La rencontre des enfants et de leurs parents migrants

La rencontre des enfants et de leurs parents migrants

La diversité linguistique des enfants de migrants, quelle approche des professionnels ?

En ce qui concerne l’approche que les professionnels ont par rapport au bilinguisme des enfants de migrants, il y a deux conceptions : d’un côté les deux directeurs qui considèrent que maîtriser la langue maternelle représente un atout dans l’apprentissage du français, et donc, dans une certaine mesure cela facilite leur travail avec ces enfants ; ils encouragent les parents de parler leur langue à la maison, comme l’affirme Pierre : 233 « (…) il y a ceux [les enfants] qui ne la maîtrisent pas, pour nous ça va être plus simple d’apprendre le français aux enfants qui maîtrisent leur langue maternelle, parce que quand ils maîtrisent une structure linguistique pour eux il est plus simple de maîtriser une seconde langue, de faire le passage. Là où on va avoir plus de mal c’est pour les enfants qui maîtrisent même pas leur langue maternelle, là c’est très compliqué et c’est souvent pour ça, nous ont dit aux parents de continuer à parler à la maison dans leur langue maternelle. » (Entretien enseignant Pierre) De l’autre côté, Stéphanie considère que parler exclusivement d’autres langues dans le cadre familial peut représenter un frein dans l’apprentissage du français : elle conseille donc aux parents qui lui demandent son conseil de pratiquer le plus possible le français à la maison. Les ATSEM qui ont participé à l’entretien soutiennent la vision de l’enseignant de leur classe respective. Adrien essaye même de faire appel aux connaissances des enfants pendant les évaluations en demandant aux mères de traduire : par exemple compter en arabe au lieu de compter en français. Pierre, au contraire, affirme ne pas avoir de compétences en langue étrangères, raison pour laquelle ne met pas en place des activités ou des pratiques en lien avec le plurilinguisme de ses élèves. Il s’appuie sur l’aide de l’ATSEM Leila, arabophone, qui agit comme un « relais » (Garnier, 2008) pour communiquer avec les parents qui ne maîtrisent pas le français et qui parle l’arabe. Bien que les deux directeurs ne soient pas contre une mise en place des activités qui enseignants utilisent les moyens propres à chaque contexte pour mieux collaborer avec les parents. Ainsi, Pierre fait appel à Leila, l’ATSEM de l’école B, arabophone : « C’est vraiment histoire que les propos soient bien compris. Il m’arrive de faire appel à Leila parce que je veux être sûr que le discours (…) soit bien passé. Quand on a quelque chose à dire aux familles ou les familles ont quelque chose à nous dire… passer par la langue arabe pour être compris, ça ne me pose pas de problème ; parce qu’il faut se rappeler qu’on est ici à S, dans le quartier M. » (Entretien enseignant Pierre) Outre la facilité de communication, accepter les langues familiales dans l’école représente pour Pierre une modalité de montrer le respect envers les parents d’un côté, et des enfants d’un autre. Il déclare : « Si c’est plus facile pour les gens se faire comprendre, il y a pas de problème, j’ai pas de problème par rapport à ça, et quand tu parles de relation bienveillante avec les familles, c’est aussi ça – leur permettre de s’exprimer dans leur langue maternelle. On a des enfants issus des communautés étrangères, lorsqu’ils arrivent, ils ne parlent pas le français. Ce que je dis aux familles à la maison : continuez à parler vos langues, parce que la culture du gamin est primordiale, et c’est une vraie chance de parler une langue étrangère. Et leur langue maternelle n’est pas forcément le français, même s’ils sont nés en France, ça reste l’algérien, le tunisien, peu importe. Il faut être bienveillant avec les familles. » (Entretien enseignant Pierre) Adrien et Sana affirment devoir trouver des solutions surtout dans la communication avec les parents turcophones, qui ne parlent pas le français : « des fois c’est difficile de communiquer avec eux, s’il y a pas quelqu’un dans l’école qui parle le turc, c’est compliqué de leur expliquer. On est international ici », déclare l’ATSEM Sana. Les deux soulignent leur attitude positive envers les langues familiales et le directeur ajoute : « Dans un souci d’intégration en France c’est bien qu’ils se mettent à apprendre le français à un moment ou un autre, mais nous n’avons pas d’attente particulière, ils ont aussi leur vie privée, ils doivent s’occuper des enfants, ils doivent travailler, il y a pas le temps ». Stéphanie considère que le manque de communication en français de certains parents, par exemple la mère de Daphné, pourrait correspondre à un manque d’intérêt de leur part pour l’éducation de leurs enfants. Avec les enfants qui ne parlent pas le français en début d’année scolaire, elle utilise des méthodes pour pouvoir communiquer avec eux : « On peut pas non plus les forcer à parler, donc on va essayer de les inciter avec des jouets, avec des choses qui les interpellent, on joue sur l’émotion, on utilise les poupées, les voitures, des choses comme ça. Ça peut marcher bien au début car ils 238 découvrent l’école. Il faut pas non plus trop les brusquer, et les forcer à parler. S’ils ont pas envie je les laisse, je sais qu’à un moment ou un autre ça va venir… » (Entretien enseignante Stéphanie) 

Des pratiques linguistiques hybrides non reconnues

Les pratiques linguistiques des jeunes enfants de migrants au sein de l’école ainsi qu’à la maison sont au centre des analyses de cette thèse. Les sept portraits présentés soulignent quelques grandes lignes en ce qui concerne l’utilisation des langues familiales et du français. La conclusion générale consiste dans ce constat principal : d’une manière régulière ou pratiquées comme un éveil, les pratiques linguistiques des enfants de migrants sont hybrides, c’est-à-dire qu’ils sont immergés dans des contextes linguistiques caractérisés par l’utilisation de deux ou plusieurs langues. Ainsi, le portrait 1 montre Nassim, un enfant qui parle peu en général, à l’école, comme au sein de la famille. Avec son frère aîné, ils sont capables de comprendre l’arabe ainsi que le français, mais depuis la fréquentation de l’école maternelle, ils privilégient le français, au point de refuser de répondre en arabe à leur mère. Le portrait 2 montre trois enfants qui circulent aisément entre la pratique du français, qu’ils apprennent à la fois avec les membres de la famille et à l’école maternelle, et la pratique des langues familiales avec les parents et la fratrie. Ainsi, Ali parle couramment le turc, Sana et Inass, l’arabe ; les trois sont à l’aise en français, un niveau d’apprentissage appréciés par leurs enseignants qui observent leur progression depuis le début de l’année scolaire. Le portrait 3 présente un cas particulier, celui de Daphné, une fille dont sa mère ne parle pas du tout le français. Les débuts de sa scolarisation se caractérisent par des silences, elle ne parlera en français qu’à partir de la deuxième année, en moyenne section. Quoique son niveau en turc est bon, la présence des turcophones dans son école n’est pas utilisée par les professionnels à son avantage, au contraire, son enseignante préfère que ses élèvent n’utilisent pas d’autres langues que le français au sein de la classe. Le portrait 4 met en lumière la situation linguistique des 243 enfants de migrants qui sont assimilés au français, et qui ne maîtrisent pas la langue familiale. Leurs parents vivent en France depuis longtemps, ou un des parents est français. Les langues familiales sont peu ou pas du tout transmises, notamment comme un éveil linguistique. Le portrait 5 montre la volonté des familles d’apprendre le français, à la fois en prenant des cours et d’une manière informelle à travers les conversations avec les enfants, dès leur entrée à l’école maternelle. Quoique bi ou plurilingue, les enfants de migrants sont évalués à l’école seulement en fonction des performances linguistiques en français, qui souvent ne sont pas à la hauteur attendue par les professionnels. Outre une communication plus accentuée à travers le corps, le portrait 6 présente des enfants dont les familles sont francophones, originaires des pays ex-colonies françaises. Pour ces familles, l’apprentissage de la langue française est en fort lien avec une réussite à l’école et plus tard dans la vie professionnelle. Les langues familiales, quoiqu’utilisées dans le cadre domestique, sont considérées comme secondaires, voire sans valeur dans la société française. Cette conception est accentuée par les impératifs scolaires concernant l’apprentissage du français. Le portrait 7 montre l’importance d’une langue commune, l’arabe dans ce cas, dans les relations qui se tissent entre les enfants qui fréquentent la même école et leurs parents, qui se développent en dehors de l’école, lors des rencontres autour des repas traditionnels. Maya et Hanna circulent aisément entre les pratiques linguistiques et culturelles familiales et celle scolaires et plus largement de la société françaises. Pourtant, la question des langues abordée pendant la visite guidée provoque des silences chez Maya, qui paraît déjà comprendre que seul le français est mis en valeur dans le cadre scolaire. Ces résultats montrent que la diversité linguistique n’est pas prise en compte à l’école maternelle, et dans certains cas elle est écartée sous l’argument de la réussite scolaire des élèves. Les enfants bi ou plurilingues au lieu d’être considérés comme ayant une richesse linguistique et culturelle, sont en difficulté langagière face à ceux qui utilisent exclusivement le français à l’école, comme à la maison. L’hybridation des répertoires linguistiques et culturels se fait à leur détriment. L’observation des enfants à différents niveaux en langue française montre que l’école maternelle impose des rythmes d’apprentissages homogènes, qui ne sont pas adaptés aux spécificités de chaque enfant.

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