L’assouplissement de la règle traditionnelle du plafonnement par la mise en œuvre de critères forfaitaires

La tarification

La théorie économique assigne plusieurs objectifs aux tarifs publics  • Ces derniers servent tout d’abord à collecter des recettes visant à coùvrir, en tout ou partie, le coût du service. Ils ont également un objectif de redistribution, consistant à rendre le service accessible à toutes les classes de revenus, en prévoyant un niveau de prix abordable et des tarifs sociaux. En outre, les tarifs publics influencent le niveau général des prix et, au-delà, la compétitivité de l’économie nationale : ils ont donc longtemps constitué et sont toujours susceptibles d’être un instrument de politique économique. Enfin, dans le souci d’éviter le gaspillage des ressources, ils doivent orienter la demande des usagers en les rendant conscients des coûts que leur consommation entraîne. La réalisation de ces objectifs doit se concilier avec les règles dégagées par la jurisprudence. Ainsi que cela a été dit, la somme exigée des usagers à titre de redevance ne peut en principe incorporer que des éléments visant à couvrir les coûts du service rendu, sous peine d’être requalifiée en taxe, ce qui rend délicate l’utilisation des redevances à des fins de politique économique. En revanche, la jurisprudence reconnaît, sous certaines conditions, la possibilité de moduler le tarif des redevances. Avant d’en exposer les principes, il faut s’arrêter quelques instants sur la règle du plafonnement, c’est-à-dire l’interdiction d’une facturation du service au-delà de son coût, dont l’apparente simplicité occulte la complexité de la tarification. Se pose en effet le problème de l’appréhension du coût du service, qui présente des aspects à la fois théoriques et pratiques. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence admet le recours à des critères forfaitaires de tarification. 

L’assouplissement de la règle traditionnelle du plafonnement par la mise en œuvre de critères forfaitaires

L’application de la règle du plafonnement du montant de la redevance suppose que soit calculé le coût du service, sujet qui divise les économistes et se heurte souvent aux insuffisances de la comptabilité analytique des services publics. Dans un souci de simplification, la jurisprudence a admis l’utilisation de critères forfaitaires.

La portée de la règle du plafonnement en fonction du coût du service

 Une fois identifiés les éléments qui peuvent être intégrés dans la redevance, quel coût faut-il retenir pour appliquer la règle du plafonnement du montant de celle-ci ? Ainsi que le souligne le professeur Robert Hertzog 68 , les économistes ont des théories très élaborées pour définir le juste prix, mais celui-ci varie en fonction de l’objectif assigné à la redevance. Or ces objectifs sont susceptibles d’entrer en conflit. Par exemple, la recherche de l’équilibre budgétaire, qui suppose que les tarifs couvrent les coûts, y compris les coûts fixes, n’est pas toujours conciliable avec l’objectif d’efficacité productive, qui n’assure pas nécessairement la couverture du coût des investissements. Après la guerre, le Commissariat au Plan recommandait aux établissements publics de l’État de facturer leurs services au coût marginal, c’est-à-dire en prenant en compte le supplément de coût résultant d’une augmentation unitaire de production. Cette recommandation a été progressivement abandonnée pour faire place à des orientations reposant sur la recherche de l’équilibre budgétaire. Pour y parvenir, les fournisseurs de services publics suivent des méthodes très hétérogènes. Au coût marginal est parfois préféré le coût total de production du service, qui intègre à la fois les coûts variables, dépendant de la quantité produite, et les coûts fixes, supportés indépendamment du volume de production, tels que, par exemple, les coûts de formation du personnel. Au cours de la période récente, le concept de coût de développement, ou coût de long terme, a gagné du terrain. Ce coût est établi sur la base de la valeur de remplacement des équipements et des investissements, mais tient également compte de leur évolution anticipée. Si l’on suppose que les capacités de production vont tôt ou tard être saturées, ce raisonnement conduit à intégrer les équipements et investissements qui seront nécessaires à terme pour satisfaire un supplément de demande sans dégrader la qualité du bien offert. Quel que soit le coût retenu, son calcul se heurte à de sérieuses difficultés pratiques. Le calcul du coût de développement repose ainsi sur des prévisions de demande, d’accroissement de capacité et de renouvellement du capital existant, mais aussi sur des prévisions de coûts correspondant à ceux que supporterait une entreprise efficace utilisant les meilleures technologies disponibles et dimensionnant ses équipements de façon optimale : autant d’hypothèses dont la fiabilité pèse sur la validité des tarifs. Le raisonnement en coût marginal ou en coût total suppose quant à lui que puisse être isolée une entité économique et que son activité soit décrite par une comptabilité analytique détaillée susceptible de servir de justification devant le juge, conditions qui sont rarement satisfaites dans le cas des services publics. Cette complexité explique que, dans les faits, les fournisseurs de services publics déterminent le tarif des redevances avec une connaissance du coût du service d’autant plus faible que les sommes en cause font figure de recettes accessoires dans leur budget. 

L’utilisation de critères forfaitaires 

Si le Conseil d’État statuant au contentieux a su bâtir une jurisprudence qui décrit avec de plus en plus de précision la nature des éléments qui peuvent entrer dans le montant de la redevance, il semble plus circonspect lorsqu’il s’agit de définir une méthode permettant d’évaluer ces éléments. La jurisprudence s’abstient ainsi de fixer des règles trop rigides, préférant se borner à vérifier, sur la base des éléments apportés par les parties. que la fixation du montant de la redevance n’est pas manifestement erronée .  Le juge admet également, dans certains cas, que puissent être retenus des critères forfaitaires de tarification. Deux exemples peuvent être mentionnés à cet égard. Le premier concerne la matière, déjà évoquée, des redevances de contrôle aérien : ainsi a-t-il été admis, dans un souci de réalisme et de simplification, que la répartition de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne repose sur un critère de base prenant en compte la masse des aéronefs au décollage, et fasse en outre l’objet d’une péréquation, à travers un mécanisme de taux unitaire, entre des coûts de contrôle qui peuvent varier d’un aérodrome à l’autre • · La jurisprudence a également admis une certaine << forfaitisation » de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères. Un premier élément de souplesse a été introduit lorsqu’une décision s’est bornée à exiger qu’existe un« lien suffisant>> entre le montant de la redevance et le service rendu Il a par la suite été admis que la redevance soit fixée forfaitairement, au même niveau, pour un terrain de camping isolé et pour un foyer de résidents permanents, sans que soient méconnues les dispositions de l’article L. 233-78 du code des communes alors en vigueur qui prévoient que la redevance est calculée en fonction de l’importance du service rendu 73 . Dans cette dernière hypothèse, la forfaitisation de la redevance doit toutefois être relativisée, dans la mesure où le Conseil d’État en justifie le principe en se fondant sur les charges fixes qu’entraînent, pour le service d’enlèvement des ordures, l’utilisation saisonnière des terrains de camping isolés et leur dispersion géographique. Il est à noter que, par cette dernière précision, le juge adopte le raisonnement en coût complet opéré par le syndicat intercommunal. 

Les possibilités de modulation 

La fixation du tarif des redevances peut poursuivre d’autres objectifs que la couverture du coût du service et s’inscrire dans une politique délibérée mise en œuvre par la collectivité. Il est alors fait usage de modulations du montant des redevances. En effet, si la règle du plafonnement interdit de mettre à la charge de l’usager une redevance d’un montant supérieur au coût du service, au risque qu’elle revête une coloration fiscale, ce montant peut en revanche être inférieur sans que la somme demandée perde son caractère de redevance 74 La jurisprudence a ainsi admis de nombreuses modulations, fondées Association des propriétaires des terrains pour les loisirs en Oléron c/SIVOM d’Oléron, Tables p. 431; les dispositions correspondantes sont aujourd’hui codifiées à l’article L.  sur des critères géographiques ou sociaux, ou encore, plus récemment, tenant compte de la congestion des ouvrages ou de considérations commerciales. Ces modulations ont en commun d’être soumises au principe d’égalité devant le service public, énoncé en particulier par la décision DenoJ·ez et Chorques 75 , et selon lequel  » la fixation de tarifs différents applicables, pour wz même service rendu, à diverses catégories d’usagers d’un service ou d’un ouvrage public implique, à moins qu’elle ne soit la conséquence nécessaire d’une loi, soit qu’il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du sen•ice ou de l’ouvrage comma de cette mesure>>  . Par construction, dès lors que le montant de la redevance ne peut être supérieur au coût du service rendu, un fournisseur de services qui pratique des modulations tarifaires ne peut atteindre l’équilibre budgétaire qu’au moyen d’une subvention, ce qui pose des problèmes de concurrence qui seront examinés dans la troisième partie de cette étnde.

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *