Le service public et la RSE en France une perspective historique

Le service public et la RSE en France une perspective historique

Nous allons maintenant aborder les histoires longues du SP, de la RSE et leur articulation dans le contexte français. Ces analyses permettront de construire le cadre théorique de notre recherche sur le déploiement de la RSE à France Télécom. Nous commencerons par présenter la France au temps de l’essor du SP. Plus précisément, nous nous intéresserons à la manière dont le SP, ses représentations et son mode d’organisation se sont imposés, du début du 20ième siècle jusqu’aux années 1960-1970, pour réguler l’espace du social, jusqu’alors occupé par des Initiatives volontaires d’entreprises regroupées sous le vocable Paternalisme, et assurer le développement de la France. Nous analyserons alors les motivations à l’origine de la mise en œuvre du SP et ses capacités à remplir sa finalité d’intérêt général (I.1). Nous nous centrerons ensuite sur le contexte d’ébranlement du SP. Cela nous situera dans les années 1960-1970, autrement dit vers la fin des « Trente glorieuses » (ou du compromis fordien). Après une présentation des critiques adressées au SP, nous centrerons notre attention sur la façon dont le processus général de libéralisation et de privatisation des services publics, va faire évoluer la situation du rôle de l’Etat et des entreprises dans la société. En France, deux conceptions du SP s’entrecroisent. La conception organique qui assimile le service public à l’entité publique qui en a la charge et la conception fonctionnelle qui met en avant les buts, les finalités et les missions du service public (conception partagée par les différents Etats européens), et non le statut de l’entité qui en est responsable. Nous montrerons que seule la seconde conception est aujourd’hui viable pour penser la refondation du SP, dont le devenir se joue désormais à l’échelle européenne (I.2). Puis, nous aborderons l’essor de la RSE et ses répercussions dans l’entreprise. Il nous faudra la situer à l’échelle internationale et en présenter les principaux traits génériques, pour mieux comprendre ses formes de développement spécifique en France. Nous soulignerons alors que par un jeu d’influences multiples, provenant des référentiels internationaux, des discours de l’Union européenne, des normes, outils,…, en faveur de la RSE, mais aussi de l’histoire d’une France dans laquelle s’inscrit le SP, un système hybride mêlant des politiques d’ordre public Le service public et la RSE en France une perspective historique 20 et des Initiatives volontairesd’entreprises privées, publiques ou mixtes, s’est instauré dans ce pays. Nous analyserons ensuite, de manière plus générale, la façon dont les entreprises s’approprient la RSE et les préconisations des chercheurs en ce domaine. Ceci nous permettra de saisir la place et le rôle qui lui sont accordés dans le fonctionnement des entreprises et d’identifier dans quelle mesure elle contribue ou pourrait contribuer, dans une vision plus prospective, à servir l’intérêt général (I.3)  

L’Essor du service public et le déclin du paternalisme

Dans le cadre de l’économie de marché, logique de SP et initiatives volontaires patronales « explicites » (Matten et Moon, 2006) qui visent la protection et le développement de la société, se sont souvent confrontées, substituées les unes aux autres et parfois articulées. Ici, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’essor du SP et à la façon dont la représentation de son rôle dans le développement de la société mène au déclin des initiatives volontaires patronales. Pour le mettre en évidence, nous nous situerons d’abord, dans la période allant de la veille de la révolution française de 17893 jusqu’au début du 20ème siècle. Nous montrerons que durant cette période, caractérisée par le développement du libéralisme et par la présence d’une croyance collective en les bienfaits de l’ordre naturel, émerge une conception de l’Etat basée sur la « puissance » (Laufer, 2001), et se développent dans les milieux d’affaires des Initiatives volontaires patronales, bien souvent regroupées sous le vocable de pratiques paternalistes (Ballet et De Bry, 2001) pour assurer un développement serein de l’économie de marché. Cependant, ces Initiatives ne parviendront pas à résorber les injustices sociales. Ce contexte mènera alors à repenser le rôle de l’Etat. Ici, la notion de SP n’est pas encore conceptualisée (I.1.1) Nous poursuivrons notre analyse en examinant les évolutions apparues dans la période allant du début du 20ème siècle jusqu’aux années 1960. Cette période est marquée par la formalisation du modèle du SP, lié à la notion d’intérêt général, et dont la logique s’appuie sur la doctrine du Solidarisme. Nous présenterons ce modèle qui se caractérise par un contenu juridique, renvoie à plusieurs conceptions (organique et fonctionnelle), se structure à partir de principes communs à l’ensemble des services publics (égalité, continuité et adaptabilité) et se déploie selon des modes d’organisation spécifiques (I.1.2). Nous terminerons en soulignant l’étendue des services publics et leur rôle dans la société française. En réalisant cet état des lieux nous comprendrons pourquoi le SP est venu se substituer aux initiatives volontaires patronales « explicites » (I.1.3).

Le contexte d’émergence du service public

Durant la période allant de la veille de la révolution française de 1789 jusqu’au début du 20ème siècle, les modes d’interventions étatiques ont trouvé leurs fondements dans l’approche Kantienne et ont reposé sur une conception déterministe : « Nécessité fait loi » (Laufer, 2001, p. 59). Des formes d’interventions patronales « explicites » (Matten et Moon, 2006) se sont alors développées pour pallier les défaillances du marché. Avant la révolution française de 1789, l’espace social s’incarnait dans la personne du Souverain-Roi, persona mixta, c’est-à-dire personne constituée à la fois d’un corps physique et d’un corps mystique dont l’emblème était la couronne. La partie charnelle du roi représentait l’espace privé et sa partie incorporelle, l’espace public. De cette partie incorporelle dépendaient les « choses publiques », c’est-à-dire un ensemble de terres, précisément délimité et sur lequel on pouvait trouver les moulins, les pressoirs, les fours, etc. répondant à un besoin collectif. Les expressions « service du public » ou « service public » renvoyaient alors moins à une notion d’intérêt général qu’au fait que ces services dépendent justement de la couronne (Valette, 2000). La Révolution de 1789 est venue bouleverser l’organisation de cet espace social en destituant le Souverain-Roi de ses fonctions et en le remplaçant par l’Etat-Souverain. Le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 a permis de rapprocher le terme « service public » de la notion d’intérêt général. Il indique ainsi que la force publique « est instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée » (article 12) (Giraudon, 2010, p. 11). Le pouvoir de l’Etat s’est alors étendu en s’appuyant sur la notion d’intérêt général, et le principe de « l’utilité publique » s’est présenté comme le moyen de réaliser et de mettre en œuvre la loi de manière satisfaisante et en conformité avec l’intérêt national. A la fin du 18ème siècle et au cours du 19ème siècle, la croyance en les bienfaits de l’ordre naturel est dominante. Les traités d’économie politique d’Adam Smith ou de Jean Baptiste Say présentent les quatre principes clés de cet ordre naturel : La recherche du profit pour le(s) propriétaire(s) des marchandises ; la concurrence pure et parfaite impliquant la présence d’entreprises de tailles extrêmement réduites ; le risque pris par l’entrepreneur ; le droit de propriété (Laufer, 2001, p. 51). Ces lois sont, en principe, censées à la fois régir les 23 rapports marchands (le marché s’autorégule) et favoriser la justice sociale grâce à la libre fixation des prix et des revenus. Dans ce cadre, si l’Etat est toujours resté présent dans la vie sociale (le « colbertisme »), il a accordé dans ses missions une place prioritaire à celles visant le respect des libertés individuelles et le maintien de l’ordre public (Chevallier, 2005, p. 10). Ce faisant, il a été perçu comme « une instance tutélaire et lointaine, chargée d’encadrer le jeu social » (fonctions d’attribution régaliennes, souci de l’ordre public ou encore remède contre les carences de l’initiative privée) (Chevallier, 2005, p.10). Les pourtours de différents départements ministériels aux prérogatives régaliennes se sont alors dessinés : l’armée et la diplomatie pour protéger l’espace national, la justice et la police pour garantir le respect des contrats et des personnes mais aussi le transport pour les besoins du commerce. On a assisté au développement des corps d’ingénieurs de l’Etat comme ceux des Ponts et Chaussées (1747), de l’Ecole des Mines (1783) ou encore de l’Ecole Polytechnique (1784), toutes ces Ecoles ayant vocation à fournir les connaissances scientifiques et techniques, indispensables à la bonne marche de l’économie marchande (Laufer, 2001, p. 61). S’agissant de la notion de « service public », elle renvoyait déjà à plusieurs acceptions (une entité sociale comme La Poste ou une prestation fournie à un citoyen comme un secours, etc.) mais restait encore intuitive (Esplugas, 1997). Alors que les lois naturelles du marché étaient supposées régir l’ensemble des activités économiques, l’histoire nous a appris que certaines activités (celles à l’origine, selon Braudel (1985), du capitalisme marchand et financier4 et des grandes entreprises sociétaires) ne s’y sont pas soumises : « peut-on oublier combien de fois le marché a été tourné ou faussé, le prix arbitrairement fixé par des monopoles de fait ou de droit? » (Braudel, 1985, p. 48). Pour Braudel deux types hiérarchisés d’économie de marché ont coexisté durant cette période. Le premier type a concerné les marchés ordinaires où s’effectuaient les échanges quotidiens et les trafics locaux de matières essentielles (bois, blé…).

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