Les danses traditionnelles vodouisantes

J’ai été élevée en Haïti, dans une famille adoptive catholique très conservatrice. Mon père adoptif vivait sa foi chrétienne d’une manière particulièrement rigide. Sa vision de la foi et des bonnes pratiques catholiques était très stricte et il s’avérait inflexible envers tout ce qui pouvait apparaître comme un écart de conduite face à tout ce qui pourrait représenter un écart des normes de conduite catholique. À l’âge de trois ans, ma mère m’a fait intégrer un groupe de prière catholique au sein duquel j’ai grandi, en rejoignant le groupe pour jeunes enfants puis celui pour la jeunesse jusqu’à la chorale, ouverte à tous.

Je fréquentais également mon père biologique. Celui-ci était pratiquant vodouisant, mais gardait secrète cette pratique. À l’âge de sept ans, j’ai découvert cette face cachée de mon père ; j’ai fait la connaissance de son Loa . Dans une courte conversation avec mon père, son Esprit s’est manifesté , m’entraînant dans la confusion : il me fit comprendre que mon père n’avait jamais été un catholique, mais plutôt un pratiquant vodouisant. Il me mit aussi en garde contre la croyance en le Jésus de ma mère, qui, selon lui, n’était qu’une farce. Il me dit de poursuivre le même chemin que mon père car j’étais héritière de sa culture ancestrale, de sa lignée spirituelle et choisie des esprits.

Suite à cet échange, tout a basculé autour de moi : je me suis sentie tiraillée entre le devoir de choisir le Jésus de ma mère adoptive ou le vodou caché de mon père biologique. Prise dans cette guerre de religions, je n’ai cessé de me questionner sur ce que je devais faire pour en sortir. J’ai finalement décidé en atteignant l’âge adulte de prendre du recul sur les religions. Je me suis dit que je continuerais à croire en Dieu, en refusant toutefois qu’on me dicte quelle religion choisir ou encore mon positionnement quant aux questions religieuses.

Des années plus tard, un ami m’a invité à suivre des cours dans une école traditionnelle vodoue. Pourquoi ne pas aller à la rencontre de l’interdit, me suis-je alors demandé. Sans aucune hésitation, j’ai accepté l’invitation et j’ai commencé à participer à des tables rondes rassemblant des initiés du vodou et leurs enfants. Cette école est fréquentée par de nombreuses personnes, qu’il s’agisse d’habitués, d’invités, de curieux ou encore de gens comme moi à la recherche de réponses.

Après avoir passé un mois à écouter des témoignages, à échanger sur l’histoire du vodou, à déchiffrer mes rêves avec l’aide des initiés et à me questionner sur la manière dont est perçu le vodou dans le pays, j’ai commencé à découvrir la vraie nature de cette religion. J’ai pris la décision d’intégrer l’école. Chaque classe portait le nom d’une divinité, ou Loa du vodou. J’ai réussi à suivre les premiers cours.

Malheureusement, en raison de l’insécurité régnant dans la capitale, il m’était impossible de continuer à assister aux cours, donnés en soirée. Je fus une nouvelle fois replongée dans mes incertitudes et nourrissais de nouveau cette envie de découvrir l’interdit. Au fil des ans, je m’intéressais de plus en plus aux traditions, à l’ouverture et à la tolérance présents dans le vodou haïtien ; pour celui-ci, peu importent l’âge, le genre, l’orientation sexuelle ou l’appartenance sociale ; tout le monde est bienvenu chez les vodouisants.

Parallèlement à ces expériences personnelles, j’ai commencé à étudier dans le domaine de la communication. En 2015, suite à un appel à projet dont le thème était la « Formation et production de films documentaires pour les jeunes professionnels de Sparring Partners en Haïti », j’ai réalisé mon premier long-métrage financé par Sparring Partners et l’Union Européenne. J’ai intitulé ce long-métrage Haïti-Belles de nuit : Les conditions sanitaires des Travailleuses du sexe en Haïti. Dans ce documentaire, des travailleuses du sexe nous racontent leurs mauvaises expériences dans la rue et leur vie hors de celle-ci : leurs souffrances et leurs mauvaises conditions de santé ne les ont toutefois pas empêchées de goûter à certains moments de joie. Bien qu’elles soient méprisées par la société, elles restent des femmes comme les autres. Ce documentaire dénonce les mauvaises conditions de santé de ces femmes et incite le gouvernement haïtien à prendre ses responsabilités vis-à-vis d’elles. Pour réaliser ce documentaire, j’ai passé plus de deux mois à côtoyer ces femmes, à aller sur leurs lieux de travail, à rencontrer leurs enfants, amis et familles, à les observer, à écouter ce qu’elles avaient à dire ; à rire et même à pleurer avec elles. J’ai voulu créer un lien avec elles avant de commencer le tournage.

VODOU : ORIGINE ET DÉFINITION

Dans Les mystères du vaudou, Laënnec Hurbon définit le vodou de la manière suivante : « Dans la langue fon, parlée au Bénin, vodun signifie une puissance invisible, redoutable et mystérieuse, ayant la capacité d’intervenir à tous moments dans la société des humains » (1993, p. 13). De son côté, Jean Price-Mars, pionnier de la discipline ethnologique en Haïti, se questionne sur le vodou et en arrive à la conclusion que celuici est bien une religion :

Le Vaudou est une religion parce que tous les adeptes croient à l’existence des êtres spirituels qui vivent quelque part dans l’univers en étroite intimité avec les humains dont ils dominent l’activité. Ces êtres invisibles constituent un Olympe innombrable formé de dieux dont les plus grands d’entre eux portent le titre de Papa ou Grand Maître et ont droit à des hommages particuliers.

Le Vaudou est une religion parce que le culte dévolu à ses dieux réclame un corps sacerdotal hiérarchisé, une société de fidèles, des temples, des autels, des cérémonies et, enfin, toute une tradition orale qui n’est certes pas parvenue jusqu’à nous sans altération, mais grâce à laquelle se transmettent les parties essentielles de ce culte. Le Vaudou est une religion parce que, à travers le fatras des légendes et la corruption des fables, on peut démêler une théologie, un système de représentation grâce auquel, primitivement, nos ancêtres africains s’expliquaient les phénomènes naturels et qui gisent de façon latente à la base des croyances anarchiques sur lesquelles repose le catholicisme hybride de nos masses populaires. (Price Mars, 2009, p. 45) .

Le vodou a depuis toujours été diabolisé par le christianisme originaire d’Europe. Les esclaves venus d’Afrique ont été forcés d’abandonner leur langue et leur culture pour épouser la culture occidentale et honorer le dieu de l’Église catholique.

MOUVEMENT DES REJETÉS OU CAMPAGNE ANTISUPERSTITIEUSE

En 1860, l’État haïtien signe un concordat avec le Vatican en édifiant la religion catholique comme culte officiel et religion nationale. Le concordat débouche en 1941 à l’évènement connu sous le nom de « Campagne des rejetés » ou encore « La campagne antisuperstitieuse ». Cette campagne de déracinement du vaudou oblige des milliers de personnes à renoncer au vaudou, car aux yeux de l’Église catholique et du gouvernement, cette religion est satanique (Hurbon, 2002).

Durant cette campagne, les deux institutions persécutent et tuent les prêtres et prêtresses du vodou, brûlent leurs temples et détruisent les arbres dans les lakou en Haïti. Dans le symbolisme du vodou, les arbres, les sources et les rivières sont connus comme étant des endroits où les Loas ou Esprits demeurent. Par conséquent, l’État haïtien ainsi que l’Église catholique ordonnent que les arbres qui se trouvent dans les lakou soient détruits par le feu. Toute une culture est ainsi rejetée, pour la simple raison qu’elle n’est pas conforme aux normes occidentales. Toute pratique déviant de ces normes devient diabolique : danse, religion, coutumes ou mœurs .

DEUX FORMES DE RÉSISTANCES

Néanmoins, durant cette campagne, quelques esclaves refusent de se soumettre aux colons et inventent des formes de résistance. Le premier acte de résistance est le syncrétisme : il consiste à faire croire aux maîtres que les esclaves prient les saints de l’Église catholique tandis que ces derniers associent les saints avec les Loas ou Esprits de la religion vodoue. Le deuxième acte de résistance consiste à s’évader et à fuir les maltraitances pour prendre refuge dans les montagnes, hors des plantations de canne ou de la maison des maîtres. Ce marronnage dans les montagnes va les unir et le vodou va leur donner un sentiment d’identité et d’appartenance communs. Ce rassemblement leur permettra également de s’organiser pour briser l’esclavage.

CÉRÉMONIE DU BOIS CAIMAN

Durant la nuit du 13 au 14 août 1791, une grande cérémonie vodoue a lieu. Dénommée la « cérémonie du Bois-Caïman », elle marquera l’Histoire haïtienne car elle engendra la Révolution et l’Indépendance haïtienne. Deux acteurs clés jouent un rôle central dans l’indépendance haïtienne : « Boukman », chef de file, prêtre vodou et leader des marrons, et Cécile Fatiman, prêtresse vodoue. Lors de la cérémonie, Cécile procède au sacrifice d’un cochon noir : couteau à la main, elle chante et danse sur des rythmes de tambours accompagnés de mélodies créoles et africaines. L’animal est égorgé et son sang distribué à la communauté pendant que les participants font le serment de garder le secret sur l’organisation de la révolte. Suite au sacrifice, Boukman exhorte les esclaves à la vengeance à travers une prière connue comme La prière de Boukman. Voici un extrait de cette dernière :

Le dieu qui a créé la terre, qui a créé le soleil qui nous donne la lumière. Le dieu qui détient les océans, qui assure le rugissement du tonnerre. Dieu qui a des oreilles pour entendre : toi qui es caché dans les nuages, qui nous montre d’où nous sommes, tu vois que le blanc nous a fait souffrir. Le Dieu de l’homme blanc lui demande de commettre des crimes. Mais le Dieu à l’intérieur de nous veut que nous fassions le bien. Notre Dieu, qui est si bon, si juste, nous ordonne de nous venger de nos torts. C’est lui qui dirigera nos armes et nous apportera la victoire. C’est lui qui va nous aider. Nous devrions tous rejeter l’image du dieu de l’homme blanc qui est si impitoyable. Écoutez la voix de la liberté qui chante dans tous nos cœurs ». (Joanem, 2013).

Selon les croyants, les paroles de Boukman et la présence des esprits leur donnent la confiance et la force nécessaires pour se soulever contre les colons.

Les esclaves obtiendront la victoire de l’Indépendance, le 1er janvier 1804. Malgré cette victoire, le vodou est toujours mal perçu par les pratiquants de différentes religions d’origine chrétienne. Cette défiance témoigne d’une certaine tendance à diaboliser la majorité des activités culturelles et religieuses des Africains ainsi que des Afrodescendants. Les mœurs occidentales sont restées ancrées dans l’esprit des colonisés et la culture occidentale exerce encore aujourd’hui une domination symbolique sur la culture provenant d’Afrique.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 COORDONNÉES DE LA RECHERCHE-CRÉATION
1.1 MISE EN CONTEXTE HISTORIQUE
1.2 VODOU : ORIGINE ET DÉFINITION
1.3 MOUVEMENT DES REJETÉS OU CAMPAGNE ANTISUPERSTITIEUSE
1.4 DEUX FORMES DE RÉSISTANCES
1.5 CÉRÉMONIE DU BOIS CAIMAN
1.6 IMPORTANCE DE LA DANSE DANS LA VIE DES ESCLAVES
1.7 QUESTION
CHAPITRE 2
2.1 ANCRAGES THÉORIQUES
2.1.1 LE SYNCRÉTISME
2.1.2 RÉSISTANCE CULTURELLE
2.1.3 DANSE TRADITIONNELLE VODOUISANTE
2.2 ANCRAGES PRATIQUES
2.2.1 CHRIS MARKER
2.2.2 RICHARD SÉNÉCAL
2.2.3 MICHEL BRAULT
2.3 DOCUMENTAIRE ET ART
CHAPITRE 3 ENQUÊTE DE TERRAIN
3.1 VOYAGE EN HAÏTI POUR LE TOURNAGE
3.1.1 DÉPART DE PORT-AU-PRINCE POUR LES GONAÏVES
3.1.2 HISTORICITÉ DU LAKOU SOUVENANCE
3.2 DÉBUT DE MA VISITE DANS LE LAKOU SOUVENANCE
3.2.1 PREMIÈRE JOURNÉE À SOUVENANCE : PRISE DE CONTACT
3.2.2 PREMIÈRE JOURNÉE DE TOURNAGE
3.2.3 PREMIÈRE JOURNÉE DE FESTIVITÉ
3.3 DEUXIÈME JOURNÉE DE TOURNAGE
3.4 CORPS EN DÉPLACEMENT
CHAPITRE 4 PROJET FINAL
4.1- EXERCICE
4.2 DOCUMENTAIRE
4.2.1 MON OBSERVATION DES DANSEUR(ES)
4.2.2 MONTAGE DU DOCUMENTAIRE
4.2.3 RÉALISATION FINALE DU DOCUMENTAIRE
4.2.4 LES PREMIÈRES IMAGES DU DOCUMENTAIRE
4.3 DOCUMENTAIRE ÉVÉNEMENTIEL
4.3.1 INSTALLACTION
4.3.2 INSTALLATION VIDÉO
4.3.3 INSTALLATION SONORE
4.4 RETOUR SUR L’EXPÉRIMENTATION
CONCLUSION 

Cours gratuitTélécharger le document complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *