Lecture de la communication politique moderne à partir des préceptes de Nicolas

Lecture de la communication politique
moderne à partir des préceptes de Nicolas

UNE SOURCE DE TAILLE: L’ANTIQUITE GRECOROMAINE ET L’INVENTION DE LA SCIENCE POLITIQUE

Lorsqu‟on aborde la question de la communication, de manière générale, l‟on se trouve d‟emblée confronté à la nécessité de remonter à l‟époque classique, plus précisément à l‟antiquité gréco- romaine qui, à notre avis, témoigne déjà de l‟importance attribuée à la parole, spécialement à la parole politique. En effet, ce qui se joue pendant cette époque classique, c‟est l‟éloquence. De ce point de vue, le domaine politique sera surtout vu sous l‟angle d‟une scène qui consacre pour ses acteurs l‟aptitude à la parole, le don de l‟éloquence. Et c‟est ainsi qu‟en Grèce, avec le triomphe de la rhétorique, nous assisterons à une conception de la politique qui se dessine déjà nettement dans certains écrits comme ceux de Platon qui consacrent cette importance accordée à la parole, à l‟instar de L’Apologie de Socrate24, qui, en présentant le procès du maître de la philosophie, montre par la même occasion le triomphe de l‟opinion par l‟usage de la rhétorique. Et, pour ce qui touche à l‟espace romain, il convient de noter que cette même force de la parole notée en Grèce, y aura un écho favorable, si on se réfère à ces pionniers de l‟éloquence que furent Cicéron et Caton, entre autres. Aussi, il convient ici d‟attirer l‟attention sur le fait que si ces deux foyers nous intéressent dans le cadre de notre analyse, c‟est bien en raison du fait qu‟au-delà de cette importance de la parole évoquée, l‟espace politique gréco- 24 Platon, Apologie de Socrate, Paris, Garnier- Flammarion, 1996. 28 romain a surtout constitué une scène du pouvoir, un lieu où se déploie un aspect de la théâtralité du pouvoir. A- La Grèce et la naissance de la science politique A première vue, on ne peut pas analyser le thème de la communication politique, chez Machiavel, sans toutefois d‟abord jeter un regard précis sur ce qui avait déjà été pensé par ses prédécesseurs, dans ce domaine. Si, comme l‟écrivait Jean Jacques Rousseau dans ses Confessions livre 9 « tout tient radicalement à la politique », il est de ce fait évident qu‟une pensée de la politique ne peut ignorer le terrain qui l‟a vue naître dans ses fondements les plus solides depuis l‟Antiquité. Ce terrain, c‟est par excellence la cité dans laquelle est née ce qui s‟appellera plus tard « démocratie » : Athènes. S‟il est nécessaire d‟insister ici sur Athènes, c‟est en vue de montrer l‟importance de la sophistique. En effet, les sophistes, dans l‟espace de la politique antique, étaient considérés comme des sortes d’experts en communication politique, pour le dire en langage d‟aujourd‟hui. Et il est remarquable de constater que cette même verve qui les caractérisait est restée l‟apanage de nos hommes politiques modernes et contemporains dont la pratique politique a été très souvent démagogique. En effet, les discours auxquels nous habituent les hommes politiques, en général, évoquent à bien des égards cette puissance verbale qui animait les sophistes. Ainsi, manier une thèse et son contraire en même temps, être capable d‟intervenir à propos de tout, proposer des lois au besoin, être capable de retourner la situation à son avantage dans le cadre d‟un débat, en transformant 29 une situation fragile en base d‟attaque, retourner les points forts de l‟adversaire à son désavantage en le fragilisant et parfois en le ridiculisant, telles sont les tâches que tous les sophistes partageaient et qui sont demeurées, au fil des siècles, l‟expression favorite de tout pouvoir. Les excès oratoires, la flatterie pour faire triompher leurs opinions, la persuasion, consacrent de nos jours ce besoin de plaire et de contenir les foules en haleine qui excite tant nos dirigeants. Et si, dans l‟analyse machiavélienne du pouvoir ces aspects suscitent l‟intérêt, c‟est en vertu de cette « violence » sourde qu‟on lit dans la formulation du discours politique, et qui n‟est pas sans évoquer les échos du procès de Socrate mettant alors en face deux justices contradictoires : celle de Socrate, fondée sur le vrai, et celle des autres citoyens, fondée sur les opinions. Il est clair qu‟à ce niveau de la réflexion, la persuasion ne vient pas de la vérité, mais plutôt de la multitude, de la foule. Et le « vouloir » de la multitude est par excellence ce que cible la théorie machiavélienne. Ce qui laisse à penser que la vérité ne commande pas la politique, mais plutôt l‟apparence. Et c‟est tout ce qui se déploie dans la communication politique du Florentin, destinée principalement à susciter l‟action. La référence à la civilisation gréco – romaine donne donc la mesure de l‟importance de l‟apparence dans l‟affirmation du succès de la politique, ceci, dans la mesure où la parole présidait à l‟action. Et, si l‟action, la parole et le pouvoir s‟épousaient parfaitement chez les Grecs, il faut insister sur le fait que c‟est la parole qui fondait davantage le sens de la réalité grecque. En effet, le système grec de la polis met l‟accent sur le langage comme élément de persuasion, « plutôt que comme manière spécifiquement humaine de répondre, 30 de répliquer, de se mesurer aux événements ou aux actes», de l’avis d’Hannah Arendt25 . Ainsi, la démocratie athénienne avant tout, était une démocratie de la parole, mais, il convient aussi de mentionner que l‟espace grec était un espace où le pouvoir était mis en scène à travers l‟apparence travaillée du prince, et qui traduit l‟expression du pouvoir.

De la constitution de la république romaine à la naissance de l’empire : le rôle du discours

L‟histoire de Rome est marquée par d‟incessantes guerres de conquêtes qui ont contribué à faire de cette partie de l‟Europe le centre du monde méditerranéen, suite à la soumission et à la destruction de certains peuples vaincus comme l‟Espagne, Carthage, détruite en 146, la Macédoine, réduite en province etc.C‟est ainsi qu‟affluèrent à Rome en même temps que des 39 esclaves et otages, des ambassadeurs, des intellectuels, des artistes, médecins, savants et surtout des enseignants venus de Grèce spécialement. Cette fusion avec d‟autres peuples contribua ainsi chez les romains à la découverte de nouveaux centres d‟intérêts en élargissant leurs points de vue quant à certaines réalités touchant au domaine politique. Parmi celles-ci figure la communication comme enjeu capital qui doit animer l‟homme politique qui veut accéder aux charges, en se faisant élire par vote. Si cette communication s‟exerçait sous la Royauté dans des cercles aussi restreints que le sénat ou le conseil royal, il faut dire qu‟elle va s‟étendre, sous la république, aux autres entités de la population, constituées par les citoyens importants, lesquels doivent convaincre un corps électoral, ainsi que de nombreux auditeurs qu‟ils doivent persuader, en vue de se faire élire ou de faire passer leurs lois. L‟éloquence était ainsi une technique requise dans cette Rome antique. Comme en Grèce, à Rome, l‟art oratoire commence là où commence la vie publique. Il s‟agissait d‟un art, celui de bien parler. Et cet art se développe principalement dans la Rome républicaine sous la plume de Caton l‟Ancien qui affirme à ce propos:«l’orateur: un homme de bien, sachant s’exprimer».Mais cet art de s‟exprimer trouve sa manifestation la plus originale chez Cicéron dont les écrits signent la fécondité du génie romain. C‟est ainsi que dans son De Oratore31, Cicéron nous fait part des exigences de l‟énonciation en distinguant 31De Oratore ou Dialogi tres de Oratore (qui décrit trois dialogues à propos de l‟orateur) est un traité de Cicéron écrit en 55 avant J.C et qui touche à la rhétorique et à sa pratique, rédigé en latin. 40 certaines règles d‟élaboration du discours argumentatif, pour ce qui concerne en particulier le discours judiciaire et le discours politique. Dans cette Rome d‟autrefois, le discours politique permet de remporter des élections par le prisme de l‟éloquence, laquelle mêle assonances et anaphores. Ce qui nous intéresse ici, c‟est moins l‟analyse technique des procédés de communication que le résultat visé par celle-ci dans l‟espace du politique. Et c‟est ainsi que nous nous intéresserons essentiellement ici à la réaction que vise l‟écrit ou le discours chez le lecteur. D‟où le rapport qui se dessine entre l‟orateur et son public, lequel rapport est en grande partie soustendu par les affects, car il s‟agit de charmer un public, de l‟émouvoir afin de le convaincre, même si en définitive la parole politique n‟engage que ceux qui y croient. Ainsi, un discours politique convaincant et bien argumenté assure très souvent une place au sommet. C‟est ainsi que sans sa verve légendaire, Cicéron n‟aurait jamais été consul. Dans cette Rome d‟autrefois, l‟éloquence était ainsi considérée comme le premier média de l‟humanité qui permettait d‟accéder au renom et à la postérité sans recourir aux armes. Sur ce plan, le citoyen romain était soumis à la même condition qui présidait à l‟action politique chez les grecs : la parfaite maîtrise de l‟éloquence comme élément contribuant à consolider la citoyenneté. 41 « L’éloquence touche à toutes les affaires publiques et privées ; c’est elle qui apporte à l’Etat le plus d’avantages, elle qui procure aux orateurs la gloire, les dignités-et à leurs amis la protection la mieux assurée»32 . confiait ainsi Cicéron, qui reconnaissait en ces termes l‟omniprésence du discours public. C‟est ainsi que la maîtrise du verbe, en vue de susciter la persuasion de l‟auditoire, devait obéir à des règles que Cicéron élabore dans son ouvrage De Oratore de la manière suivante : le probare (rendre croyable), le delectare(charmer) et le flectere(émouvoir). Ces règles témoignent assez de l‟attention que l‟homme politique ainsi que le citoyen tout courtdoivent porter à la communication. C‟est de ce point de vue que dans le livre 1 du De Oratore, Crassus reconnait que l‟orateur, en plus d‟avoir une excellente formation culturelle politique et philosophique, doit maîtriser l‟expression verbale et corporelle afin de susciter l‟émotion et emporter l‟adhésion de l‟auditoire. 

L’expression de la « souveraineté » et la naissance de l’Etat moderne

Bien que les grecs aient conçu et réalisé le concept de démocratie à leur manière et qu‟ils l‟ont appliqué à l‟échelle réduite de Cités telles Athènes et Corinthe, ils ont par la même occasion, bien pensé un pouvoir du peuple, mais ce pouvoir (qui exclut, il faut le préciser, les femmes, les esclaves et les métèques) ne réfère pas pour autant à la souveraineté. En effet, chez les grecs anciens, l‟idée de souveraineté renvoie à une aspiration à un idéal transcendant, au Souverain-Bien, plus exactement au cosmos, entendu comme le lieu des vérités universelles38, et que l‟homme ne peut que contempler dans la pureté de leurs essences, et non se constituer par son action propre. 38Là, on renvoie à la configuration platonicienne des deux mondes analysée dans l‟ouvrage La République. 47 Et lorsque l‟on se réfère à la société romaine de l‟époque ancienne, on se rend compte que cette notion de souveraineté avait comme résonnance un pouvoir politique fort, dès lors que l‟Empire est gouverné par un monarque plus ou moins absolu : le Caesar, qui tient sa légitimité de Dieu. Ainsi, en dehors de l‟Imperium, qui désigne le pouvoir suprême, il n‟y avait pas de véritable doctrine de la souveraineté, au sens où l‟exprime l‟Etat moderne, justement parce que l‟Imperium n‟était pas considéré comme le fondement de l‟Etat. A la suite de la disparition de l‟Empire romain d‟Occident en 476, le christianisme prend le pouvoir et affirme par la même occasion l‟ascendance de la cité de Dieu sur la cité des hommes. En ce sens, l‟argument de l‟Eglise revenait à dire que la charge des hommes de Dieu était beaucoup plus importante que celle des rois. Et c‟est de cette manière que jusqu‟au treizième siècle, on a pu assister à des conflits entre les papes et les rois portant exactement sur la personne la plus qualifiée dans ces deux corps pour élire l‟autre. C‟est ce qu‟on a appelé du nom de « querelles d‟investiture ». Ce qu‟il faut retenir de ce régime féodal, c‟est le principe de la dissémination du pouvoir dont chaque seigneur détient une partie et se voit donc, au nom de la logique hiérarchique, obligé de prêter serment d‟allégeance à son suzerain, et le suzerain de tous les suzerains est le souverain, c‟est-à-dire le roi ou l‟Empereur. Ainsi, si on prend l‟exemple de l‟Europe féodale, le suzerain de la France est parvenu progressivement ; de conquêtes en conquêtes, à force de mariages et d‟alliances, de ruses et de trahisons, à établir progressivement sa souveraineté sur les autres provinces étrangères, lesquelles viennent s‟ajouter à son royaume. 48 Ce que l‟on retient surtout avec la féodalité, c‟est le fait qu‟il relève d‟un pouvoir sacré, de légitimité divine. Et ce pouvoir n‟est pas entre les mains d‟un seul,mais partagé entre des entités. Et le roi reçoit, de par son sacre par l‟Eglise, les attributs du vrai souverain qu‟est Dieu. Il faut toutefois souligner que ce régime féodal, bien que fondé sur un principe de hiérarchisation du pouvoir, ne fonde pas pour autant l‟idée de souveraineté, car le sacre du roi concernait exclusivement la personne de celui-ci comme puissance à qui appartient le royaume, et de ce fait, les attributs mêmes de la légitimité du roi(les regalia, qui sont des éléments de communication politique), renvoyaient à des éléments symboliques qui traduisaient l‟apanage de Dieu sur terre. Déjà, les monarques avaient tenté d‟imposer le culte de la personnalité pour mieux asseoir leur pouvoir ; ainsi au treizième siècle, les déplacements du roi sont soumis à tout un protocole, plus particulièrement lors des « entrées royales », « quand le monarque entre avec sa cour pour la première fois dans une ville »39 . Il fautattendre Jean Bodin (1530-1596) et l‟avènement de la monarchie absolue pour consacrer le principe de l‟indivisibilité du pouvoir qui donne naissance à l‟Etat moderne et à la politisation du concept de souveraineté, lequel ne traduit plus une incarnation de Dieu sur terre, mais plutôt celle de celui qui sur terre en possède la légitime représentation : le peuple. Si nous avons cru nécessaire de partir de toutes ces analyses, c‟est en vue de montrer ce que l‟histoire de la pensée politique doit à Machiavel, dont la communication porte pour la première fois sur un objet nouveau : l‟Etat, utilisé « dans son sens moderne », pour reprendre la terminologie de Roger Gérard Schwartzenberg40 .Le Prince,toujoursselon l‟avis de Schwartzenberg, est en effet « écrit à une époque tournante où, sur le déclin de la Papauté et de l’Empire, sur les décombres de la féodalité, s’édifient les premiers Etats nationaux »41 . Et, si on s‟accorde à penser que Machiavel fut le fondateur de la science politique moderne, c‟est en raison du fait que, bien avant Bodin qui considérait la souveraineté comme ce qui « gît principalement à donner loi aux sujets sans leur consentement42 », le projet machiavélien même laisse se dévoiler les intentions véritables de la politique, laquelle repose sur l‟existence de deux humeursirréconciliables : celle des Grands(qui cherchent à dominer) et celle du peuple (qui veut avant tout ne pas être dominé). Cette configuration des réalités, alliée à la compréhension des enjeux politiques à venir d‟un citoyen de Florence dont l‟existence même est menacée, en raison des tumultes que vit sa cité, divisée par des luttes intestines violentes, arbitrées par des puissances étrangères(françaises et espagnoles), dévoile nettement l‟intention manifeste de vouloir sortir de cette situation de non-liberté et de retrouver enfin un Etat qui consacrerait le bien-être de la collectivité. Machiavel est en ce sens un précurseur de la pensée de l‟Etat moderne. Et la conception du Prince, de l‟avis de Philippe Raynaud, « est une anticipation des grandes monarchies nationales et absolues»4.

Table des matières

Introduction générale
Première partie : des origines de la science politique à la fin des illusions
Chapitre 1 : Une source de taille : l‟antiquité gréco romaine et l‟invention de la science politique
Chapitre 2 : Machiavel et la constitution d‟une science positive
Deuxième partie : Le premier « expert » en communication politique ?
Chapitre 1 : Le discours du pouvoir
Chapitre 2 : Machiavel et les politique modernes : une étrange familiarité
Troisième partie : Politique et médias à l‟épreuve du machiavélisme
Chapitre 1 : Un rapport quasi mystique entre médias et politique
Chapitre 2 : Naissance d‟une opinion publique : la société civile
Conclusion générale

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