Le travail littéraire et la part autobiographique

Le travail littéraire et la part autobiographique

Le texte de théâtre : du support de mémoire à l’objet littéraire Le texte de théâtre passe tout d’abord de son statut de support de mémoire, qu’il occupe dans l’entreprise du témoignage étudiée dans le chapitre précédent, à objet littéraire. Ce passage s’appuie sur une construction complexe entre énonciation dialogique et énonciation narrative. Dans un souci de réalisme et d’authenticité, le récit de soi passe par les personnages sur scène. Pour exprimer le rapport entre fiction et réel, la création se construit sur la poétisation de la référentialité. D’autres arts sont également convoqués : la musique, la danse et la vidéo. Art Le travail littéraire et la part autobiographique 133 total, le théâtre se rend capable d’intégrer au texte des matériaux de différentes natures pour donner à l’écriture dramaturgique une forme plus libre. 

Une construction complexe entre énonciation dialogique et énonciation narrative

Des références à des pratiques hybrides

le conteur Un demi-sac de plomb met différentes techniques issues de l’écriture narrative au service de la dramaturgie. Le personnage principal, Camélia, se présente comme une nouvelle figure du conteur. La pièce se construit autour du récit d’un épisode de l’Histoire de Jérusalem. À partir d’une situation dans le temps présent et contemporain, la menace qui pèse sur les propriétaires d’un café de la ville, Camélia remonte le temps à la recherche des origines et des causes de la situation qu’elle décrit. Deux temporalités, le présent et le passé, s’entremêlent par une alternance avec des scènes de théâtre de d’ombres. Cette temporalité fragmentée et entremêlée se construit notamment sur des procédés de mise en abyme qui participent à l’élaboration d’une narration mise en scène. L’intégration de procédés narratifs au genre théâtral se fait par les didascalies : )تخرجَ،َصالحَيشرعَبضبطَالتهَالموسيقيهَ،َانقطاعَمفاجئَللتيارَالكهربائيَ،َنسمعَصوتَعيواظَثمَتضاءَ شاشةَخيالَالظلَبالتداخلَمعَحوارَعبودهَوعبدَالقادرَوصالحَ،َومنَالضروريَأنَيظهرَالمشهدانَبالتزامنَ ودونَربطَبينهماَعلىَاإلطالقَ،َبمعنىَأنَمشهدَخيالَالظلَيأتيَمنَذاكرةَالتاريخَبينماَمشهدهمَيأتيَمنَ الواقع(505 « Elle sort. Saleh accorde son instrument. Coupure soudaine du courant électrique. On entend la voix de Iwaz s’élever pendant que l’écran de théâtre d’ombres s’allume en même temps que la conversation s’engage entre ʿAbbūdeh, Abd al-Kader et Saleh. Les deux scènes doivent être jouées en même temps sans lien entre elles. La scène de théâtre d’ombres commémore l’Histoire et la scène entre les trois hommes s’inscrit dans le temps présent. » 506 Les didascalies portent sur la temporalité et la manière dont elle doit être exprimée matériellement, scéniquement et scénographiquement. Une forme d’indication narrative pour la scène se développe dans Un demi-sac de plomb. Les autres textes du corpus utilisent également, sans passer par le personnage du conteur et sa réappropriation, des constructions narratives spécifiques. 505 Kāmil al-Bāšā, op. cit., p. 4. 506 Kamel El Basha, op. cit., p. 5. 

Des constructions narratives qui passent par des techniques narratives portées soit directement par le texte, soit par le relais de personnages narrateurs 

À portée de crachat, Un demi-sac de plomb, Dans l’ombre du martyr, À l’extérieur et Taha empruntent des techniques à l’écriture narrative. Les frontières entre écriture narrative et écriture dramatique semblent particulièrement mouvantes dans ces pièces. Mais au-delà des procédés et des contenus partagés, le genre théâtral affirme ses différences. Par leur nature monologuée, En dehors, Dans l’ombre du martyr, À portée de crachat et Taha se présentent comme des récits donnés sur scène par le monologuant au public. Le rythme du récit tend à se rapprocher de celui de la narration par l’emploi de différentes techniques : analepse et ellipse. Analepse Dans l’ombre du martyr se construit sur l’analepse507 . Dans la pièce le monologuant raconte ses souvenirs avec son frère mort en martyr lors de la seconde Intifada :  » وانا صغير، كان الزم ادير بالي على أخوي الصغير ل ّما تكون إ ّمنا في الشغل.َ)…(َاكتشفتَفيَهداكَالوقتَ إنه جابر هو اللي كان يخبّي كندرتها كل صبح عشان يمنعهاَتروح. »508 « Quand j’étais petit, je devais surveiller mon petit frère quand notre mère était au travail (…). À l’époque, j’ai découvert que c’était Jaber qui cachait ses chaussures tous les matins pour l’empêcher de partir.»509 Le monologuant ouvre la pièce avec cette réplique qui projette directement le spectateur dans une temporalité passée et dans le récit des souvenirs. L’anecdote qu’il raconte contribue à inscrire son récit dans une temporalité passée et un procès achevé. La pièce Taha se construit de cette manière sur une analepse générale. Ce retour en arrière est annoncé par la didascalie qui présente le prologue de la pièce, puis les premières paroles du personnage sur scène :  » برولوج )ضوء، نرى طه في السبعين ونّيف، يقف في بقعة ضوء، يلبس بدلة بنية اللون، نظارة سميكة علىَعينيه،َلحيتهَ نابتةَلكنهاَمرتبة،َشعرهَأبيض،َينظرَالىَأعلىَكأنهَينتظرَأحد،َيطيلَالنظرَقبلَأنَيستسلمَللكالم.( أناَأجيتَعالدنياَغصبنَعنها..َمشَبخاطرها..َماَكانَبدهاَاياني

Un effort de réalisme, d’authenticité efficace qui passe par le récit de soi de la part des personnages 

Les textes de Taha, Dans l’ombre du martyr et À portée de crachat s’apparentent au récit de soi. Ils se construisent sur l’emploi de techniques propres à celles de l’écriture autobiographique fictive et de l’écriture autobiographique. Effectivement, Taha et Dans l’ombre du martyr se distinguent d’À portée de crachat puisque, dans les deux premières, l’auteur et le narrateur sont distincts. À portée de crachat présente les caractéristique de l’autobiographie scénique puisque l’auteur et le personnage se confondent. Dans la version, en arabe, qui suit la première version en hébreu, l’auteur joue le rôle de son personnage, donnant ainsi un degré supplémentaire à la part autobiographique développée sur scène. 

L’importance des récits de soi mis en scène Taha

 Le texte de Taha répond aux conventions de l’écriture sur soi. Le narrateur livre le récit de ses souvenirs, présenté à la première personne du singulier. Mais l’auteur du texte, Amer Hlehel, n’est pas le poète-narrateur sur scène, le poète Taha Muhammad Ali. La visée de ce texte est donc de fabriquer une autobiographie doublement fictive : du point de vue de l’énonciation, puisqu’en réalité le « Je » de l’auteur et le « Je » du narrateur ne se confondent pas, et du point de vue de la narration, les souvenirs de Taha Muhammad Ali ne sont pas ceux d’Amer Hlehel. Cependant, ces deux pôles du processus, de l’écriture autobiographique à l’écriture fictive, apparemment distincts, se retrouvent sur scène, avec le comédien. Amer Hlehel, auteur du texte, incarne le poète Taha Muhammad Ali dans le récit des souvenirs. Le titre, Taha, renforce le caractère autobiographique. L’absence du nom de famille annonce le registre personnel sur lequel vont être livrés les souvenirs du poète seul sur scène. Le texte s’ouvre sur une fin : la fin de la vie du poète qui annonce qu’il va livrer le récit de sa vie depuis le début. La didascalie du prologue, déjà citée, évoque symboliquement et visuellement cette fin de vie, le prologue et les premiers mots du poète déjà cités le ramènent au début de sa vie. Le prologue fonctionne comme le pacte autobiographique d’un récit autobiographique défini par Philippe Lejeune. Ici, le lecteur est remplacé par le spectateur. Le narrateur et le personnage principal sont confondus. 

Cours gratuitTélécharger le cours complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *