La Région administrative et la gestion des transports

La Région administrative et la gestion des transports

La question régionale revêt de nombreux aspects et fait appel à différents domaines. Nous étudierons ici la genèse des Régions françaises dans un cadre institutionnel et idéologique, afin de comprendre cette « tectonique des territoires » définie par C. Lacour, régionaliste convaincu, comme la synthèse du besoin de différenciation territoriale qui justifie toute organisation spatiale. Nous verrons ainsi dans quel esprit ont été déterminés les périmètres de gestion des Régions administratives françaises. Puis, nous étudierons la gestion du transport régional dans le cadre institutionnel français, afin de mettre en évidence l’importance du rapport entre les périmètres régionaux et les compétences actuelles de gestion de transport attribuées aux Régions. Il s’agira ici de comprendre le processus politique et idéologique qui a progressivement amené les Régions dans la position de décideur en matière de transport régional.

La Région administrative, un cadre institutionnel en dehors des réalités de gestion de la mobilité quotidienne

 Le processus de régionalisation 

« L’effort multiséculaire de centralisation qui fut longtemps nécessaire à notre pays pour réaliser et maintenir son unité, malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain ! » C’est ainsi que le Général de Gaulle, résumant l’intérêt politique et économique des régions en France lors d’une allocution à Lyon en 1968, préparait la réforme qui devait suivre. L’unité française, laborieuse à travers l’histoire, en raison de sa très grande diversité culturelle, a en effet nécessité un certain rejet de l’idée de régionalisation. En effet, ce concept implique une certaine autonomie dans différents domaines des divisions créées, néfaste à la construction d’une identité fédératrice. La nécessité d’un pouvoir décentralisé a donc mis du temps à s’imposer en France. Très tôt, la monarchie a établi un système centralisé parce qu’elle s’est construite dans la lutte contre les féodalités locales. La révolution n’a pas freiné ce processus avec une nouvelle centralisation clairement voulue par le courant Jacobin ; processus encore renforcé sous Bonaparte et jusqu’à une date récente [Deyon, 1996]. Ainsi, en réponse aux dysfonctionnements et excès de ce système, un mouvement idéologique affirmant l’existence d’entités régionales et revendiquant leur reconnaissance, le régionalisme, est apparu. Malgré quelques balbutiements dès la révolution chez certains intellectuels ou quelques courants politiques plutôt situés à droite du paysage politique, le régionalisme prend de l’ampleur durant la première moitié du XXè siècle. On voit dès cette époque apparaître des tentatives de délimitation de régions pour des objectifs de gestion. Toutefois, parler dès cette époque de régionalisation paraît un peu prématuré, aucun transfert de compétence n’ayant suivi ces propositions. On peut pourtant relever une action d’importance dans ce processus avec la création des commissaires régionaux de la république à la libération. C’est surtout l’émergence, parallèle à la reconstruction, de la prise de conscience des inégalités régionales qui consacre le régionalisme et impose la Analyse des périmètres régionaux dans la mobilité quotidienne 41 nécessité de proposer des solutions. C’est à cette époque que J.-F. Gravier titre son ouvrage Paris et le désert français (1947) et cristallise ainsi l’idée d’un déséquilibre national fort et d’un centralisme handicapant pour l’ensemble du territoire. Cette conception du territoire français aboutit en 1956 à la création de 22 régions de programme. Peu après, leur nombre est réduit à 21 par la création d’une grande région Rhône-Alpes en remplacement des deux régions qui la composaient (figure 6). Cependant, à cette époque, leur rôle est purement économique ; et ces nouvelles entités ne constituent ni un pouvoir politique ou administratif, ni un périmètre de réflexion pour de futurs plans d’aménagement du territoire. L’idée de décentralisation voit le jour en 1968, avec la volonté du général de Gaulle de transférer certains pouvoirs à des assemblées régionales élues. Mais ce projet est rejeté par referendum en 1969.

Les régions sont tout de même légitimées en 1972 avec la création des établissements publics régionaux, bénéficiant d’assemblées élues au suffrage indirect, trouvant leur action limitée au seul secteur économique et jouissant de moyens financiers très limités. La véritable avancée en terme de régionalisation a lieu en 1982 avec la réforme régionale mise en œuvre par G. Defferre, alors ministre de l’intérieur. La Région devient alors une subdivision administrative à part entière représentée par une assemblée élue au suffrage universel direct avec un président de conseil régional. L’entité Région voit alors son éventail de compétence grandement élargi. Dans un esprit de continuité, la région conserve les tâches de planification économique qui lui étaient déjà dévolues : la gestion d’aides aux entreprises et la conduite des actions de développement économique constituent la trame principale de ce volet. En matière d’aménagement du territoire, la Région a en charge l’élaboration du plan d’aménagement régional et négocie la dotation de l’Etat pour mener à bien les opérations envisagées. Enfin et surtout, elle a en charge la création et la gestion et l’exploitation des infrastructures de communication. Toutefois, elle partage cette compétence sur certains aspects plus précis avec les départements ou les communes. Nous détaillerons plus tard l’ensemble de ces compétences et les problèmes qui en découlent.

La problématique de délimitation d’espaces régionaux 

Le découpage réalisé en 1956 et proposant les 21 régions de programme encore effectives aujourd’hui a une incidence directe sur la problématique de gestion des transports qui nous intéresse ici. En effet, dans le cadre de la décentralisation des transports, c’est ce découpage qui a été retenu pour définir les périmètres de gestion des transports. Il est donc tout a fait intéressant de comprendre dans quel esprit et pour quelles finalités de départ a été pensé cette délimitation. La carte des Régions de programme a été conçue par une commission spéciale de fonctionnaires du commissariat général au Plan. Elles ont été élaborées à partir de certaines règles. Elles devaient en premier lieu être composées de départements et ne pouvaient donc pas scinder en plusieurs parties un même espace départemental. Chaque région devait également vérifier la condition d’une population « suffisante » d’au moins un million d’habitants pour justifier la mise en place de certains services dans chacune des entités régionales. Enfin, Analyse des périmètres régionaux dans la mobilité quotidienne 43 une ville d’une certaine importance et pourvue d’un rayonnement suffisamment large devait être présente sur ce territoire voire devait le fédérer. Ces normes n’ont cependant pas toujours été respectées : certaines régions (le Limousin et la Franche-Comté) ne répondaient pas au seuil minimum d’un million d’habitants ; et une capitale forte et fédératrice n’apparaissait pas dans chaque région proposée. La conception de ces régions a plus relevé, en fait, d’un découpage autour des centres de polarisation théorique que de la délimitation d’espaces de vie ou de tentatives de compréhension d’un territoire vécu. Toutefois, certaines régions ne correspondent à aucune logique évidente, comme la région Pays de la Loire qui ne trouve une justification de ses limites ni dans l’histoire, ni dans la zone d’influence de sa capitale, Nantes. Dans le contexte plus précis du Grand Est, le découpage régional a été fondé sur un appui historique beaucoup plus fort que dans le reste de la France. On retrouve en effet une marque très claire des anciennes provinces (figure 7). Dans cette partie du territoire français, les départements, mis en place à la révolution, suivaient déjà les frontières des anciennes provinces ; ce qui peut expliquer la relative similitude avec les régions de programme. On note toutefois quelques différences notables. Car même si l’Alsace et la Lorraine ne subissent quasiment aucune modification de leur territoire, la province de Bourgogne, tournée vers le sud et l’est, voit son territoire se développer vers l’ouest en annexant une partie du Nivernais et de l’Orléanais. La FrancheComté voit Belfort rattachée à sa région principalement pour augmenter le poids démographique de cette dernière. Quant à la grande région Rhône-Alpes voulue par le Commissariat général au Plan, elle définit une aire d’influence lyonnaise orientée vers les Alpes et le long de la vallée rhodanienne au sud. On voit donc un découpage qui tente plus d’équilibrer que de comprendre le territoire national.

La décentralisation et les transports 

La centralisation extrême que nous venons de voir sur le territoire français induit également une autre dimension pour les transports, principalement pour les transports ferrés. En effet, à la différence du réseau routier, il n’a jamais été question jusqu’à une date récente, de fournir sur l’ensemble du territoire français un service ferroviaire, mais bien de connecter l’ensemble du pays à sa capitale. La figure 8 illustre ce propos en présentant la trame principale du réseau ferré français actuel. L’encart numéro 1 montre comment a été pensé et conçu cette « étoile ferroviaire » et à quel point l’agglomération parisienne a aspiré à elle l’ensemble des ramifications du réseau. Ainsi, la politique de mise en place d’un réseau à grande vitesse, plus centralisé encore que le réseau ferré traditionnel (figure 9), a peu à peu pris le pas sur une orientation plus tournée vers un service ferroviaire régional de qualité et répondant aux attentes des populations locales. Ainsi, « le temps économisé, à un coût élevé pour la collectivité, [est] gaspillé dans l’inefficacité des transports complémentaires. (…). Il existe vraisemblablement dans bien des réseaux régionaux des gisements de productivité considérables que la fièvre du TGV peut faire juger aujourd’hui inexploitables ». [PLASSARD, 1994]. Un développement et un renouveau de gestion sont donc apparus comme nécessaire pour les transports à une échelle régionale. C’est dans ce cadre que la régionalisation du transport régional de voyageurs a été mise en place. Pourtant, il ne faut pas se laisser aveugler par les besoins territoriaux correspondant à cette réforme et bien remettre cette réforme dans son contexte, qu’il soit économique ou politique, pour en comprendre l’exacte finalité.

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