Le rôle du café dans le glénti

Un ou des rite(s) Du café à la place du village

Les gléntia qui constituent mon corpus sont donc des fêtes communautaires, autrement dit publiques. Cependant, elles se divisent en deux catégories. D’une part, il y a celles qui se déroulent dans le café avec la présence seule des hommes, et qui ont un caractère impromptu (elles sont appelées, je le rappelle, kathistó glénti, « fête assise ») et, d’autre part, celles qui sont programmées à l’avance et qui se tiennent sur la place du village, avec la participation des femmes et donc la présence de la danse. Du fait de l’existence de deux types de gléntia, le kathistó glénti et le glénti (avec la danse), il est possible de se demander si ces deux versions d’une performance similaire ont la même fonction au sein de la communauté. Existe-t-il réellement deux rituels différents, ou bien est-ce simplement deux versions du même rituel ?

Le rôle du café dans le glénti 

Le café (to kafeneío, το καφενείο) est appelé localement kafenés (ο καφενές) par les habitants d’Ólympos. Ce lieu, où les femmes ne se rendent jamais – à moins d’être l’épouse d’un tenancier de café et de l’aider dans son travail –, occupe une place très importante dans la vie sociale des hommes. Il s’agit, en effet, d’un lieu de rencontre masculin où la vie sociale bat son plein. C’est le lieu où l’on se retrouve pour regarder à la télévision le match de football, ou encore un DVD avec un documentaire concernant le village. C’est aussi le lieu de discussions et d’échanges autour de sujets importants, et notamment la musique. Mais quel rôle joue plus précisément ce lieu, réservé aux hommes, pour la communauté olympiote ? 

Un lieu de préparation et d’échanges

 Le premier élément qui mérite d’être souligné est le fait que dans le café, se déroulent de nombreux gléntia, que l’on appelle alors communément kathistó glénti (το καθιστό γλέντι), autrement dit la « fête assise », puisqu’elle n’est pas accompagnée de danse et que l’on reste donc assis pendant toute sa durée. Ólympos compte essentiellement trois cafés où 409 Un ou des rite(s) Du café à la place du village les hommes se retrouvent et qui sont situés non loin les uns des autres : le café de Níkos Filippákis et celui d’Antónis Zografidis qui donnent sur la place du Selláï, en contrebas de la place principale de l’église, et celui de Fílippas Filippídis, qui se situe dans une ruelle adjacente à cette placette336. Lors de ces différents kathistá gléntia, les jeunes, tout autant que les anciens, participent en improvisant des distiques, alors qu’ils le font plus rarement lorsque le glénti se déroule publiquement sur la place du village. Ces gléntia ont-ils de ce fait le même statut que ceux qui se tiennent sur la place du village ? C’est ce que je me propose de voir maintenant, à travers les distiques improvisés lors de kathistá gléntia dans un café. Voici un moment, que l’on pourrait qualifier de séquence, où les enchaînements de mantinádes, ainsi que les gestes développés, et les regards échangés permettent de comprendre une des fonctions du kafeneío, pour les habitants d’Ólympos. Ce glénti s’est déroulé à Pâques en avril 2014, dans la nuit du samedi au dimanche, juste après la célébration de la liturgie de la Résurrection, dans le café de Níkos Filippákis. Après environ une trentaine de minutes d’improvisation poétique chantée, où Michális Zografídis a chanté à lui seul la moitié des vingt-deux distiques échangés, ce même Michális, qui est train de jouer de la lýra, reprend la parole en demandant de manière indirecte à ses fils de se mettre à chanter (écoute disque 1 plage 037) : « Τώρα θ’ αφήσω τη σειρά να πάρουν τα παιδιά μου γιατί κι οι δυο ακολουθούν πιστά τα βήματά μου » « Maintenant je laisse la place à mes enfants pour qu’ils la prennent parce que tous les deux suivent fidèlement mes pas » Il faut noter qu’entre les deux vers du distique qu’il improvise, Michális regarde le plus jeune de ses deux fils, Andréas, avec insistance pour lui faire comprendre qu’il faut qu’il improvise à son tour.

Un membre de la communauté 

Un autre élément qui montre également l’importance du café est le fait qu’il soit personnifié. En effet, les hommes en parlent comme s’il s’agissait de l’un des leurs, qui, de la même façon que les anciens et les jeunes, se désole de ce qu’il voit et notamment du fait que le village se désertifie. Le café apparaît ainsi comme un témoin immortel et en même temps, intemporel, puisqu’il a assisté à tous les gléntia qui se sont déroulés en son sein. Par ailleurs, toutes les photographies qui y sont présentes rappellent aux hommes, qui sont en train de festoyer, ce qu’il a connu lui-même. Et de la même façon, les chaises qui s’y trouvent ne manquent pas de rappeler à chacun quelles étaient les places privilégiées de certains hommes aujourd’hui disparus et dont on regrette l’absence, notamment parce qu’ils étaient d’excellents participants lors des fêtes et qu’ils maîtrisaient l’art musical d’Ólympos.C’est ce qu’a exprimé Manólis Zoúloufos avec une grande sensibilité et une émotion intense, lors de la soirée dans le café de Fílippas Filippídis en avril 2015, en disant notamment que même les chaises du café témoignent du temps qui passe. Ainsi, en avril 2015, les hommes se sont retrouvés, le dimanche de Pâques, dans le café de Fílippas Filippídis qui se trouve dans une ruelle, non loin de la place du Selláï, où se situent deux autres cafés dans lesquels les gléntia se tiennent habituellement, et de la place de l’église. La soirée a commencé, après quelques chants non improvisés, par un échange de mantinádes se rapportant au fait que le village d’Ólympos est en train de disparaître. C’est le jeune Andréas Chirákis qui annonce ainsi (écoute disque 1 plage 094) : « Θέλομε δε το θέλομε η Όλυμπος θα λήξει γιατί δε πρόκειται κανείς οπίσω να γυρίσει » « Que nous le voulions ou non, Ólympos va s’éteindre parce qu’il n’est question pour personne de revenir ici » Il s’ensuit alors un échange de distiques sur cette question, échange qui cherche à donner des facteurs d’explication de ce phénomène que tous, ici présents, craignent, autrement dit la disparition de leur village, et avec elle, la disparition de leurs coutumes et de leur identité. Est mis en cause notamment le fait que beaucoup ne viennent pas vivre dans le village et que donc, leurs maisons restent vides la plupart du temps, mais aussi le fait que plusieurs des villageois qui vivent ailleurs ne reviennent pas régulièrement pour célébrer les fêtes du village. Un autre facteur mis en cause est la crise économique qui est également responsable à leurs yeux de la désertification du village. C’est alors qu’intervient le passage évoquant la personnification du café. C’est le jeune Fílippas Filippákis qui improvise ainsi, sur un air avec la présence de tsákisma après chaque vers du distique, air sur lequel Andréas Chirákis avait chanté auparavant (écoute disque 1 plage 105) : « Να ’χε μιλιά ο καφενές σήμερο να μιλήσει στα όρη είμαι και θωρώ το κόσμο το προσωρινό Απού θωρεί την Όλυμπο όλο και πάει να σβήσει αμοργιανό μου πέραμα έχε καλό ξημέρωμα » « Si le café avait la parole aujourd’hui il parlerait je suis sur les montagnes et je le vois le monde temporel.

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