Le statut de l’erreur dans ces différents modèles pédagogiques

Etymologie et conceptions philosophiques :

L’autonomie vient du mot grec autonomia, pouvoir de celui qui est autonomos, c’est-à-dire celui qui détermine lui-même la loi (nomos) à laquelle il obéit.
Dès l’antiquité les philosophes grecs ont su développer un idéal éducatif dont les préceptes existent encore aujourd’hui : celui de la formation de l’homme accompli. L’objectif de l’éducation étant l’action visant à faire de l’enfant un homme achevé et par conséquent libre. Selon Aristote […] nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre […] puisque seule est à elle-même sa propre fin ».2 Les savoirs et les connaissances constituent une base importante pour l’éducation des enfants mais elles ne se suffisent pas à elles-mêmes pour former un être fini. Pour vivre en démocratie dans l’agora, il est indispensable que l’éducation revête aussi une dimension morale et éthique. C’est ainsi que l’homme pourra réellement être autonome et faire ses choix de vie en toute connaissance de ses intérêts personnels mais aussi des intérêts collectifs. Une fois de plus, nous pouvons constater que les préoccupations des philosophes grecs sont tout à fait proches des finalités éducatives que recherche l’école du XXIème siècle.
Au XVIème siècle, de nombreux philosophes vont se rapprocher des idéaux de leurs ancêtres grecs. Ainsi, Emmanuel Kant distingue l’homme autonome comme celui qui se donne ses propres lois dans un intérêt moral, éthique et universel de l’individu hétéronome qui obéit aux lois qui lui sont dictées sans réfléchir réellement à l’intérêt de celles-ci. L’objectif étant de tendre vers l’autonomie réelle selon le philosophe : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi morale universelle ».3 Des philosophes contemporains tels que Jean-Paul Sartre abonderont en ce sens en estimant que « l’homme n’a d’autre législateur que lui-même ».4

Définitions de l’autonomie dans le champ des sciences de l’éducation :

Dans le champ des sciences de l’éducation, la définition de l’autonomie est bien plus vaste et sujette à de nombreuses études. Il s’agit d’une attitude et d’une compétence que chaque professeur souhaite développer chez ses élèves afin de former des hommes et des femmes libres, conscients de leurs choix et capables de s’organiser en disposant d’outils et des méthodes de travail.
En écho aux conceptions antiques de l’autonomie, nous pourrions utiliser les définitions données par Robert Lafont en 1973 et Philippe Meirieu en 2014.
• L’autonomie consiste à se faire soi-même sa loi et à disposer de soi dans les diverses situations pour une conduite en harmonie avec sa propre échelle de valeurs. […]. Toutefois, l’autonomie n’est jamais complète et doit se reconquérir sans cesse parce que nous resterons toujours dépendants de notre affectivité, de notre tempérament et des exigences sociales. L’autonomie est à étendre comme un des éléments fondateurs et constituants de la responsabilité ».5
• L’autonomie est la capacité à se conduire soi-même. Etre autonome, c’est accéder progressivement aux enjeux de ses propres actes et non agir en fonction des seuls intérêts du moment sans apercevoir le type de société qui se profilerait si ces comportements étaient systématisés ».6
Cependant, ces définitions semblent assez lointaines des compétences et capacités que possèdent des élèves de cycle 2 qui vont être au cœur de ce mémoire. L’accès à l’autonomie est un long parcours et les élèves doivent disposer d’outils et de méthodes afin de pouvoir commencer l’exercer dans le cadre de la classe. Philippe Meirieu nous met d’ailleurs en garde avec le terme d’autonomie qui semble être galvaudé par une partie de la communauté éducative pensant que ce qui ressemble à l’autonomie n’est en fait que de la « débrouillardise ».7 En effet, sous couvert de pratiquer les pédagogies nouvelles, certains enseignants font preuve pour Philippe Meirieu d’abstention pédagogique » 8 et laissent leurs élèves en jachère accroissant ainsi les inégalités car ceux qui savent se débrouiller le font tant bien que mal tandis les autres sont laissés pour compte et risquent même de chahuter en classe n’ayant pas compris l’objectif recherché car celui-ci n’a pas été explicité.
Il n’y a pas d’intérêt à donner des outils factices aux élèves qu’ils ne réutiliseront pas et qui permettent seulement à l’enseignant de ne pas être dérangé pendant une activité. Les outils doivent être crées avec les élèves et la méthode dégagée est tout aussi importante. C’est cette méthode qui leur permettra de se défaire de l’emprise de l’enseignant, leur donnera les clés pour répondre par eux-mêmes à leurs interrogations et exercer un réel travail de métacognition.
Pour conclure sur cette mise en garde, Philippe Meirieu donne un conseil aux enseignants et aux pédagogues qui, selon lui, doivent comprendre que « tous nos élèves peuvent être autonomes, mais qu’ils ne le sont pas encore – que, peut-être, ils ne le seront jamais complètement mais que c’est à nous, dans nos classes, d’inventer des dispositifs qui développent chez eux des capacités qui contribueront à construire leur autonomie ». 9
Bernard Lahire a mené une recherche auprès d’enseignants du 1er degré dont les résultats ont été publiés en 2001. La quête d’autonomie est prégnante dans tous les établissements scolaires mais elle n’est pas mise en place de manière homogène. L’auteur s’est intéressé aux pratiques pédagogiques mises en place pour remplir ce noble objectif. Il insiste sur l’évolution des pratiques enseignantes et le travail en atelier dans lequel le PE mène une pédagogie différenciée en fonction des compétences des élèves. En accordant plus de temps aux élèves qui en ont besoin, les élèves membres des autres ateliers « sont amenés à être relativement autonomes ».10 Toutefois, comme nous l’avons dit précédemment, l’enseignant doit avoir mis au point des outils et des méthodes pour permettre à ces élèves d’exercer cette autonomie.
Pour le sociologue, « l’autonomie repose donc fondamentalement sur trois éléments essentiels : la transparence : il faut que tout – de l’emploi du temps aux compétences visées en passant par les critères du jugement scolaire – soit dit à l’élève, explicité à son attention.
l’objectivation : il s’agit de s’appuyer sur un ensemble de savoirs, d’informations, de règles… écrits ou imprimés (manuels, fichiers, tableau, dictionnaire, livres divers) la publicisation : il faut que l’élève puisse se reporter à des éléments visibles (savoirs, règles communes, consignes d’un exercice). 11
J’essaie de mettre en place l’objectif de transparence dans ma classe au cours des regroupements du matin et du soir lorsque nous développons le déroulé de la journée grâce à l’emploi du temps qui est affiché. Cela permet aux élèves de se situer dans la journée mais aussi et surtout de comprendre ce sur quoi nous allons travailler et quels objectifs seront visés. En fin de journée un bilan est fait, toujours en regroupement, sur ce qui a été construit et appris. C’est également pendant ces temps de bilan en regroupement que nous essayons d’objectiver les savoirs abordés au cours de la journée. La publicisation des outils et méthodes se fait à chaque fois que nous élaborons un affichage concernant une leçon, une méthode de travail, une règle…
Par ailleurs, Bernard Lahire distingue deux pôles « indissociables » 12 de l’autonomie : « l’autonomie politique et l’autonomie cognitive ».13 Nous pouvons résumer ces deux pôles en indiquant que l’autonomie politique revient à former un élève citoyen soucieux des règles de vie de l’école, de la classe, capable de travailler avec ses camarades en coopérant. Cet aspect étant le lien avec l’autonomie cognitive faisant écho au développement de la métacognition chez l’élève. Ce pôle s’intéresse à la construction des savoirs, des compétences et au développement de méthodes d’apprentissage avec l’objectif que ces savoirs et compétences soient transférables dans d’autres situations.
Les travaux de Nicole Herr (1993) nous apportent un autre éclairage sur la notion d’autonomie car elle dégage 6 facettes de l’autonomie 14, complémentaires à celles de Bernard Lahire : l’autonomie physique : prendre conscience de ses possibilités physiques ; du schéma corporel ; des gestes quotidiens.
L’EPS est un domaine dans lequel nous travaillons cette facette de l’autonomie. Ici ce ne sera pas le thème de ma recherche. Il est à noter que les principales avancées sont généralement réalisées au cycle 1 par les élèves.
l’autonomie matérielle : savoir se repérer dans l’organisation de la classe et de l’école ; gérer son matériel d’écolier ; se situer dans l’espace matériel.
Il s’agit d’un des points qui m’a fait prendre conscience du manque d’autonomie de certains de mes élèves. L’aspect de gestion de son matériel d’écolier peut rapidement devenir gênant en classe car il peut faire perdre du temps sur les apprentissages mais encore une fois il ne sera pas central dans ma démarche de recherche en rapport avec ma problématique. Néanmoins, il sera travaillé en classe afin de réduire cet aspect chronophage. Il est clair, avec du recul, qu’inconsciemment cette facette de l’autonomie chez mes élèves a pu peser dans mon constat initial.
l’autonomie spatiale : se repérer dans l’espace proche, puis dans l’espace plus éloigné ; passer de l’espace vécu à l’espace parlé, puis représenté.
Ce point sera travaillé dans le domaine Questionner le Monde et plus particulièrement dans le sous domaine Espace/Temps. Cependant, nous verrons que nous aborderons cet aspect de l’autonomie lors de l’analyse de la séquence « Balle au capitaine ».
l’autonomie temporelle : prendre conscience du temps proche, plus lointain ; savoir mesurer le temps ; faire des projets ; rythmer le temps.
Ce point sera également travaillé dans le domaine Questionner le Monde et plus particulièrement dans le sous domaine Espace/Temps mais aussi dans le sous domaine Grandeurs et mesures en Mathématiques. Il ne sera pas central dans notre recherche mais nous le traiterons rapidement dans le cadre de la séquence « Danse contemporaine ».
Cette facette de l’autonomie occupera une place plus importante dans mon mémoire car j’ai pu remarquer que les élèves présentaient une forte dépendance envers l’adulte comme j’ai pu l’indiquer dans l’introduction. L’objectif va être que les élèves se libèrent peu à peu de cette dépendance en acquérant des méthodes et des outils. J’ai pu observer, depuis le début de l’année, que les élèves dépendants vis-à-vis de l’adulte étaient les mêmes qui pouvaient être dépendants de leurs pairs et ce, pour plusieurs raisons qui peuvent aller du manque de confiance en eux au manque d’implication dans les apprentissages se concrétisant par des élèves qui attendent que leurs camarades réfléchissent à leur place.
l’autonomie intellectuelle : certaines méthodes pédagogiques favorisent cette compétence.
• Apprendre à apprendre
• Travailler par objectifs, expliciter les buts
• Pratiquer l’évaluation formative, l’auto-évaluation
• Formuler des projets personnels
Cette facette de l’autonomie sera également au centre de mon mémoire et de ma démarche professionnelle car je pense que le rôle de l’enseignant moderne se situe au carrefour de toutes ces notions. Nous verrons tout au long de ce mémoire comment j’ai essayé de mettre en place des outils et dispositifs pour que les élèves tendent vers cette forme d’autonomie non seulement au niveau individuel mais aussi collectif.
Toutes ces dimensions de l’autonomie, détaillées par la consultante et conseillère pédagogique, sont travaillées en classe même si elles ne font pas l’objet d’outil ou d’affichage particulier. Parfois, ce sont simplement des habitudes forgées par des échanges oraux entre l’enseignant et les élèves. Par ailleurs, tous les élèves n’ont pas besoin d’un accompagnement individualisé mais pour ceux-là, il est indispensable que le PE sache que ces dispositifs existent et favorisent l’autonomie de l’élève car les entretiens collectifs ne leur correspondent peut-être pas et dans ce cas, il est possible de mettre des entretiens d’explicitations individuels au cours de l’évaluation formative.

Evolution des modèles pédagogiques dans le champ des sciences de l’éducation et en EPS. L’école se donne les moyens de l’accès à l’autonomie.

L’apport des pédagogies nouvelles pour le développement de l’autonomie des élèves.

Au début du XXème siècle deux pédagogues devenus célèbres, Célestin Freinet en France et Maria Montessori en Italie, vont placer l’élève au centre de leur pédagogie rompant avec les méthodes et modèles traditionnels d’éducation frontales et transmissives.
Selon Freinet, « C’est l’enfant lui-même qui doit s’éduquer, s’élever avec le concours des adultes. Nous déplaçons l’acte éducatif : le centre de l’école n’est plus le maître mais l’enfant » 15.
Ce sont les premiers à s’interroger sur la notion d’autonomie des élèves, même si le terme n’est pas utilisé chez Freinet qui utilise le terme de liberté.
Cette pédagogie nouvelle incite l’élève à devenir acteur de ses apprentissages, en opposition avec les classes traditionnelles dans lesquelles ils peuvent parfois être spectateurs des cours magistraux des instituteurs. Freinet offre une certaine liberté à ses élèves dans le choix de leurs activités que ce soit de la géométrie, de la numération, de la lecture… Cette liberté reste tout de même encadrée car les élèves ne doivent pas être confrontés à des notions trop compliquées qu’ils ne comprendraient pas et mèneraient à des situations contre productives. C’est dans cette optique que le pédagogue met en place des fichiers autocorrectifs assurant une véritable progression dans les notions étudiées. Les fichiers autocorrectifs permettant d’accéder à l’autonomie et à la métacognition, l’enseignant ne dispense plus le savoir de façon frontale mais devient médiateur entre le savoir et les élèves. Par ailleurs, ce dispositif donne une responsabilité accrue aux élèves. L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir ».16 Cette célèbre citation de Maria Montessori nous permet de mieux appréhender son modèle pédagogique offrant, à l’instar de Freinet, une grande liberté aux élèves. Les rythmes, différents, selon les enfants sont respectés et l’élève est là aussi acteur de ses apprentissages en s’investissant dans les activités qu’il a choisi sans subir de pression de l’environnement. Ce sont également les prémices de l’évaluation formative, les élèves sont évalués au fur et à mesure de leurs recherches et de leurs tâtonnements. Les évaluations sommatives identiques pour tous les élèves, génératrices de stress, ne sont pas pratiquées.
De l’autre côté de l’Atlantique, d’autres pédagogues comme John Dewey et sa pédagogie du learning by doing » (apprendre par l’action), vont promouvoir les pédagogies nouvelles. Sa théorie préconise que les élèves expérimentent et tâtonnent pour arriver jusqu’aux savoirs, en contradiction avec la posture passive des élèves qui écoutent le maître et le regardent faire les démonstrations sur son estrade. « L’enfant vient pour faire des choses… et utiliser des outils pour des actes de construction simples ; et c’est dans ce contexte et à l’occasion de ces actes que s’ordonnent les études : écriture, lecture, arithmétique… ». 17
En ce qui concerne la pratique de l’EPS, Freinet accorde une place fondamentale à l’expression corporelle et au rôle du corps de l’enfant à l’école, cela va donc au-delà de l’EPS. D’ailleurs pendant longtemps, les praticiens de la pédagogie Freinet étaient mal à l’aise avec la pratique de l’EPS car elle engendrait de la compétition et des valeurs qui étaient aux antipodes de ce que prônait ce courant. De plus, il paraît utile de rappeler que l’objectif de l’école n’est pas de créer des sportifs de haut niveau et l’EPS n’est pas « l’antichambre des clubs sportifs du coin ».18Jacques Querry, conseiller pédagogique et ancien membre du Comité de rédaction du Nouvel Educateur abonde dans ce sens : « Notre objectif d’enseignant polyvalent n’est pas dans la danse ou le basket, mais la construction chez l’enfant de ce qui lui permettra d’apprendre la danse ou le basket ».19 La pédagogie Freinet se décline aux activités sportives et d’expression corporelle, elles partent de tâtonnements en relation avec les situations proposées suivi d’une phase coopérative lors de laquelle les différentes solutions proposées par les élèves sont mises à jour afin de débattre sur celles-ci. Il est d’ailleurs préconisé dans le cadre de cette pédagogie de proposer des situations éloignées des pratiques courantes des élèves afin de susciter la curiosité et éviter un état d’esprit de compétition. Nous verrons dans le prochain paragraphe, sur les modèles pédagogiques, que ce dispositif se rapproche du modèle socioconstructiviste.
Tout comme Freinet, pour Montessori la place du corps dans l’éducation est centrale et les élèves sont trop souvent ancrés sur leur chaise. Pour elle, « l’enfant apprend en bougeant […] apprendre certainement mais vivre d’abord et apprendre la vie pour la vie ».20 Cependant, cela peut paraître surprenant mais il est pratiquement impossible de retrouver des créneaux EPS ou consacrés au développement de la motricité dans les écoles Montessori. D’une part, parce que les élèves ne sont pas contraints de tous réaliser une activité dans le même temps, de l’autre, les activités faites tout au long de la journée sont considérées comme suffisamment motrices. Les élèves ont tout de même la possibilité de développer leur motricité dans ce type d’école. En effet, il n’est pas rare de retrouver des « coins motricité » dans les classes et si ce n’est pas le cas, il existe des écoles dans lesquelles les élèves ont un accès (surveillé) à la cour.
De nombreux enseignants, la majorité dans des écoles maternelles, pratiquent la pédagogie Montessori avec comme objectif de respecter le rythme des élèves. Récemment, une enseignante chercheuse en sciences cognitives a mené une étude sur l’impact de cette pédagogie appuyée par des recherches en neurosciences. Il s’agit de Céline Alvarez, dont l’ouvrage « Les lois naturelles de l’enfant » 21 paru en 2016 revient sur une expérience réalisée sur une période de 3 ans dans un établissement situé en REP sur la commune de Gennevilliers. Les résultats obtenus par ses élèves sont bons et très encourageants, certains élèves de petite section entrant même dans la lecture. Toutefois, cette expérimentation reste controversée et les résultats contestés du fait des biais qui ont pu exister lors de celle-ci. Effectivement, il est apparu que l’enseignante disposait de moyens financiers et humains qui ne reflètent pas les conditions de travail d’un enseignant d’un établissement public classique.
En définitive, en dépit de ses nombreux avantages, nous pouvons reprocher à ce modèle d’être parfois trop centré sur l’élève en tant qu’individu et du même coup de favoriser l’individualisme au détriment de la construction de la personnalité et des apprentissages par le collectif.
Ces pédagogies nouvelles ont émergé dans la première moitié du XXème siècle et elles n’ont été que peu mises en pratique dans les classes restant même confidentielles pendant de longues années. Cependant, nous assistons à un net regain pour celles-ci depuis ces dernières années. Nous verrons dans le prochain paragraphe les évolutions des modèles pédagogiques au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

L’évolution des modèles pédagogiques

Du courant transmissif au constructivisme en passant par le béhaviorisme, l’école se donne le moyen de ses ambitions en ce qui concerne l’accès à l’autonomie de ses élèves.
La pédagogie transmissive est le modèle traditionnel en éducation. C’est le maître qui détient le savoir et l’inculque aux élèves. Le rôle de l’élève est d’écouter les leçons du maître pour s’en imprégner et réaliser les exercices qui en découlent. L’élève est représenté comme une cire molle dans laquelle le maître vient poser l’empreinte du savoir, en écho à la table rase (tabula rasa en latin) : tablette de cire vierge de toute écriture. Dans ce modèle, les notions d’autonomie et de coopération qui nous intéressent ici sont réduites à néant et la marge de manœuvre des élèves dans la classe est toute aussi réduite. Les principaux écueils de ce modèle résident dans le fait que les activités sont répétitives, à terme ennuyantes, et mettent les élèves en difficulté de côté car il y a peu de place pour la différenciation et celui qui ne suit pas les cours de l’enseignant va avoir du mal à rattraper le retard pris.
Au cours des années 50, aux Etats-Unis, le courant béhavioriste qui étudie la psychologie et le comportement des sujets face à une tâche, dont les premières expérimentations ont été menées sur des animaux, est en plein essor. Il s’agira par la suite d’une pédagogie expérimentale développée par de célèbres psychologues Pavlov, Thorndike, Skinner ou encore Watson. Ce dernier nous apporte un éclairage assez saisissant sur l’objectif poursuivi : « La psychologie, telle que la conçoit le béhavioriste est une branche parfaitement objective des sciences de la nature. Elle a pour objectif théorique la prédiction et le contrôle du comportement. Le béhavioriste, dans sa recherche sur le comportement, n’admet pas de ligne de démarcation entre l’homme et l’animal » 22. Plus tard, le rôle de l’enseignant est d’assurer une transposition didactique efficace afin de s’assurer que les élèves réussissent les premières tâches. La représentation du savoir peut-être assimilée à un escalier dans lequel les élèves graviraient les marches une à une, chaque marche représentant l’accroissement dans le degré de difficulté. Cette pédagogie nommée également conditionnement »23 fonctionne avec les renforcements positifs et négatifs de l’enseignant répondant à une réussite ou à un échec dans l’activité. Certains aspects de cette méthode peuvent
se retrouver encore dans certaines classes, par ailleurs ce modèle s’est révélé très efficace dans l’enseignement par ordinateur notamment. Toutefois, dans ce modèle, l’autonomie et la coopération entre les élèves ne trouvent que peu de place car les apprentissages sont pensés de façon très stricte et il est difficile de trouver une marge de manœuvre pour laisser de la place à ces notions. Dans les années 70, une rupture est engagée concernant les modèles pédagogiques. En effet, le modèle traditionnel ne peut répondre aux nouvelles caractéristiques de l’école qui connaît de nombreuses mutations. La scolarité est devenue obligatoire jusqu’à 16 ans entraînant une massification des effectifs et une hétérogénéisation des publics sans précédent.
Pour répondre à ces mutations idéologiques et sociétales, un nouveau modèle va apparaitre et se trouver en contradiction avec le modèle traditionnel. Ce modèle s’appuie sur les travaux de psychologues du développement tels que Jean Piaget et Henri Wallon.
Selon Piaget : « Si l’on désire, comme le besoin se fait de plus en plus sentir, former des individus capables d’invention et de faire progresser la société de demain, il est clair qu’une éducation de la découverte du vrai est supérieur à une éducation ne consistant qu’à dresser les sujets par volontés toutes faites et à savoir par vérités simplement acceptées ».24
Au niveau psychologique, Piaget fait l’hypothèse que le développement de l’intelligence des enfants connait des stades de développement progressifs. Ces stades n’étant que des repères car les enfants ne se développent pas tous de la même manière et la même vitesse. Le grand changement de ce modèle pédagogique vient du fait que le psychologue émet l’hypothèse que l’apprenant évolue en interaction avec son milieu en confrontant ses représentations initiales avec les résultats de ses expériences. Ce n’est pas une « tabula rasa », il possède des représentations qui vont évoluer. En procédant ainsi par essai-erreur, l’enfant rencontre des obstacles qu’il devra surmonter. Le principe de conflit cognitif est né. C’est en remettant à jour ses connaissances et ses procédures que l’enfant construit le savoir.
Wallon, lui aussi psychologue, parle également de stades de développement mais au contraire de Piaget, il s’agit de stades de développement de la personnalité. Pour lui, l’évolution entre les stades n’est pas linéaire. En effet, le développement de l’enfant peut connaitre des pauses, voire même des retours en arrière, et des grandes avancées. L’équilibre et les apprentissages de l’enfant se font au travers de deux processus contraires alternant au fur et à mesure des stades de développement et lui permettant de construire sa personnalité, pendant le premier l’enfant est centré sur lui, le second étant une ouverture vers l’extérieur.
Nous pouvons observer que le courant constructiviste offre une certaine autonomie à l’enfant car c’est lui qui tire les leçons de ses expériences pour construire ses savoirs. Pour autant, ces études ont été menées sur des enfants la plupart du temps seuls et les interactions entre eux n’étaient pas au centre des recherches des deux psychologues français. Or dans nos classes nous sommes confrontés à des groupes d’élèves qui expérimentent et apprennent ensemble.
L’apport de deux autres psychologues va avoir un grand retentissement dans le champ des sciences de l’éducation dans la seconde moitié du XXème siècle. Il s’agit des travaux menés par Lev Vygotsky et Jérôme Bruner au niveau des interactions sociales entre pairs. Vygotsky intègre donc une dimension sociale au développement du savoir de l’enfant et aux recherches de Piaget et Wallon. Il intègre également une dimension sociale et culturelle et considère le développement de l’enfant comme une fonction des groupes humains plutôt qu’un processus individuel. Les bases du socioconstructivisme sont posées.
Ces principaux thèmes de recherche porteront sur le langage et les interactions entre pairs au cours d’activités de recherche. Le psychologue va inventer le concept de Zone Proximale de Développement (ZPD), enseignée aux jeunes professeurs et utilisée dans nombreuses de nos pratiques pédagogiques. Il s’agit de proposer aux élèves des activités se situant légèrement au-dessus des compétences actuelles des élèves dans le but de créer des situations problème et favoriser le conflit cognitif. Ces problèmes, pour Vygotsky, doivent être résolus grâce au travail coopératif en groupe. L’intervention d’élèves « experts » au sein de ce groupe va permettre de faire émerger un conflit sociocognitif qui sera profitable à tous les membres du groupe, car l’élève expert » va devoir expliquer aux autres son cheminement et du même coup mieux le maîtriser en s’exerçant par la même occasion au langage et ainsi ses camarades seront plus à même de comprendre ses explications et procédures que si l’enseignant les avaient détaillées de façon magistrale. Vygotsky pense en effet que « les interactions avec les partenaires plus compétents, loin de freiner le développement d’une pensée autonome, lui sont nécessaires. Les activités menées avec la tutelle de l’adulte ou d’un ainé permettent la mise en relation de leurs actions et de leurs résultats, des significations langagières et des effets qu’elles permettent d’obtenir ».25 L’autonomie et la coopération deviennent dès lors des enjeux dans les politiques éducatives. Jérôme Bruner va également être un des précurseurs de la pensée socioconstructiviste. Il va aussi mener des recherches sur le rôle des interactions dans le développement. Dans le cadre des sciences de l’éducation, il va mettra à jour le concept d’étayage régulièrement repris et utilisé dans les manuels de didactique. Il s’agit de « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ ».26
Nous avons pu constater que les modèles pédagogiques utilisés dans les classes ont évolué depuis le début du siècle. La place de l’apprenant a changé, il est désormais au centre du processus d’apprentissage. D’autre part, l’autonomie et la liberté des élèves étaient très peu développées dans les modèles traditionnels tandis qu’aujourd’hui les apprenants sont amenés à développer des conduites leur permettant de surmonter des obstacles. De plus, les élèves ne sont plus seuls à leur pupitre, à travailler seuls sur leurs exercices. Il n’est plus rare de retrouver des îlots dans nos classes au sein desquels les élèves travaillent en groupe sur des situations de recherche, de découverte d’une notion… avant de retranscrire leurs idées pendant des phases de mise en commun dans le but de faire émerger un savoir, une méthode, une procédure, une règle…

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