Le manteau lithosphérique subcontinental

Le manteau lithosphérique subcontinental

Caractéristiques du manteau lithosphérique subcontinental

 Le manteau subcontinental représente plus de 60% des plaques continentales, lui conférant un rôle déterminant sur le devenir de la lithosphère continentale au cours des temps géologiques. La structure et la composition de cette enveloppe varient significativement d’une région à une autre. L’épaisseur du manteau subcontinental passe ainsi de quelques dizaines de kilomètres sous les rifts, à plus de 250 km sous certains cratons archéens (Figure 1.1). Ces changements d’épaisseur sont généralement couplés à une variation de la structure thermique, comme le suggèrent les tomographies sismiques ainsi que les données thermobarométriques sur des xénolites mantelliques. Les cratons sont ainsi caractérisés par des géothermes froids, comme en témoignent par exemple les vitesses anormalement élevées des ondes de volume révélées par la tomographie sismique (Figure 1.2). A contrario, au niveau des rifts continentaux, les géothermes chauds se traduisent par des vitesses sismiques plus lentes que la moyenne (Figure 1.2). Le manteau lithosphérique subcontinental est d’une manière générale composé de roches ultramafiques. Sa composition varie, selon l’enrichissement en olivine, de la lherzolite, à l’harzburgite, en passant par la dunite. Ces variations lithologiques sont généralement interprétées comme étant liées à des épisodes de fusion partielle ou des épisodes métasomatiques (percolations réactionnelles de magmas ou fluides) (e.g. Griffin et al., 2009). Les études sur les xénolites mantelliques révèlent aussi une variation systématique de la composition du manteau lithosphérique subcontinental. Les compositions les plus appauvries sont ainsi mesurées au niveau des cratons archéens, tandis que les chaînes mobiles protérozoïques et phanérozoïques montrent un appauvrissement modéré (e.g. Griffin et al., 2009). Ces variations des caractéristiques du manteau lithosphérique subcontinental sont liées à des contextes géodynamiques bien différents tels que les cratons, stables pour la plupart depuis leur formation durant l’Archéen et au Protérozoïque inférieur (e.g. Griffin et al., 2003a; Pearson et al., 1995) et les rifts, où la lithosphère est déstabilisée au profit de la création d’une nouvelle frontière de plaque. Or, de tels changements d’épaisseur, de structure thermique et de composition peuvent être reliés à des processus affectant directement la rhéologie du manteau. Etudier ces processus est donc primordial pour comprendre le comportement géodynamique des continents. 

Outils d’étude du manteau lithosphérique subcontinental 

De multiples outils sont aujourd’hui à la disposition des géologues afin d’étudier la structure, la composition et le comportement du manteau lithosphérique subcontinental. Les méthodes d’observation indirecte, telles que celles utilisées par les sismologues, donnent accès à la structure globale du manteau. La tomographie sismique offre par exemple la possibilité de détecter des anomalies de vitesse dans une région donnée. Selon le contexte étudié, ces anomalies peuvent être reliées à des modifications du géotherme, des variations de composition, ou encore à la présence de fluides ou de magmas dans le manteau. L’interprétation de ces données en terme de composition ou de pourcentage de magma reste toutefois délicate et requiert des contraintes telles que celles apportées par les études sur les xénolites mantelliques ou par les études expérimentales. Les fonctions récepteurs (Vinnik, 1977) sont aussi communément employées afin de détecter des discontinuités sismiques dans le manteau supérieur. L’étude de l’anisotropie sismique permet quant à elle de détecter l’orientation des flux mantelliques ainsi que la déformation du manteau supérieur. L’analyse du déphasage des ondes SKS permet ainsi d’identifier la présence d’une ou plusieurs couches anisotropes et offre une bonne résolution latérale. L’utilisation des ondes de surfaces offre quant à elle une meilleure résolution verticale (e.g. Eaton et al., 2009). Enfin, les études magnétotelluriques rendent possible la détection de limites structurales verticales ou latérales (Evans et al., 2011), mais aussi de corréler des variations de conductivité à des variations de température et de composition. Les possibilités d’observation directes du manteau continental restent plus rares. Elles ne peuvent se faire qu’au travers de l’étude de fragments remontés à la surface par des processus tectoniques ou magmatiques que sont les massifs péridotitiques ou les xénolites. Ces fragments n’offrent ainsi qu’une vision locale, et donc parcellaire, du manteau lithosphérique. L’étude de ces roches permet toutefois d’obtenir des informations précieuses sur les processus physiques et chimiques affectant le manteau lithosphérique. En effet, par l’étude de la composition minéralogique et chimique de ces roches, il est possible de retracer leur évolution thermique et d’identifier le ou les épisode(s) métasomatique(s) auxquels elles ont été soumises. Les conditions et l’historique de déformation peuvent être aussi obtenus à partir de l’analyse des microstructures de déformation et des orientations préférentielles de réseau (OPR) des minéraux. Par l’analyse conjointe des compositions et de la déformation de ces échantillons, le rôle de la percolation de magmas et de fluides et de l’hydratation sur la déformation peut être étudié. Enfin, les propriétés sismiques d’une roche peuvent être calculées à partir des OPRs des minéraux la constituant, de la composition modale, de la densité et des constantes élastiques des minéraux (Mainprice, 1990; Mainprice et al., 2000; Mainprice and Humbert, 1994). Ces valeurs peuvent ensuite être comparées aux déphasages mesurés par les ondes SKS, afin de mieux comprendre la source de l’anisotropie mesurée, et si elle peut être lithosphérique, de faire des hypothèses sur l’orientation de la foliation fossilisée par le manteau lithosphérique (Figure 1.3 ; Mainprice and Silver, 1993; Nicolas and  Christensen, 1987). Enfin, l’expérimentation et les modélisations numériques et analogiques apportent des informations supplémentaires sur le comportement du manteau supérieur, en tentant de reproduire et de caractériser les processus qui s’y tiennent place. L’ensemble de ces outils apporte donc des informations précieuses et complémentaires. Les considérer dans leur ensemble offre ainsi les contraintes importantes nécessaires à l’établissement d’interprétations solides.

 Les cratons 

Modèles de formation

 Les cratons sont des domaines continentaux lithosphériques épais dont la formation et l’origine reste controversée. Plusieurs modèles sont encore débattus dans la littérature pour expliquer leur formation. Un premier modèle explique la formation de la lithosphère cratonique comme le résultat de la fusion au sein d’un panache mantellique où les hautes températures génèreraient les forts taux de fusion nécessaires à la formation d’une racine appauvrie en fer et sèche (Figure 1.4) (Arndt et al., 2009; Griffin and O’Reilly, 2007; Griffin et al., 2003a; Lee et al., 2011). Un tel modèle prévoit une stratification de la lithosphère d’une composition appauvrie (forts taux de fusion et Mg# de l’olivine élevés) à une composition fertile (faibles taux de fusion et Mg# de l’olivine faibles ; voir Figure 1.4 a ; Lee et al., 2011). Les réflecteurs horizontaux détectés par les fonctions récepteurs des ondes S au niveau du craton du Kaapvaal et du craton Nord Américain pourraient, entre autre, être expliqués par une telle stratification (Savage and Silver, 2008; Wittlinger and Farra, 2007; Yuan and Romanowicz, 2010). Si ce changement de composition est en effet observé dans les xénolites de plusieurs cratons, il n’est toutefois pas systématique (Lee et al., 2011). Un second modèle propose que la racine se forme par injection épisodique de petits diapirs (100-200 km) (de Smet et al., 1998, 1999, 2000). Un tel processus permet en effet la formation rapide d’une racine de composition distincte, faite de péridotite appauvrie en fer, telle que le suggère les xénolites cratoniques. Toutefois, ces deux modèles ne parviennent pas à expliquer la présence d’éclogites parmi les xénolites cratoniques. Dans un troisième modèle, la lithosphère cratonique se forme par le sous-plaquage ou l’imbrication successive de plaques plongeantes (Figure 1.4 b) (Lee et al., 2011; Pearson and Wittig, 2008; Simon et al., 2007). Un contexte de subduction pourrait expliquer les fluides en Si responsables de l’enrichissement en orthopyroxène mesuré dans les xénolites du craton du Kaapvaal (Simon et al., 2007). L’accrétion de lithosphère océanique est également suggérée par les signatures éclogitiques mesurées dans les inclusions de sulfides dans des diamants de ce même craton (Richardson et al., 2001). Ce modèle explique aussi la présence d’éclogite parmi les xénolites mantelliques cratoniques, mais la quantité d’éclogites attendue à la base du craton devrait être bien supérieure à celle présente sur les continents (Lee et al., 2011; Schulze, 1989). De plus, les différences de distribution des éclogites dans les kimberlites de groupe I et II du craton du Kaapvaal implique la subduction d’éclogites sous le craton il y a 100-115 Ma, en désaccord avec les reconstructions des mouvements tectoniques dans la région durant cette période (Griffin and O’Reilly, 2007). Cette imbrication semble aussi peu probable compte tenu de la flottabilité négative des plaques océaniques plongeantes qui devraient plutôt entrer en subduction (Arndt et al., 2009). De plus, l’imbrication de ces plaques plongeantes créerait des failles ou des zones de faiblesse de grande échelle qui devrait être cicatrisées pour pouvoir expliquer la stabilité à long terme des cratons (Lee et al., 2011). Un quatrième modèle suggère que la formation du manteau cratonique pourrait être liée à l’accrétion et l’épaississement d’arcs continentaux (Figure 1.4 c ; Lee et al., 2011). Si ce modèle, comme le précédent, peut expliquer les teneurs élevées en orthopyroxène dans les péridotites du craton du Kaapvaal, un tel contexte devrait générer la production de laves andésitiques, qui ne sont pas observées au niveau des cratons. 

Stabilité

 La stabilité et la longévité de certains cratons ont fait l’objet de nombreux débats et de nombreuses études depuis plusieurs décennies, mais restent aujourd’hui encore une question géodynamique majeure. Les compositions très appauvries en fer des péridotites cratoniques ont tout d’abord conduit Jordan (1978) à proposer que la composition réfractaire, et donc moins dense de la racine cratonique, compensait l’élévation de densité lié au géotherme froid du craton. Ces compositions devaient ainsi résulter en une flottabilité neutre de la lithosphère par rapport à l’asthénosphère. Or, des modèles numériques ont démontré que la diminution de densité liée à une composition appauvrie ne suffirait pas pour expliquer la stabilité des racines cratoniques sur plusieurs milliards d’années (Doin et al., 1997; Lenardic and Moresi, 1999). D’autres modèles suggèrent que la stabilité de ces racines pourrait être favorisée par la présence de matériel peu résistant autour du craton, telles que des chaines collisionnelles Neoproterozoïques ou plus récentes, qui localiserait la déformation (Lenardic et al., 2003). Plusieurs études suggèrent également qu’un fort contraste de viscosité entre la racine cratonique et l’asthénosphère pourrait être à l’origine de leur longévité (Doin et al., 1997; Pollack, 1986). Toutefois, les géothermes cratoniques, même s’ils sont froids, ne peuvent pas générer les 2-3 ordres de grandeur de contraste de viscosité nécessaires à la stabilité des cratons (Doin et al., 1997; Lenardic and Moresi, 1999). Assumant que l’épisode de fusion partielle responsable des compositions très réfractaires des péridotites cratoniques (Boyd and Mertzman, 1987) avait dû produire une déshydratation générale de la racine, puisque l’hydrogène se comporte comme un élément incompatible durant la fusion partielle (BolfanCasanova, 2005; Dixon et al., 2002; Hirschmann et al., 2005), des études ont suggéré qu’un  tel contraste de viscosité pouvait être lié à de très faibles teneurs en hydrogène dans l’olivine (Doin et al., 1997; Pollack, 1986). En effet, des expériences suggèrent que la présence d’hydrogène dans les roches mantelliques modifie significativement leur viscosité (voir section 1.2.4). Cette question sera abordée plus en détails dans le chapitre 2 de ce manuscrit. 

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