement la politique du Front Populaire et du Gouvernement de Vichy, la politique consistait à agir pour démocratiser l’accès aux œuvres de culture, c’est-à-dire donner à tous les citoyens un droit égal réel pour accéder aux pratiques culturelles ”. Au nom de la démocratisation de la culture, les fondateurs des Maisons des Jeunes et de la Culture, avaient pour ambition de permettre aux classes populaires de fréquenter les manifestations culturelles dont elles étaient exclues. Dans l’âge de la “ démocratie culturelle ”, advenu à partir de 1981, “ l’Etat agit désormais pour animer et susciter la création artistique elle-même ”. Il ne vise plus seulement à assurer l’accès aux œuvres de culture à tous, mais surtout à favoriser et à encourager la création. Il est devenu acteur du monde culturel, intervenant dans la définition même des biens culturels30. Pour l’auteur, ces manières de faire qui manifestent le passage des politiques de l’égalité des chances à celles de la discrimination positive et rompent avec la conception d’un Etat libéral sont le fruit essentiellement d’une dynamique de changement endogène. Intervenant toujours plus dans les relations sociales, l’Etat est devenu de plus en plus particularisant, attaché à prendre toujours plus en compte la diversité des cas individuels. Renforcée par l’inertie bureaucratique ou encore par des facteurs externes comme ceux qui tiennent à la crise financière, cette dynamique n’en trouve pas moins sa source dans le projet proprement démocratique – assurer l’égalité réelle des conditions sociales, par-delà celle, formelle des droits31.
La transformation des logiques d’action lisible dans des interventions traditionnelles – nationales et sectorielles – de l’Etat l’est peut-être encore davantage à un “ niveau local ” où l’on assiste au développement de politiques territoriales avec pour archétype les dispositifs de la Politique de la ville et du développement social urbain. Sélective, contractuelle, partenariale, territoriale la Politique de la ville offre en effet l’exemple le plus abouti et systématisé des évolutions induites en matière d’action publique par la transformation de l’ingénierie institutionnelle de la république. Avec pour but d’apporter des moyens “ exceptionnels ” aux “ quartiers les plus en difficulté ”, elle repose sur un engagement conjoint de l’Etat et des collectivités territoriales prenant la forme d’un “ Contrat de ville ”; ses dispositifs sont ouverts aux partenaires sociaux traditionnels (CAF, CDC, FAS), mais aussi à des acteurs issus du monde économique et de la société civile (associations); en lieu et place des catégories sociales classiques, elle adopte une définition spatiale – territoriale – de l’objet de son action. Initiées au milieu des années 1970, les procédures territoriales – “ Habitat  et  Vie  sociale ”  (1976 ),  “ Développement  social  des  quartiers ”  (1982-1993), “ Contrat de ville ” (1994) ont été multipliées et renforcées tout au long des années 1980 pour être systématisées dans la décennie suivante sous l’appellation de “Politique de la Ville et du Développement social urbain”. Leur institutionnalisation progressive est ponctuée par la création d’une Délégation Interministérielle à la ville (1988) et du Ministère de la Ville (1990). La Politique de la Ville dispose aujourd’hui d’un budget se chiffrant en plusieurs milliards de francs et concerne un nombre croissant de territoires. Les recherches qui s’y consacrent montrent qu’elle a conduit à un renouvellement important des actions de l’Etat, notamment en matière sociale.
Philippe Estèbe montre ainsi une triple ligne de rupture entre l’action sociale classique et la Politique de la Ville32. Celle-ci substitue d’abord une “ logique d’interaction ” sur laquelle sont basées les démarches partenariales à une logique intercession opérant entre les travailleurs sociaux et leurs clients. À la place d’un monopole d’agents spécialisés (les travailleurs sociaux), la Politique de la ville oeuvre à “ l’institutionnalisation ”, c’est-à-dire à la diffusion de l’action sociale dans la logique de chaque institution (éducation, logement, justice, police, etc.). Une troisième rupture vient enfin consacrer les deux premières à savoir, l’irruption du politique – l’élu – clé de voûte de la transformation des situations sociales problématiques, au centre des opérations de développement social des quartiers. “ La Politique de la Ville propose en matière d’action sociale une véritable redistribution des cartes qui n’efface pas les pratiques antérieures mais les réagence, sous le triple registre du territoire, de l’institutionnalisation et du politique ”.
Que ce soit dans le gouvernement politique, l’ingénierie de l’action publique ou dans les différents domaines d’intervention de l’Etat-providence, politistes et sociologues insistent sur les changements opérés durant les dernières décennies. Qu’en est-il, dans ce contexte, des modalités de gestion de la différence ethnique et culturelle ? Ont-elles également évolué et comment ? Avant d’envisager des réponses, j’essaierais de résumer en quelques mots les principaux facteurs de changement. A suivre les développements cités mais dont la liste n’est nullement exhaustive, plusieurs points semblent récurrents.
Le passage tout d’abord d’un Etat universaliste à un Etat “ particularisant ”, voire particulariste, aux interventions non plus générales mais “ sélectives ”. S’il n’entend pas substituer l’idée d’équité à celle d’égalité comme on a pu le soutenir parfois, il se propose de corriger l’abstraction de l’égalité des chances par des actions “ prioritaires ”- “ préférentielles ”, de “ discrimination positive ”. Celles-ci ne reposent pas toutefois sur un droit, comme les mesures de la protection sociale universaliste, mais sur un contrat : on peut citer ici l’exemple aussi bien des contrats individuels d’insertion dans la mise en œuvre du RMI que des contrats territoriaux de la Politique de la Ville.
Deuxième point saillant, d’ailleurs logiquement relié au premier, est celui contenu dans la formule de “ dépenses actives ”. L’aspect en est double. D’une part, il s’agit de valoriser des ressources particulières dont sont détenteurs les individus plutôt que “ d’indemniser ”, de “ réparer ” des inadaptations dont ils sont les victimes. Il s’agit, d’autre part, que cela concerne l’Etat, les élus ou la société civile, d’adopter une posture “ active ” : coopérer, participer, contracter bref, c’est l’image de la France qui “ se mobilise ” à la place de celle qui “ s’administre ”. Une notion me semble traduire tout particulièrement ce changement de représentation et de modalités d’action qui est celle du développement. Le développement est aujourd’hui omniprésent – il est individuel, social, culturel, urbain, économique, territorial, local, durable etc. avec des combinaisons infinies de ces termes entre eux. A suivre Simon Wuhl, la notion est issue d’une problématique économique appliquée initialement aux pays contraire, sur l’autonomie, le potentiel créatif et l’implication des travailleurs dans un processus productif sur lequel ils ont une certaine prise. Transposé dans le domaine politique et social, le développement porte la même logique d’“ intervention endogène ” avec des revendications formulées localement et une possibilité de contrôle des réponses apportées. L’Etat distributeur de prestations se transforme alors en une sorte “ d’Etat animateur ”34, partenaire, propulseur qui mise sur la mobilisation de son appareil administratif, des milieux politiques locaux, de la société civile.
Les développements présentés ici soulèvent cependant une autre question. Les études commentées ont en commun d’insister sur la dynamique d’évolution, de “ mutation ”, de “ transformation ”. Le fait le plus saillant (mais aussi le plus facile à décrire) étant le changement, il me semble également nécessaire de tenir compte des éléments de continuité. Plutôt que leur succession dans le temps, j’essayerai donc de retracer ici, sur un plan synchronique, deux types d’intervention de l’Etat-providence, en parlant non d’étapes historiques mais de types d’action publique. Il s’agit ainsi de mettre en évidence, sur le mode de l’analyse idéal-typique, des principes d’action aux contours certes historiques, mais dont la cohérence est logiquement renforcée, afin d’en fabriquer des outils pour la recherche35. L’idéal-type étant dans la sociologie weberienne un instrument du jugement d’imputation, la formulation de ces deux logiques d’intervention de l’Etat-providence me permettra d’explorer ce qui, dans les pratiques actuelles, relève de nouveaux modes de gestion de la diversité.
Ce “ tableau de pensée ”, pour reprendre le terme de Weber, qui se veut un “ cadre opératoire ” pour la recherche, permet d’organiser de manière logique, autour de quelques oppositions, les éléments qui étayent l’existence de différents types d’action publique. Le premier traduit une vocation égalitaire et normalisatrice qui est celle de la société nationale par excellence; sa logique est celle de la compensation de handicaps ; son cadre politique est la République et son but ultime, l’intégration et la cohésion nationales. Le deuxième en appelle à l’idée de développement, fondé sur la prise en compte de situations particulières et la mobilisation des acteurs sociaux ; ses approches sont “ sélectives ”, organisées sur la base de contrats et de projets. Dans les termes du débat public, cette double orientation oppose des notions comme l’égalité et l’équité, démocratie et République, ou encore citoyenneté nationale à celle, participative, active, locale.
Pour s’être succédés dans le temps, les deux types d’action propres à l’Etat-providence n’opèrent pas moins de manière concomitante. En systématiser les caractéristiques permet de montrer les limites de la lecture en termes de basculement, en sorte qu’il conviendrait mieux de parler de multiplication et de sédimentation, plutôt que d’évolution ou de mutation dans le temps.
Pour ce qui est de la citoyenneté, par exemple : on a constaté, à de nombreuses reprises, le fait qu’elle soit, dans ses formes traditionnelles, dévaluée. Avec l’affaiblissement de la réalité nationale, elle fut soumise à des critiques à la fois “ par le bas ”, à travers la montée des demandes de reconnaissance, et “ par le haut ”, par des processus d’organisation politique supranationale dont la construction européenne est l’exemple par excellence. On lui a opposé une série d’alternatives que traduisent les termes de “ citoyenneté sociale ”, “ post-nationale ”36, “ locale ”. Mais si ces notions bénéficient d’une audience politique et “ intellectuelle ”, force est de constater qu’elles manquent pour l’heure de consistance. La citoyenneté européenne n’est que la conséquence de la citoyenneté nationale. Quant à la citoyenneté “ locale ”, elle serait à assimiler essentiellement à une mouvance d’idées et d’expériences, développées déjà depuis le siècle dernier, mais conçues
sur un mode assez flou, en l’absence de redistribution juridique du pouvoir, comme la “ participation des habitants aux processus politiques locaux ”.
Cette remarque vaut pour le débat qui oppose égalité et équité. La notion d’équité, même si elle est représentative d’une nouvelle logique d’intervention de la puissance publique, souffre aujourd’hui d’un manque de légitimité ; elle est même utilisée comme terme-repoussoir. La valeur de l’égalité à travers l’accès aux droits civils, sociaux et politiques est, en revanche, très largement réaffirmée et demeure une fin et l’horizon de valeurs explicites de l’action publique. Les mesures préférentielles ou exceptionnelles dites de “ discrimination positive ” qui visent à corriger “ une égalité des chances en panne ” ne sont dès lors envisagées que comme un “ renforcement provisoire ” du “ droit commun ”37. De plus, ces moyens exceptionnels mobilisés temporairement par l’Etat ne constituent pas un droit comme ceux qui découlent du système de protection sociale universaliste. Ils reposent, comme je l’ai souligné plus haut, sur des engagements contractuels contingents de projets particuliers.
L’idée de discrimination positive appelle enfin une autre série de remarques. Son “ invention ” n’est pas aussi récente qu’on aurait tendance à le croire, même si ses usages institutionnels sont allés en se systématisant38 ; elle n’est pas nécessairement contradictoire avec un certain universalisme républicain : comme le rappelle Robert Castel, parmi d’autres, l’aide sociale a toujours fonctionné selon les principes de la discrimination positive39. A la différence de la protection sociale, universaliste, qui rétribue l’individu pour son inscription au sein du système productif – l’assurance-chômage par exemple – l’aide sociale ou l’assistance est une aide essentiellement “ politique ”, attribuée pour “ garantir la cohésion sociale ”. La plupart des minima sociaux en sont des exemples.
Pour être apparus de manière successive dans le temps, ces deux types d’intervention publique ne sont donc pas moins mobilisés à l’heure actuelle de manière concomitante. Les politiques de l’insertion n’ont pas remis en cause mais complété le système de protection sociale. Les procédures contractuelles de la Politique de la Ville ne sont que le renforcement parfois la mise en cohérence des moyens de “ droit commun ”, mobilisés par les administrations et les collectivités territoriales. De plus, ces deux types d’action par lesquels se manifeste la puissance publique sont pour l’heure parfaitement hiérarchisés. Là où le premier reste investi d’une légitimité incontestable et demeure l’horizon de valeurs indépassable de la société, le deuxième est conçu comme un “ moyen au service de ”, une manière d’atteindre des objectifs réaffirmés qui sont ceux de l’égalité et de la cohésion nationale. “ Le débat opposant égalité et équité est mal posé aussi longtemps qu’il place les deux notions sur un même plan et nous impose de choisir entre deux valeurs de même ordre. Par contre, s’il est entendu que l’égalité constitue une fin, un horizon, et l’équité un moyen, il devient dès lors possible et souhaitable de les associer au sein d’une même démarche ” – écrit dans cet esprit Michel Wieviorka40.
Pouvons-nous lire cette double approche dans le traitement social et politique de la différence ? Les politiques de l’intégration qui acceptent “ sans arrière-pensée qu’il subsiste des spécificités notamment culturelles ”, mais mettent l’accent “ sur les ressemblances et les convergences dans l’égalité des droits ”, sont à mes yeux emblématiques de la première manière d’agir. La deuxième qui implique une approche différentielle et communautaire existe-t-elle en matière d’ethnicité ? Quelles formes prend-elle lorsque le discours politique et social demeure celui de l’intégration par l’universel républicain ?

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