Le fouriérisme aux États-Unis

Le fouriérisme aux États-Unis

Éléments de définition

Les mouvements qui sont apparus en relation avec la pensée de Fourier emploient un certain nombre de termes spécifiques. Avant de déterminer ce qui caractérise le fouriérisme américain par rapport à d’autres doctrines ou idéologies proches, il paraît donc utile de proposer une rapide mise au point lexicale.

Fouriérisme/Fourierism

Le nom « fouriérisme » et l’adjectif « fouriériste » appartiennent tous deux au vocabulaire français, dans lequel leur usage est attesté en 1832. Un dictionnaire historique définit le fouriérisme comme étant le « système philosophique et socio-politique de Charles Fourier […], selon lequel les hommes doivent vivre heureux, avec des occupations correspondant à leurs tendances, à leurs passions, dans le cadre de groupements harmonieux ». Quasiment dans les mêmes termes, un dictionnaire usuel propose à l’entrée correspondant à ce mot : « Doctrine d’organisation sociale et politique exposée par Fourier, selon laquelle les hommes doivent s’associer harmonieusement en groupements (phalanstères) avec des occupations correspondant à leurs goûts, leurs tendances[1] », « fouriériste » désignant un « partisan du fouriérisme » ou ce qui est « relatif au fouriérisme ». L’article renvoie par ailleurs à « associationnisme » et à « socialisme ».Le premier élément problématique à relever ici est que, si les termes « fourierism » et « fourierist » existent en anglais, leur définition n’est pas la même qu’en français. Pour commencer, notons que les mots ne se trouvent pas dans les dictionnaires britanniques courants[2]. Toutefois, même si dans ce chapitre on ne néglige pas a priori le rôle de l’Angleterre, c’est avant tout le vocabulaire tel qu’il est utilisé aux États-Unis qui importe ici. Or, l’Encyclopædia Britannica propose la définition suivante de « fourierism » : « philosophy of social reform developed by the French social theorist Charles Fourier that advocated the transformation of society into self-sufficient, independent “phalanges” (phalanxes) […][https://www.clicours.com/] ». Cette définition ne recouvre qu’en partie celles généralement proposées en français ; elle permet néanmoins d’aborder la comparaison entre définitions en français et définitions en anglais. En effet, dans les dictionnaires américains, comme pour l’encyclopédie, le nom « fourierism » désigne « a system for reorganizing society into cooperative communities of small self-sustaining groups[4] » ou « a system for social reform advocated by Charles Fourier in the early 19th century, proposing that society be organized into small self-sustaining communal groups[5] » ; quant au Webster de 1913, il indiquait : « the cooperative socialistic system of Charles Fourier, a Frenchman, who recommended the reorganization of society into small communities, living in common[https://www.clicours.com/] ». Si les dictionnaires des deux pays ne se contredisent pas, ils ne mettent cependant pas l’accent sur les mêmes éléments : seul l’aspect associatif de la pensée de Fourier semble abordé par les définitions en anglais, alors qu’on peut trouver une référence à l’attraction et à l’harmonie dans leurs équivalents en français. Cette première observation, différence liée à la langue et au pays, semble suggérer que lexicographes français et américains actuels ne conçoivent pas de la même manière le système de pensée qu’ils désignent du même nom, ce qui constitue une première piste de recherche pour l’analyse de la situation dans les années 1830 et 1840.

Aperçu sur le fouriérisme américain

En guise de préambule à cet aperçu historique, rappelons que 1837 voit non seulement la mort de Fourier à Paris et la fondation de la première « société fourienne » des États-Unis, mais aussi le début d’une crise économique qui se transforme rapidement en véritable dépression, suffisamment grave pour être désignée par le terme de « panique » (Panic of 1837) : grèves, chômage, pauvreté, dominent la société américaine à partir de la fin de la décennie et pour plusieurs années. Tout le système de production industrielle est touché et ses fondements mêmes se trouvent alors mis en question.

Albert Brisbane, « propagandist for socialism »

C’est Albert Brisbane qui introduit le fouriérisme aux États-Unis. Il restera toute sa vie durant, au-delà des années 1840 qui marquent l’apogée de son action, un « propagandiste du socialisme[1] ». Né en 1809, ce fils d’un riche marchant et propriétaire foncier de l’État de New York, davantage marqué par les Lumières que par la religion, entreprend en 1828 un voyage en Europe qui, durant les six années qu’il passe dans l’Ancien Monde, va le mener de Paris à Berlin et de Berlin à Paris, mais aussi de la France à la Grèce et à la Turquie, via l’Italie, l’Autriche et les îles méditerranéennes. Il observe de multiples situations, suit les cours de Cousin et de Hegel, adhère aux idées saint-simoniennes. Alors qu’il se trouve à Berlin, le schisme de 1831 et le passage de son ami Lechevalier du saint-simonisme au fouriérisme vont lui faire découvrir « l’industrie attrayante ». Brisbane relate ainsi sa lecture de L’Association domestique-agricole envoyée par Lechevalier :[…] soon I came to the following phrase, printed in large type: « Attractive Industry. » Those two words made on me an indescribable impression. In the few lines of explanation that followed, I saw that the author conceived the idea of so organizing human labor as to dignify it and render it attractive. I sprang to my feet, threw down the book, and began pacing the floor in a tumult of emotion. I was carried away into a world of new conceptions[2].La réalité fut sans doute plus prosaïque[3], mais ce passage exprime bien la conversion de Brisbane qui, de retour à Paris, est présenté à Fourier, prend des leçons auprès du maître et s’initie à l’ensemble de la doctrine. Dès 1833, il est résolu à se faire l’apôtre du fouriérisme aux États-Unis, il le fait savoir peu après à Jean Manesca, son professeur de français installé à New York (« My sole thought is to transmit the thought of Charles Fourier to my countrymen[4] »), au plus tôt à Varnhagen, un correspondant allemand à qui il demande conseil après avoir exposé les grandes lignes de sa stratégie :Voici ce qu’il est mon intention de faire en y arrivant, et cequ’il[5] est déjà temps de commencer – Je vise à une Réforme social, c’est la chose à laquelle je dévouerai tous mes efforts […] Je commencerai d’abord par intéresser les jeunes gens, et les personnes pour l’entreprise, que j’en crois susceptibles, ce sera une espère de conversion individuelle. […] quand nous serons en nombre suffisant, il faut fonder un journal; pour cela il faut un fonds. – – pour le prélever, j’ai pensé, que le meilleur moyens seraît, que chacun s’obligerait à donner tant par an selon sa fortune; […] nous commencerions par faire une critique des plus vigoureuses du système social actuel. – – Il y a bien sûr beaucoup de personnes en Europe, qui nous aideraient en nous fournissant des articles, c’est-à-dire, par leurs idées […][6].Fort de cette résolution, Brisbane continue de se familiariser avec la théorie fouriériste jusqu’à son retour aux États-Unis, au printemps 1834. Il prévoit alors de donner des conférences, de traduire les œuvres de Fourier et de créer un journal consacré à la diffusion de la doctrine.

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