Le mariage homosexuel en droit international privé

« Il est un principe fondamental en vertu duquel le Parlement peut tout faire, sauf faire d’un homme une femme, et d’une femme un homme » . La force de cette maxime anglaise était absolue à l’époque où elle fut rendue célèbre. Toutefois, au regard des évolutions sociétales et morales, celle-ci pourrait bien être amenée à perdre de sa vigueur. Ainsi, en ouvrant le mariage aux couples de même sexe , le législateur français semble rendre identiques, tout du moins en droit, les couples formés d’un homme et d’une femme, et ceux formés de deux hommes ou de deux femmes.

Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, le mariage homosexuel relevait de l’inconcevable, de l’irréel. En effet, selon la conception française traditionnelle, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme. Ainsi, comme s’en remémore le Professeur Grimaldi, « dans le cours de droit de la famille, lorsque l’on évoquait les fameux mariages inexistants, ces mariages archinuls, on en donnait pour exemple, outre le mariage célébré selon des rites exotiques, le mariage entre personnes de même sexe, l’un et l’autre provoquant l’hilarité de l’amphi… ».

Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Notre conception du mariage, du couple, de la famille, et plus généralement notre droit, ont profondément évolué. Cette évolution s’est faite progressivement, d’abord sous l’impulsion des revendications de plus en plus prégnantes des couples de même sexe, lesquels aspiraient à une égalité et à une protection plus étendue que celle qui leur était offerte par le Pacs. Ensuite, c’est véritablement sous l’influence des législations étrangères, et notamment européennes, que la démarche du législateur français s’est concrétisée. Au sein de l’Union européenne, la voie du « mariage pour tous » avait, en effet, déjà été empruntée par quelques États . Une telle avancée ne pouvait être ignorée du législateur français, dans un espace où la liberté de circulation et d’établissement des personnes est essentielle. Plus largement, le mariage homosexuel avait déjà été légalisé dans un petit nombre de pays étrangers . Dès lors, loin d’être une innovation, encore moins une révolution, la loi du 17 mai 2013 est simplement le signe d’une évolution.

Pour autant, il ne fait nul doute que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe perturbe profondément les conceptions traditionnelles en droit interne, mais aussi nécessairement en droit international privé (DIP) .

En droit interne, si le « mariage pour tous » est ainsi qualifié par certains de « rupture anthropologique », il témoigne surtout d’une « réforme de civilisation ».

En droit international privé, le « mariage pour tous » constitue un enjeu de taille. Tout d’abord, parce qu’il confronte la théorie du droit international privé à une institution qui est certes universelle, mais dont la définition est aujourd’hui source de conflits. En effet, si le mariage est connu de tous, sa définition est remise en cause par l’ouverture du mariage homosexuel : alors que pour certains, le mariage unit un homme et une femme, pour d’autres désormais, il unit simplement deux personnes, sans condition de sexe. Il en résulte ensuite une profonde diversité, à laquelle le droit international doit faire face. Car aujourd’hui, la mobilité internationale n’a plus rien d’extraordinaire. Nombreuses seront alors les hypothèses où il faudra composer avec un mariage homosexuel valablement célébré dans un État, et réclamant ses effets dans un État fermé à ce type d’unions. De sa – rare – reconnaissance à son inexistence, en passant par sa nullité ou sa requalification, tels seront les dangers auxquels le mariage homosexuel doit se préparer s’il vient à voyager. Ainsi, comme le remarquait Batiffol, « si les liens qui unissent les éléments d’un système législatif sont étroits, ceux qui unissent une situation donnée à plusieurs systèmes coexistants ne le sont pas moins » . La circulation internationale du mariage homosexuel, sans que celui-ci n’ait d’obstacles à surmonter, relève alors du domaine des rêves. Pour que cette-dernière devienne réalité, en l’absence d’instruments communs, il semble qu’un effort de coordination des systèmes soit de rigueur.

La radicalité existant dans la diversité des réponses données à l’accueil des mariages entre personnes de même sexe, constitue alors un défi sans précédent que le droit international privé se doit de relever.

Des règles de forme au service de la célébration du mariage homosexuel 

Aux termes de l’article 202-2 du Code civil, « le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu ». Par cette voie, le législateur bilatéralise alors la règle déjà posée à l’article 171-1 du Code civil relatif au mariage de Français à l’étranger, et reprend par la même la solution déjà retenue depuis longtemps par la Cour de cassation .

Ainsi, indépendamment de la nationalité des époux ou même de leur résidence ou domicile, le mariage entre personnes de même sexe célébré en France devra obéir aux formalités préparatoires, ne pas faire l’objet d’une opposition à mariage, et répondre aux conditions de solennité et de publicité. Si les conditions de forme locales doivent donc être respectées, le mariage doit également être célébré par une autorité compétente en vertu de la loi de l’État de célébration. Dans sa formulation, la règle posée à l’article 202-2, applicable à tout mariage, semble a priori neutre. Cette neutralité de la règle de conflit est cependant largement atténuée par les nouvelles dispositions des articles 74 et 171-9 du Code civil relatives à la compétence de l’officier d’état civil français, lesquelles tendent à multiplier les possibilités de célébration en France d’un mariage homosexuel.

Tout d’abord, l’article 74 permet aux futurs époux de célébrer leur mariage dans la commune où l’un d’eux, ou l’un de leurs parents, a son domicile ou sa résidence établie par un mois au moins d’habitation continue. Si cette disposition n’est pas spécifique aux mariages homosexuels, elle assure néanmoins un large accès au mariage pour les personnes de même sexe en leur permettant de célébrer leur union devant l’officier d’état civil français dès lors qu’existe un lien minimal avec la France (qui peut tenir à l’un des parents, même étranger, de l’un des futurs époux). Ensuite, dans le cas où, malgré l’extension de compétence de l’officier d’état civil français effectuée par l’article 74, un couple ne pourrait pas célébrer son mariage en France (par exemple s’il réside à l’étranger et si aucun des deux époux, ni leurs parents, n’a de résidence en France), il faudrait alors respecter les conditions de forme locales, en vertu de l’article 202-2. Or, si la loi locale applicable ne connaît pas le mariage entre personnes de même sexe, celle-ci pourrait empêcher un Français de bénéficier du « mariage pour tous ».

C’est la raison pour laquelle une disposition particulière a été prévue par le législateur à l’article 171-9. Le texte vise le cas d’un mariage entre deux individus, dont un Français au moins, qui ont leur domicile ou leur résidence dans un pays qui n’autorise pas le mariage entre personnes de même sexe et dans lequel les autorités diplomatiques et consulaires françaises ne peuvent procéder à sa célébration. L’article 171-9 dispose alors que le mariage peut être célébré par l’officier d’état civil de la commune de naissance ou de la dernière résidence de l’un des époux, ou dans la commune dans laquelle l’un de leurs parents a son domicile ou sa résidence établie. À défaut, le mariage est célébré par l’officier d’état civil de la commune choisie par le couple. Autrement dit par exemple, un couple franco-mexicain résidant au Mexique et n’ayant peut-être aucun lien avec la France, peut, en raison de la seule nationalité française de l’un des époux, célébrer son union en France. Ainsi, dès lors que l’un des futurs époux a la nationalité française, le mariage peut être célébré en France, indépendamment du milieu de vie du couple. L’article 171-9 crée alors un véritable droit au mariage pour le ressortissant homosexuel français.

Deux observations peuvent être avancées concernant cette extension de compétence réalisée, par les articles 74 et 171-9, au profit de l’officier d’état civil français. D’une part, il faut noter que l’article 74 emploie le terme de « résidence » et non pas de « résidence habituelle », ce qui est facteur de souplesse si l’on admet qu’une résidence même de courte durée nuptial, permettant à des couples ayant très peu de liens avec la France de venir célébrer leur mariage en France. Cela nous amène à notre deuxième remarque. D’autre part en effet, les dispositions des articles 74 et 171-9 ne semblent pas vraiment refléter les « attaches familiales » qu’auraient les futurs époux avec la France telles que recommandées par la circulaire du 29 mai 2013. Si ce texte évoque l’importance pour les candidats au mariage « de pouvoir se marier dans les lieux où ils ont leurs attaches familiales » , cette exigence ne semble pourtant pas être remplie de par la souplesse des critères retenus pour pouvoir célébrer leur mariage en France. Par exemple, un couple d’Italiens propriétaires d’une résidence secondaire à Nice peut se marier devant l’officier d’état civil français à Nice. Or, l’on perçoit difficilement ici les attaches familiales que ce couple aurait avec la France. et ne correspondant pas au centre de vie de l’époux, puisse suffire. Ainsi, en vertu de l’article 74, un couple pourrait célébrer son mariage dans la commune où l’un de ses parents a simplement une résidence secondaire. Or, comme le remarquent très justement les Professeurs Godechot-Patris et Guillaumé, « compte-tenu de la souplesse du critère de la résidence, des manipulations de rattachement sont à craindre » . En effet, ces nouvelles dispositions du législateur français risquent de conduire à un tourisme nuptial, permettant à des couples ayant très peu de liens avec la France de venir célébrer leur mariage en France. Cela nous amène à notre deuxième remarque. D’autre part en effet, les dispositions des articles 74 et 171-9 ne semblent pas vraiment refléter les « attaches familiales » qu’auraient les futurs époux avec la France telles que recommandées par la circulaire du 29 mai 2013. Si ce texte évoque l’importance pour les candidats au mariage « de pouvoir se marier dans les lieux où ils ont leurs attaches familiales » , cette exigence ne semble pourtant pas être remplie de par la souplesse des critères retenus pour pouvoir célébrer leur mariage en France. Par exemple, un couple d’Italiens propriétaires d’une résidence secondaire à Nice peut se marier devant l’officier d’état civil français à Nice. Or, l’on perçoit difficilement ici les attaches familiales que ce couple aurait avec la France.

Il apparaît ainsi, à travers les nouvelles règles de forme édictées par la loi de 2013, que le législateur a souhaité garantir la célébration de mariages homosexuels en France, allant jusqu’à étendre très largement la compétence de l’officier d’état civil français, extension pouvant bénéficier même à des couples ayant peu de liens avec la France. La loi prévue pour régir les conditions de fond du mariage révèle la même intention du législateur, et conduit à instaurer un véritable droit au mariage pour les couples de même sexe.

Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : LA VALIDITÉ RENFORCÉE DU MARIAGE ENTRE PERSONNES DE MÊME SEXE
CHAPITRE 1 : Un rayonnement international du mariage homosexuel assuré par les nouvelles règles de conflit de lois
Section 1. La validité favorisée du mariage homosexuel célébré en France
§ 1. Des règles de forme au service de la célébration du mariage homosexuel
§ 2. Des règles de fond au service de la validité du mariage homosexuel
Section 2. La validité favorisée du mariage homosexuel célébré à l’étranger
§ 1. Une reconnaissance facilitée des mariages célébrés après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle
§ 2. Une reconnaissance assurée des mariages célébrés avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle
A) Ambiguïtés de la règle quant aux mariages concernés
B) Ambiguïtés de la règle quant aux effets de la reconnaissance
CHAPITRE 2 : Un rayonnement international du mariage homosexuel favorisé par une conception renouvelée de l’ordre public
Section 1. Le respect des engagements internationaux, une limite effective à la validité du mariage homosexuel ?
§ 1. Une limite contraire au principe d’égalité
§ 2. Une limite privée d’efficacité
Section 2. Le remède à la validité d’un mariage homosexuel en présence d’un engagement international : le recours à l’ordre public
§ 1. La réserve de l’ordre public, obstacle à l’application de la loi étrangère
prohibitive
§ 2. Une position a priori suivie par le juge
Conclusion du Chapitre 1
PARTIE 2 : DES EFFETS LIMITÉS DU MARIAGE ENTRE PERSONNES DE MÊME SEXE
CHAPITRE 1 : Des effets limités entre époux
Section 1. Des effets incertains en France : une adaptation nécessaire des règles de droit international privé
§ 1. Le juge face aux difficultés de détermination de la règle de conflit
§ 2. Le juge face aux difficultés de mise en œuvre de la règle de conflit
Section 2. Des effets incertains à l’étranger : l’exemple des successions internationales
§ 1. Des effets successoraux limités dans un État permissif
§ 2. Des effets successoraux inexistants dans un État prohibitif
A) Les solutions acquises
B) Les incertitudes persistantes
CHAPITRE 2 : Des effets limités à l’égard des enfants
Section 1. L’adoption internationale, un leurre pour les couples de même sexe ?
§ 1. L’adoption par les couples homosexuels, un droit bouleversant l’ordre public international
§ 2. L’adoption par les couples homosexuels, un droit symbolique
Section 2. La procréation assistée et son avenir incertain
§ 1. L’interdiction réaffirmée des techniques de procréation assistée : vers un tourisme procréatif amplifié
§ 2. L’inefficacité des gestations pour autrui réalisées à l’étranger
A) Le rejet de la transcription
B) Le rejet de l’établissement de la filiation
Conclusion du Chapitre 2
CONCLUSION GÉNÉRALE 

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