Le laboratoire comme lieu de socialisation

Le laboratoire comme lieu de socialisation, où il s’agit de faire ses preuves

Florent présente son attirance pour la biologie comme une vocation, née à la fois d’une certaine curiosité pour les sciences et du plaisir de l’apprentissage : « Moi je savais grosso modo que je voulais faire de la recherche parce que la biologie ça m’intéressait, mais, c’est plus que la biologie m’intéressait plutôt que la recherche elle même. J’ai jamais été le…, tu vois j’aime bien regarder le monde autour de moi, j’aimais bien, j’étais toujours le premier à aller ramasser des insectes, des choses comme ça, mais j’étais pas le genre de gars à vouloir tester des choses, tu vois ? C’était plus apprendre des choses. ». L’arrivée dans le laboratoire où il effectue sa thèse fut guidée par des annonces affichées dans les locaux où il suivait sa formation ainsi que par des cours et des rencontres : « C’était quand j’étais en prépa agreg, j’avais vu un, une affiche « on cherche un M2 pour un labo », pour un labo de virologie […] Et donc voilà, on… dès que j’ai eu l’occasion de faire un stage de viro, j’ai sauté dessus. J’en ai un petit peu parlé d’abord avec Untel, qui était ma tutrice, qui m’a conseillé d’aller voir Untel [sa directrice de thèse]. Notamment d’aller assister à son cours qu’elle donnait déjà dans le cadre Tel Intitulé. Le cours m’a plu. Donc je suis venu pour mon premier stage chez eux, en disant que j’avais l’intention de faire une thèse. » Florent est fier d’avoir surmonté les difficultés rencontrées pendant son apprentissage de la pratique de recherche ainsi que pendant les premiers temps de stages et de thèse. Il ressent une progression nette de sa légitimité : « Et puis donc au début je faisais encore beaucoup d’erreurs. Je sais pas si tu te souviens des TP, mais j’étais un peu la catastrophe ambulante. […] Donc… là c’est bon, je fais des manips compliquées, sans problème, je fais vraiment très très peu d’erreurs. […] Mon thème particulier je le maîtrise même parfois un peu mieux que ma, que la chef d’équipe… Entre, des deux thésards de l’équipe, c’est clairement moi qui fait les meilleures réunions biblio, pour lesquelles ça se passe mieux, où j’introduis mieux, où, j’ai un peu la réputation dans Tel Lieu, dans la classe, dans euh l’équipe, d’être un peu l’encyclopédie quoi. » Il affirme être tout à fait à l’aise dans sa pratique actuelle de la recherche, dont il accepte pleinement les côtés négatifs : « Ouais il y a des jours où tu es plus motivé que d’autres, il y a des jours t’arrives au labo en traînant du pied et la chef te fait chier, il y a des jours où tu as des enseignements qui te pourrissent ta journée, il y a des jours où… les manips foirent et tu sais pas pourquoi, où t’es complètement crevé et t’as pas envie de lire cet article de 50 pages, mais il faut. Mais globalement, c’est quand même vraiment un métier qui te plaît. » Au laboratoire, Florent vit une relation forte et parfois compliquée avec sa directrice de thèse, à qui il se sent lié par le devoir de l’aider sur ses projets : « Elle fait un effort de s’impliquer, elle nous encadre relativement bien. […] Donc après elle est pénible à vivre, elle veut nous apprendre, elle nous donne des conseils qui ne relèvent absolument pas de la sphère professionnelle, et on l’envoie balad… , bouler, mais… globalement elle a des côtés très sympathiques derrière le côté énervant quoi. […] », il poursuit ensuite : « Je lui ai dit donc, comme j’aimerais mener à bien certains projets que j’ai pas encore fini, j’aimerais aussi fournir de la force de travail à ma chef d’équipe qui… a créé son équipe il y a cinq ans, quelque chose comme ça, en venant de Tel Endroit où elle était pas chef d’équipe. Elle a donc besoin pour décoller, de tout ce qu’elle peut en fait. Donc plus je reste longtemps, plus je peux l’aider à décoller. » Au quotidien, Florent vit au milieu d’interactions intenses et régulières avec un groupe soudé de doctorants, pendant la semaine mais aussi les week-ends : « […] je suis plus intégré que l’autre thésarde au sein du gros groupe de thésards qui sortent beaucoup ensemble, et… et du coup, bah si tu veux je perds plus de temps à parler avec les gens dans les couloirs. Et donc je compense en venant le, en venant les week-ends. […] il y a des fois où je suis allé au week-end, au labo le week-end avec la ferme intention de travailler sur un truc à écrire, pas les manips, et finalement j’ai rien fait que prendre la pause avec les autres et discuter, c’était beaucoup mieux que rester chez moi. Donc ça, finalement, le labo le week-end, c’est aussi un lieu de rencontre social. ». Cette vie collective lui donne le sentiment de vivre une période particulièrement excitante et unique de sa vie : « Clairement, maintenant, je, enfin, dans l’état actuel des choses, je suis dans mon élément dans la recherche, ça me plaît. Que ce soit, au niveau même des interactions sociales avec les gens, j’aime bien comme on… on est à fond [bâillement], pardon, on est à fond dans les manips, on est à fond dans notre projet, on en discute les uns avec les autres, on fait des choses ensemble. C’est probablement, la thèse, la période de ma vie où j’aurais été le plus… le plus vivant, et en même temps le plus fatigué aussi [sourire]. Courir dans tous les sens, le… je sais pas, tu as l’impression d’avoir beaucoup d’énergie, et en même temps, de, d’être crevé tout le temps. »

La prise de contact 

Les doctorants sont contactés par courrier électronique, et reçoivent la description suivante du projet. Courrier électronique envoyé aux doctorants49 Bonjour Untel, Je te contacte au sujet d’un projet de recherche que je suis en train de mener dans le cadre de ma thèse, sur le travail quotidien des chercheurs et notamment des doctorants. Pour cela je cherche à rencontrer des doctorants en biologie (le plus possible) pour qu’ils me racontent leurs pratiques quotidiennes, à partir de leurs agendas. Je ne sais pas si l’exercice t’intéresse, mais si c’est le cas, tu trouveras des infos plus précises ci-dessous et tu peux bien sûr me poser toutes les questions que tu veux ! J’espère que tout se passe bien pour toi dans tes recherches, A bientôt, Mélodie — Descriptif du projet : Il s’agit de poursuivre un travail amorcé sur les pratiques de communication des chercheurs : avec qui les chercheurs sont-ils en contact au quotidien dans leur travail ? Quelle part et quelles formes prennent ces interactions ? Il y a des travaux sur la vie de laboratoires, mais très peu de choses sur toutes ces pratiques qui consistent à communiquer dans et hors du labo. Ce que pourrait permettre ce travail, c’est développer une connaissance d’une part très méconnue et importante du métier. En pratique ce que tu aurais à faire, c’est de noter les contacts que tu as dans ta journée de travail, pendant au moins une semaine (il suffit de me dire quand tu commences pour prévoir de se voir pas trop longtemps après). C’est encore mieux si c’est deux à trois semaines, mais ce n’est pas obligatoire ! On le fait déjà tous plus ou moins mais là il faudrait le faire de manière systématique, prendre cinq ou dix minutes par jour et bien vérifier que les contacts soient notés. Il faudrait mettre aussi les principaux échanges par mail, juste ceux qui sont choisis et actifs (pas les infos, les fils RSS, les listes de diffusion, sauf si on y répond). Ce peut être fait sur un cahier si l’agenda ne s’y prête pas. Par la suite, je viens te voir, on ouvre ensemble l’agenda ou le cahier, et tu commentes ce à quoi correspond ce que tu as noté. J’ai déjà rencontré N thésards et N chercheurs statutaires et cela s’est très bien passé ! 

Eléonore Le plaisir des expériences et de la technique, dans un sujet à l’interface 

Eléonore voulait initialement suivre une formation dans le supérieur pour enseigner, mais le plaisir des expériences en biologie (les « manips »), découvert au cours de ses études (« le L3 c’était aussi des manips, je me faisais plaisir sur les manips, et je me posais pas de question »), lui a donné goût à la recherche : « […] la thèse, je trouve que c’est encore assez idéal comme statut, parce que finalement, tu ne prends pas part aux décisions politiques etc. , on n’exige pas de toi une implication administrative ou politique, et tu te fais plaisir avec les manips. » Et plus loin : « Je suis très contente d’être en thèse et de toute façon, quoi qu’il en soit, ça aura été vraiment une super expérience au niveau, enfin relations humaines en tout cas. Je me serai vraiment fait plaisir sur les manips, donc voilà. ». Les manips sont d’ailleurs au centre de l’entretien (« Une semaine normale en général j’ai des manips tous les jours ») et des interactions avec les autres membres de son équipe (récurrence de l’expression « discuter des manips »). Parce qu’elle est particulièrement intéressée par certaines techniques de microscopie, et par le fait de développer une compétence sur celles-ci, Eléonore oriente ses choix de stages puis de thèse vers des laboratoires utilisant ces instruments pour étudier leurs objets de recherche : « […] moi ça me tentait vraiment bien, parce que c’était de la microscopie, c’était des cellules, c’est à un niveau plus intégré que de la bioch50 ou de la biomol51, et j’en avais complètement marre de la biomol après tous les autres stages. » Son approche de la recherche est ainsi essentiellement guidée par la technique et l’utilité des recherches qu’elle mène : « Donc du coup c’était à la fois de la viro qui m’intéressait, à la fois de la microscopie qui m’intéressait vraiment […] A vrai dire, la thématique, ça aurait pu être n’importe quoi, enfin. Mais il y a quand même un aspect qui me manquerait si je travaillais sur d’autres choses, parce que ce que j’aime vraiment en viro, c’est l’aspect médical et une justification médicale en fait, derrière. […] Et je crois, enfin moi j’ai besoin d’une justification, et c’est aussi ça qui m’a plu. Enfin, je pourrais pas travailler sur une protéine parce que c’est une protéine. » En co-tutelle pour sa thèse, elle acquiert un savoir-faire technique et une connaissance spécifique de son sujet, qui la positionnent de façon intermédiaire entre sa directrice et sa co-directrice de thèse : « Oui parce qu’en fait ce qui se passe, c’est qu’en fait ma directrice de thèse et ma codirectrice de thèse sont toutes les deux très compétentes, mais dans la moitié du sujet, parce que bon c’est sur la viro, c’est les cellules, ma codirectrice, elle travaille en biologie cellulaire, ma directrice en biologie, mais du coup moi je suis un peu à l’interface. » En plus de ces interactions, ses relations complexes et prudentes avec sa directrice de thèse l’amènent à chercher des interactions avec d’autres chercheurs de l’unité de recherche à laquelle elle appartient : « Et c’est pas la première fois qu’elle fait ce genre de choses. Du coup, c’est pour ça que maintenant il y a une méfiance un peu, méfiance c’est fort si tu veux, mais je prends vraiment du recul par rapport à tout ça. ». Elle expliquait déjà un peu plus tôt : « ça m’est arrivé plusieurs fois où, quand je savais pas trop comment gérer les choses avec ma chef, d’aller voir Untel, lui dire voilà je comprends pas, je sais pas comment faire et qu’il m’ait dit, ben tu peux essayer comment ça tu verras ce que ça donnera et… donc voilà. » Heurtée dans sa conception de la recherche au cours de son expérience de thèse, Eléonore n’envisage plus de poursuivre dans cette voie : « Alors… il est clair pour moi, très clair maintenant dans ma tête, que je ne ferai pas de la recherche. Donc, pas moyen. […] Alors, déjà parce que je… refuse, enfin j’ai pas envie, j’ai pas été formée à être une gestionnaire en fait, et j’ai pas envie de passer 75% de mon temps à faire de la gestion. […] Il y a un autre point que j’ai un peu du mal à accepter aussi, c’est la qualité de ce que tu mets dans tes papiers. […] Sauf, que j’ai peur que, de plus en plus il y ait des pressions, une pression des résultats, enfin bon, on le sent déjà, et franchement, j’ai pas envie d’être sous pression toute ma vie quoi. » Au moment de l’entretien, elle considère les alternatives possibles : « Bah disons, je pense que je me poserai des questions jusqu’au moment où je devrais signer quelque chose. […] tu sais j’en suis à me dire que ça coûte rien de remettre son CV à jour et de l’envoyer à des gens, enfin, j’ai des copines de prépa, qui sont plutôt dans l’industrie, ce genre de choses […] »

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