La stabilisation des rôles et pratiques au sein d’arrangements alimentaires une typologie

La stabilisation des rôles et pratiques au sein d’arrangements alimentaires une typologie

Afin d’avoir un meilleur aperçu des mécanismes de mise en commun conjugale des pratiques alimentaires décrits au cours du chapitre précédent et en première partie de celui-ci, et d’amorcer l’analyse des enjeux genrés concernant les organisations qui en découlent (cœur des chapitres suivants), nous proposons ici une typologie de ce que nous appelons les « arrangements alimentaires conjugaux » observés dans l’enquête. La typologie, sensible au genre afin de rendre possible les analyses qui suivront , a été réalisée selon la méthode « des tas », c’est-à-dire d’une façon très inductive, avec en arrière-plan des interrogations quant au rôle du genre dans la répartition des rôles alimentaires et dans les conséquences alimentaires de la mise en cohabitation. Le choix de cette méthode typologique est exposé dans l’encadré ci-dessous. La typologie est organisée selon trois grands principes. Les variations en matière d’investissement général dans les enjeux alimentaires produisent sa structure générale. Il apparaît en effet que certains couples consacrent beaucoup d’attention à leur alimentation, une attention traduite dans le temps consacré aux tâches mais aussi aux discussions conjugales portant sur l’alimentation. Chez ces couples, le domaine alimentaire est une activité support du lien conjugal. La cuisine étant une tâche actuellement relativement valorisée, cet investissement alimentaire se traduit par l’attachement d’au moins un·e partenaire à la cuisine. Ces couples, au nombre de sept, forment un premier groupe (1). Pour la majorité des couples rencontrés en revanche, l’alimentation est un domaine plaisant du quotidien, mais qui ne se voit pas réserver une attention exceptionnelle, et est davantage vue comme un ensemble d’activités domestiques nécessitant du consensus. Les onze couples concernés sont rassemblés dans un deuxième groupe, et leur répartition des tâches alimentaires et les changements alimentaires liés à la mise en cohabitation doivent chez elleux être analysés plus en détails (2). Pour les huit couples restants, l’alimentation n’est pas spécifiquement investie volontairement, mais les différences originelles de pratiques entre les partenaires sont telles que l’alimentation prend inévitablement une place importante pour le couple, la répartition des tâches et les spécificités alimentaires découlant de la gestion de ces divergences (3). Ensuite, cette typologie tient compte de la convergence ou divergence des consommations alimentaires : les partenaires partagent-ils leur alimentation ? Si oui, lequel ou laquelle des deux semble s’adapter le plus ? Sur quels aspects ? Certains couples présentent en effet dès le départ une assez forte similitude dans les pratiques et attentes, et une évolution conjointe au moment de la mise en cohabitation, d’autres des pratiques très différenciées. Face à ces différences, plusieurs attitudes des partenaires sont possibles (résistance, conciliation, adoption des attentes de l’autre en prenant en charge ces attentes ou en se laissant prendre en charge…) donnant lieu à des trajectoires alimentaires individuelles et conjugales différentes. Se distinguent ainsi de nombreuses situations de conciliation, où chacun change en partie ses pratiques alimentaires pour rendre possible les repas communs, mais aussi quelques cas d’adaptation assez unilatérale d’un·e partenaire à l’autre. À ce propos, il faut distinguer les trajectoires de rapprochement des alimentations, de quelques trajectoires de divergences ou de séparation des contenus, assorties de tensions liées aux désaccords. Enfin, la typologie rend compte de la distribution du travail alimentaire entre les partenaires. Il s’agit de distinguer si l’implication en termes de temps est égale ou non, si les tâches sont pensées comme étant mises en commun (cas majoritaires) ou restent séparées, si elles sont effectuées par un seul 232 membre du couple ou non, enfin si les partenaires sont réputé·es autant concerné·es l’un·e que l’autre par les différentes tâches (et sont donc substituables) ou non (et sont donc complémentaires). En conséquence, au sein de chaque type d’investissement de l’alimentation (fort et culinaire 1, faible et consensuel 2, lié aux divergences 3), sont différenciés les couples adoptant plutôt une gestion commune (a) de ceux où l’homme prend davantage en charge l’alimentation et/ou s’adapte davantage (b) et de ceux où c’est au contraire la femme qui gère et/ou s’adapte davantage (c). La gestion commune peut ainsi consister en un investissement fort commun dans l’alimentation (un « investissement conjoint », 1.a), en un intérêt modéré découlant de l’autonomisation et de l’apprentissage commun de la gestion (chez les « néophytes », 2.a) ou en un pari conjugal face à de grosses divergences alimentaires et sociales originelles (produisant une « conversion réciproque », 3.a). À ces couples s’opposent ceux dans lesquels la gestion ou les efforts d’adaptation sont davantage à la charge d’un·e des partenaires. Les couples, minoritaires mais existants, où l’homme s’adapte davantage ou prend davantage en charge sont donc également distingués dans chaque type d’investissement. Parmi elleux, se distinguent ceux où l’homme prend fortement en charge la cuisine et plus largement l’alimentation parmi les couples investis (le cas du « chef », 1.b), ceux où les partenaires ne sont pas très investi·es mais où l’homme dispose de plus de disponibilités (l’ « homme (temporairement?) plus disponible » 2.b) et enfin ceux où, face à de grosses divergences de départ, l’homme s’adapte fortement à sa partenaire, aussi bien en matière de pratiques que de prise en charge des tâches (l’ « homme converti », 3.b). Enfin, sont distinguées les situations, fréquentes, où la femme est davantage en charge et/ou s’adapte davantage. Chez les couples fortement investis, cela prend la forme d’une prise en charge forte voire totale de la cuisine et de la gestion (par une « nourricière », 1.c). Chez les couples peu investis plane le spectre des rôles domestiques genrés, qui conduit à un travail domestique plus important chez la femme, à plus ou moins long terme (sous la forme de « partenaires spécialisé·es » ou d’une « femme en apprentissage » du rôle de gestionnaire principale 2.c). Chez les couples connaissant de fortes divergences alimentaires d’origine, les femmes sont face au dilemme entre accepter une surcharge de travail domestique et abdiquer certaines attentes, et se transforment progressivement en « gestionnaire par défaut » ou en « femme en défection » (3.c). Ces différents types, caractérisés par des formes d’investissement de l’alimentation, une répartition des tâches et des changements alimentaires individuels spécifiques sont 233 rapportables, pour partie, à des caractéristiques sociales spécifiées ici (parcours alimentaires, écarts conjugaux d’âge et de trajectoires scolairo-professionnelles et d’autonomisation, et plus largement l’homo- ou hétérogamie, sur lesquels nous reviendrons au cours du chapitre 5) S’ajoutent à cela les types d’installation (chez qui, à quel moment de la relation conjugale, etc.) précisés en annexe (voir annexe 6), qui influencent les possibles alimentaires et signalent des relations conjugales spécifiques. Certaines configurations se caractérisent en effet par des fonctionnements conjugaux spécifiques : si nous ne retrouvons pas directement les « styles conjugaux » décrits par Eric Widmer et ses collègues (Widmer et al., 2002), nous nous en inspirons pour relever, lorsque cela nous semble pertinent, le caractère plus ou moins tourné vers l’extérieur et plus ou moins fusionnel des couples concernés par un type d’arrangement donné. Enfin, la multiplicité des cas est partiellement redevable à la prise en compte de l’évolution dynamique des arrangements alimentaires observée au cours de l’enquête. Ces dynamiques servent à différencier certains types, et en caractérisent clairement plusieurs. Ainsi, l’intérêt des « néophytes » pour l’alimentation s’inscrit dans une temporalité plus courte que celui des couples investissant fortement la cuisine, et la prise en charge par les « femmes plus investies » s’installe généralement progressivement. Nous décrivons ici les différents types, et le résumé de la typologie peut être trouvé en annexe 5.3. 

La cuisine comme passion valorisée

 Certains couples se distinguent par un fort investissement des enjeux alimentaires, les conduisant à consacrer un temps important à la gestion alimentaire et à la discussion autour de leur alimentation. La cuisine étant l’activité alimentaire la plus valorisée actuellement, l’investissement de ces partenaires dans les enjeux alimentaires s’exprime en particulier dans leur intérêt pour la cuisine. Ainsi, qu’elle soit prise en charge par l’un·e ou par les deux partenaires conjointement, la cuisine joue le rôle de support conjugal fort chez ces couples qui lui consacrent beaucoup de temps et pour qui l’investissement dans cette activité est plus forte de l’un·e en cuisine et la tendance de celle/celui-ci à devenir le/la gestionnaire principal·e de l’alimentation, l’autre partenaire participant de façon moins volontariste et autonome, mais reconnaissant le travail domestique fourni par le/la gestionnaire principal·e. Les pratiques sont fortement influencées par celle ou celui qui est le/la plus investi·e en cuisine. Parmi ces couples, les catégories supérieures sont particulièrement représentées, tout en n’étant pas les seules183. Les modalités d’investissement dans les enjeux alimentaires (aliments consommés, plats valorisés, enjeux associés à l’alimentation, etc.) varient en fonction des appartenances sociales. Trois types d’arrangements alimentaires conjugaux se profilent, en fonction de quel·le partenaire s’investit le plus. Dans l’arrangement de type « investissement conjoint » (1.a), le couple se construit autour de forts intérêts alimentaires communs, la participation aux tâches est commune et partagée, et les changements alimentaires sont conjoints. Chez les « chefs » (1.b), l’homme révèle un investissement fort dans l’alimentation, et en particulier la cuisine, à l’occasion de l’installation en cohabitation, bien que son intérêt pour celle-ci ne soit pas forcément nouveau. Il prend davantage en charge la gestion que sa partenaire et influence fortement les pratiques. Enfin, chez les « nourricières » (1.c), s’observe la prise en charge alimentaire dans la durée de l’homme par la femme. Celle-ci a toujours beaucoup investi l’alimentation et influence les pratiques, tout en tenant compte des préférences de l’homme. 

L’« investissement conjoint » fondateur du couple 

« le fait d’être avec Margaux ça permet […] d’en parler plus. Et du coup de faire plus d’efforts. » (Thomas) Dans l’arrangement de type « investissement conjoint », le couple s’investit fortement dans les enjeux alimentaires, consacrant du temps et de l’énergie à la gestion alimentaire, et en discute beaucoup. Cet investissement a toujours caractérisé le couple, et semble crucial dans la construction de la relation conjugale. L’investissement n’est pas le fait d’un·e seul·e partenaire entraînant l’autre, mais des deux partenaires, bien que les pratiques et connaissances originelles de l’un·e puissent davantage influencer les valeurs et représentations alimentaires conjugales. Les deux partenaires consacrent du temps et de   l’énergie à la gestion alimentaire et y occupent des rôles symétriques, se montrant « substituables » au quotidien. Leurs pratiques alimentaires spécifiques participent de l’unité conjugale, car les changements alimentaires individuels sont moins le fait d’une adaptation de l’un·e à l’autre que d’une transformation commune volontaire. Un seul couple correspond à cet arrangement, suggérant sa rareté liée à de nombreuses caractéristiques favorables à l’égalité conjugale, dont une grande ressemblance sociale et de conditions de vie entre les partenaires : les partenaires ont le même âge, leurs parcours récents sont identiques et leurs positions scolairo-professionnelles similaires au moment de la rencontre et de l’installation. L’installation  s’effectue dans un nouveau logement à la suite d’une période de fréquentation intense d’une durée moyenne, et est volontaire. L’investissement alimentaire consiste en la promotion d’une alimentation « alternative », à savoir locale, équitable, biologique, écologique, relativement végétarienne et crudivore. Margaux et Thomas (23 ans, étudiant·es en école d’ingénieur, 1 an 5 mois de fréquentation, 2,5 mois de cohabitation ) Lors de leur rencontre puis mise en couple, Margaux et Thomas appartenaient à la même « promo » de leur école d’ingénieur, et au même groupe d’ami·es. Iels se sont mis ensemble en fin de deuxième année d’école, à 22 ans. Pendant un an et quelques mois, iels ne se sont vu·es qu’épisodiquement ou pendant leurs vacances, étant en stage puis en césure, dont des périodes à l’étranger. Pour leur dernière année d’école, iels s’installent à 23 ans dans une chambre pour couple en résidence étudiante, dans un logement modeste et partiellement collectif (la cuisine étant commune avec d’autres chambres). Iels sont aidé·es financièrement par leurs parents. Au moment de leur installation conjugale, leurs pratiques alimentaires sont déjà assez largement mises en commun et fortement « alternatives », à la suite d’un processus de transformation parallèle nourri par leurs échanges et expériences individuelles. Il est vrai que Margaux avait depuis longtemps des envies de pratiques alternatives (« dans ma famille on a toujours essayé d’acheter bio », ent. 1, ind.) mais, accordant de l’importance au partage des 184 De type « renforcement fortuite néo-locale », voir Annexe 6. 185 Nous précisons chaque fois les âges des partenaires, leur activité au premier entretien (niveau d’études ou emploi), la durée de leur relation avant l’installation en cohabitation conjugale ou « fréquentation », enfin la durée de la cohabitation au premier entretien. 236 repas avec ses ami·es, elle ne pouvait pas réaliser toutes ses attentes (« elles voulaient pas acheter des produits bio, donc tant pis je préférais, enfin vu qu’on mangeait ensemble… je ne mangeais pas bio. » ; ent. 1, ind.). Comparativement, Thomas s’est davantage laissé inspirer par les pratiques de Margaux et par ses expériences récentes : Thomas : je suis parti en année de césure. […] on en parlait quand même pas mal avec Margaux. De l’alimentation. Et même sans… sans être ensemble finalement physiquement. Je pense que… le fait d’en parler influençait la manière dont je cuisinais. […] le WOOFing  je pense que ça change aussi beaucoup les habitudes alimentaires. [… Avec Margaux] on se pose pas mal de questions sur le lien entre alimentation et santé. Et… bah !… et ouais. Je… Enfin moi ayant eu quelques problèmes de santé. […] Je me suis pas mal remis en cause sur mon alimentation. Euh… Ça aussi du coup grâce à Margaux. (ent. 1, individuel) Ainsi, au moment de leur installation, iels achètent « bio », de saison, relativement local, et s’efforcent de favoriser les crudités : Margaux : on essaie du coup maintenant, de tout acheter en bio. Enfin dans la mesure de nos moyens (elle rit) étudiants. […] on n’achète pas des produits transformés, on achète que des légumes de saison etc. Pour, enfin déjà parce que ça nous semble plus logique. Et puis parce que financièrement on peut pas se permettre de faire autre chose. Enfin voilà. Euh, pour ce qui est du rapport à la santé, on essaye de manger beaucoup de légumes crus. […] pas manger, trop de sucré. De limiter tout ce qui est des féculents etc. (ent. 1, individuel) Ces spécificités s’articulent à des changements dans la composition des aliments achetés, puisqu’iels mangent très peu de viande et de féculents. Leurs changements alimentaires individuels sont donc le fruit d’un cheminement commun, et qui découle non d’une adaptation de l’un·e à l’autre mais d’une remise en cause commune de leurs habitudes. Invité à résumer ce que vivre en couple a changé, Thomas insiste sur la « réflexion sur l’alimentation au sens large et la santé » ainsi que sur le développement de « l’habitude de cuisiner » (ent. 1, ind.). Les activités alimentaires sont prises en charge de façon indifférenciée, c’est-à-dire que l’un·e comme l’autre peut s’en charger. Plus d’un an et demi après leur mise en couple, et deux mois après leur installation, iels cuisinent et gèrent la vaisselle alternativement ou ensemble : Margaux : [La mise en couple change qu’]on cuisine à deux ! (elle rit). Du coup, enfin, nous soit on cuisine ensemble, soit c’est un qui cuisine… on va dire une fois sur deux par exemple. Du coup bah quand c’est l’autre qui cuisine, forcément ça change, parce que il a ses propres recettes, etc. Bien que ça finisse par s’homogénéiser. Et sinon, quand on cuisine ensemble, bah on s’apporte des idées. (ent. 1, individuel) .Les courses obéissent également à cette interchangeabilité. Iels font leurs courses principales ensemble, pour se « motiver » réciproquement, et se répartissent les courses d’appoint sans liste de courses, dans la mesure ou iels partagent des attentes proches : Margaux : On fait pas de liste de courses. Juste parce que comme on est deux et qu’on va pas faire les courses forcément en même temps en fait. C’est jamais le bon qui aurait la liste. Donc c’est pas au plus pratique ni au plus efficace, parce qu’on oublie souvent des trucs. Mais en gros y’a des classiques qu’on sait qu’on doit acheter. […] Donc on a le producteur bio, qui vient livrer à [notre École]. On essaie de lui acheter des légumes le plus possible. […] Sinon on a la Biocoop. Ou on a un magasin Naturalia pas loin de l’École où on va aussi. Et pareil on complète à Franprix pour le non alimentaire, les olives… […] Ça nous arrive de les faire ensemble, quand le soir on a tous les deux la flemme de les faire, donc ça nous motive de les faire à deux. Soit / en fait on les faisait en / parce que les magasins sont sur le chemin de l’École. […] (ent. 1, individuel) Ce n’est certainement pas un hasard si ce couple est composé de partenaires à la proximité de positions scolairo-professionnelles la plus grande parmi l’ensemble des enquêté·es, à laquelle s’ajoute une relative homogamie d’origines. Tou·tes deux sont issu·es des franges supérieures des classes moyennes et dotées de capitaux culturels : le père de Margaux est ingénieur et sa mère institutrice, le père de Thomas est cadre et sa mère femme au foyer. Iels viennent donc de familles dans lesquelles au moins l’un·e des parents exerce une fonction d’encadrement, mais où la femme exerce une profession moins reconnue et moins rémunérée, en particulier du côté de Thomas. Leur trajectoire les rapproche, puisqu’ils obtiennent au même âge le même diplôme après trois ans de la même école et une année de césure, effectuées en même temps et dans les mêmes spécialités et les ayant fait fréquenter des ami·es commun·es. Enfin, leurs choix alimentaires alternatifs les isolent par rapport au reste de la société.

Le « chef » « c’est moi qui mène un peu le truc » (François)

 Trois couples connaissent un arrangement du type « chef » : Faustine et Killian (18 ans, étudiante en BTS et manutentionnaire en intérim, 1 an de fréquentation, 4 mois de cohabitation) ; Camillia et François (25 et 23 ans, étudiant·es en master de journalisme, 1 an de fréquentation, quelques semaines de cohabitation) ; Hélène et Fabien (19 et 21 ans, étudiante en licence et ancien étudiant en service civique, 6 mois de fréquentation, quelques semaines de cohabitation). 238 Chez elleux, l’investissement fort de l’alimentation est porté par l’intérêt de l’homme pour la cuisine. La partenaire valorise cet intérêt et s’y prête, augmentant elle-même son attention envers les tâches alimentaires. La prise en charge des tâches n’est cependant pas symétrique comme dans l’arrangement précédent : l’homme est le cuisinier principal et contrôle globalement les achats et les menus, faisant notamment souvent des courses d’appoint pour acheter des produits spécifiques. Il ne fait pas systématiquement la vaisselle ou le ménage de la cuisine, ces tâches étant parfois renvoyées à la partenaire au nom du principe de complémentarité entre vaisselle et cuisine. La partenaire n’est donc pas absente des tâches alimentaires, reste une « petite main » ou un « commis » (François, ent. 1, ind.), suivant les consignes de l’homme. En conséquence, l’influence de l’homme sur les contenus est assez forte. Tous s’attachent à pouvoir cuisiner ce qui leur fait envie, les deux hommes décohabitant de chez leurs parents considérant que l’effet principal de l’installation conjugale est de pouvoir manger « ce qu’ils veu[lent] » (Fabien et Killian). Leurs compagnes l’acceptent globalement et s’en remettent à leurs choix, ceux-ci étant considérés comme plus compétents. Ces plus grandes compétences et appétences viennent pour deux d’entre eux de parcours d’apprentissage de la cuisine en famille  ou d’une autonomisation plus précoce . Les partenaires considèrent « mieux » manger que si elles vivaient seules, même lorsque le départ de chez les parents leur fait manger « moins bien » (Faustine). Certaines expriment cependant quelques réticences à n’être que le « second couteau » ou à peu influencer les contenus. Au cours du temps, il arrive que leur implication se renforce  . Cette prise en charge globale de la gestion est favorisée par l’homogamie ou par une hypogamie de la femme, notamment de diplôme voire liée à des revenus supérieurs, au-delà d’origines et de trajectoires sociales aussi bien supérieures191 que plus populaires  . Les âges des partenaires sont assez proches, l’homme étant dans un cas plus jeune  . Faustine et Killian connaissent une hypogamie de la femme (détaillée dans le chapitre 5, partie II.2.a). Le couple composé de Camillia et François est homogame et marqué par des revendications féministes. Chez ces « chefs », l’investissement pourrait participer du rétablissement d’une identité fragilisée par l’hypogamie  ou être favorisée par l’égalitarisme et l’attachement familial à la cuisine. Plusieurs éléments signalent le caractère possiblement précaire de cet arrangement. Il semble s’inscrire dans des parcours conjugaux plus fragiles que d’autres, et dépendre pour partie d’un enthousiasme de l’homme lié aux premières expériences d’autonomie et conjugales, dans le cadre d’un investissement professionnel ou scolaire temporairement plus faible. En effet, les parcours conjugaux sont relativement courts (les partenaires se fréquentent depuis 6 mois à un an au moment de l’installation , voir annexe 6) et les durées de cohabitation également courtes au moment de l’entretien (maximum quatre mois). Les partenaires sont relativement jeunes au moment de l’installation  et l’installation est toujours néo-locale, c’est-à-dire dans un logement obtenu pour l’occasion. Qui plus est, deux couples ne cohabitent plus quelques mois plus tard . Ils ont des conditions d’installation moins confortables que ceux dans lesquels la femme est la plus investie, du fait d’une moins grande stabilité professionnelle et de revenus plus faibles. 

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