Le rôle de la langue française auparavant

La (re)production de connaissances et d’attitudes

Des attitudes et des systèmes de connaissance sont souvent profondément enracinés dans la société. Ils se reproduisent à travers les médias, le marché international et les systèmes d’éducation national (Bourdieu, 1990). Selon la théorie postcoloniale, la seule manière de corriger un déséquilibre de pouvoir créé et maintenu par le système colonisateur est par l’acte de décolonisation. Maldonado Torres (2011 : 204) explique que la décolonisation est une activité visant à surmonter la logique moderne de la colonisation des ressources naturelles, du corps et de l’esprit de tout le monde, surtout en ce qui concerne les gens de couleur i.e. les colonisés, les esclaves et leurs descendants. À travers un processus de décolonisation, le statut de l’identité individuelle est renforcé. De l’indépendance économique naît également une indépendance culturelle (Wilson, 2005).
Pour ainsi faire, la politique linguistique est un moyen efficace. Dans les mots de Ngugi wa Thiong’o (1985), un individu n’est capable de raconter sa propre histoire qu’en utilisant sa langue maternelle. Par conséquent : The choice of language and the use to which language is put is central to a people’s definition of themselves, in relation to their natural and social environment, indeed in relation to the entire universe. (wa Thiong’o, 1985 : 109-110)

Recherche antérieure

L’étude présente a comme point de départ deux études sociolinguistiques sur les Seychelles, publiées respectivement en 2008 et en 2015. Dans ces deux projets de recherche, les attitudes linguistiques du peuple seychellois ont été examinées. Malgré une différence de focalisation, ils ont obtenu des résultats conformes en ce qui concerne la relation entre la langue française et le peuple seychellois.
Deutschmann et Zelime (2015) ont étudié, à l’aide d’une méthode quantitative, les avis et les résultats scolaires des élèves seychellois à l’école primaire et secondaire. Ce faisant, ils ont trouvé que pendant les premières trois à quatre années à peu près, les langues officielles des Seychelles sont toutes les trois tenues dans une aussi haute estime les unes que les autres, mais au fil des années, les élèves aiment de moins et moins écouter, parler, lire, écrire et apprendre le français. En posant des questions aux élèves, les chercheurs ont donc vu une dépréciation relative du français, par comparaison au créole et à l’anglais.
De son côté, Fleischmann (2008) a mené une étude aussi bien quantitative que qualitative focalisant sur les attitudes envers le créole seychellois, entre 2005 et 2008. Elle s’est tournée vers un grand groupe d’informateurs avec des questionnaires et des interviews, visant à mettre au jour une aussi grande partie de la situation sociolinguistique que possible. En étudiant cette situation elle a révélé que le français est perçu comme la langue la moins prestigieuse des trois langues officielles (2008 : 118). En revanche, le français est considéré comme plus important à apprendre à l’école que ne l’est le créole. Quant à l’appréciation de la langue, les résultats sont conformes aux résultats de Deutschmann et Zelime (2015) : le français est moins aimé en tant que langue parlée, écrite, écoutée et lue que le créole et l’anglais.
Fleischmann trouve que son résultat est surprenant (2008 : 118). Elle réfléchit sur différentes raisons possibles, dont la ressemblance entre le créole et le français est un facteur qui peut compliquer l’apprentissage. Un transfert négatif se produit quand les élèves sont en train d’apprendre le français, de sorte que les ‘créolismes’ sont plus difficiles à éviter en français qu’en anglais. Encore une raison possible de la dévalorisation du français, est, selon Fleischmann, le rapport négatif de cette langue avec l’héritage esclavagiste (2008 : 139-140).
En ce qui concerne la compréhension des attitudes relativement négatives envers le français, Deutschmann et Zelime (2015) de leur côté, constatent simplement que c’est une question qui mérite une étude approfondie.

Méthode

Collection de données et méthode d’analyse

Pour atteindre le but de cette étude, des interviews semi-structurées ont été menées. Chaque interview a duré entre 40 et 50 minutes consacrées aux expériences des informateurs et à la situation linguistique des Seychelles. Pour ne pas influer les réponses le but précis de l’étude n’a pas été divulgué aux personnes sondées. Les interviews ont commencé par des questions générales sur l’expérience personnelle des informateurs et sur leur conception de la situation linguistique dans leur pays, pour ensuite zoomer sur la dévalorisation du français dévoilée par des études antérieures et notamment sur les causes sous-jacentes.
L’information acquise à travers les interviews a ensuite été transcrite manuellement. L’analyse des données a pris la forme d’une comparaison aux conceptions présentées dans le cadre théorique, présenté ci-dessus. Le contexte historique a ainsi été prise en compte.

Choix d’informateurs

Six interviews ont été effectuées. Les participants sont tous des enseignants seychellois. Étant de différentes générations, leurs vues couvrent non seulement la perspective des Seychellois de l’âge de 29 à 65, mais aussi, dans une certaine mesure, celle de leurs élèves, qui pour des raisons éthiques (en tant que mineurs) n’ont pas pu participer au sondage. Trois hommes et trois femmes ont été interviewés. Puisque trois d’entre eux enseignent le français, ceux-ci connaissent bien la nature de la langue française. Les autres trois reflètent mieux la grande majorité du peuple, qui n’a pas de connaissances profondes du français. Pourtant, lesdits informateurs peuvent toujours être considérés comme des acteurs essentiels quand il s’agit de la transmission d’attitudes sociolinguistiques, en tant qu’enseignants (Bourdieu et Passeron, 1990).

Notions éthiques

En effectuant une étude fondée sur des interviews, il faut suivre les conventions éthiques des études qualitatives. L’interviewé(e) a le droit d’avoir de l’information sur l’étude et sur les conditions de sa participation. Il/elle doit avoir le droit de soit terminer l’interview à tout moment, soit refuser de répondre à des questions qu’il/elle juge inappropriées. Les adultes uniquement sont jugés capables d’évaluer de l’information sur leur participation et de ses éventuelles conséquences (David et Sutton, 2010). Voici la raison pour laquelle les mineurs ne font pas partie du groupe d’informateurs de cette étude.
Pour assurer l’intégrité personnelle des participants, l’importance de garder leur anonymat a été soulignée, selon les conventions de David et Sutton (2010). Seules les données jugées pertinentes pour bien effectuer l’analyse seront publiées, i.e. l’âge, le sexe et le métier du participant. La possibilité a été offerte aux informateurs de réviser l’information publiée dans ce rapport.

Limites de l’étude

La source centrale d’information de cette étude est l’interview individuelle approfondie. La recherche qualitative permet l’acquisition de connaissances profondes sur l’objet de recherche. La méthode d’interviews semi-structurées permet d’adapter le questionnaire à chaque personne interviewée. Elle permet également d’ajuster le sondage selon des éventuels besoin d’approfondir les réponses précédentes ou de clarifier la question posée. Elle offre ainsi la possibilité de profiter pleinement de l’occasion de faire des entrevues avec des Seychellois, ceux dont l’étude parle. Cela dit, pour que les entretiens soient aussi efficaces que possible, un questionnaire de base a été formulé (voir appendice). Le questionnaire a été révisé selon l’instruction de David et Sutton (2010 : 121ff).
Ce genre de recherche est par sa nature très limité. Tirer des conclusions générales sur les attitudes linguistiques d’une population de 95 000 habitants et sur les causes sous-jacentes à partir de six interviews de 50 minutes au maximum chacune, peut être considéré comme hasardeux. Encore une limite pertinente est le fait que les interviewés sont tous enseignants. Il est bien possible que des employés dans l’industrie touristique, pour ne citer qu’un exemple, voient l’importance de la langue française dans une autre perspective. Néanmoins, le résultat de cette étude peut sans doute contribuer à une accumulation collective de données et à d’éventuelles futures études.

Objectivité

Malgré la possibilité d’anonymat offert aux informateurs, l’interview ne ne leur donne pas le choix d’un anonymat complet comme le fait par exemple une enquête en ligne. Même si la structure de l’interview vise à mettre l’interviewé(e) à son aise, la relation de pouvoir entre chercheur et répondant reste asymétrique (Schilling, 2013). Le français et l’anglais étant tous les deux des langues communes au chercheur et aux répondants, l’interviewée a pu choisir sa langue de préférence lors de l’entrevue. Ce choix de langue contribue aussi à l’accès aux récits aussi personnels et authentiques que possible.
Quelles que soient les mesures prises pour garder l’objectivité, une certaine l’influence du chercheur reste inévitable. Les conclusions du résultat de cette étude doivent donc être utilisées et interprétés à la lumière du contexte dans lequel ils ont été produits.

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