Les formes de la comptabilité communiste vietnamienne (1976-1986)

Les formes de la comptabilité communiste vietnamienne (1976-1986)

A partir de 1976, le système de comptabilité en application en RSV est celui du nord, un système de comptabilité de type communiste qui sera étudié dans la section suivante (6.2.). Nous allons dans cette section présenter l’historique et les caractéristiques de la comptabilité de type communiste qui a été introduite depuis les années 1960, puis généralisée sur tout le territoire du Viêt-nam réunifié à partir de 1976.  » [Dans une économie communiste régie par un plan pré-établi et équilibré], le rôle de l’État consiste à gérer et à bâtir l’économie nationale autour de ce plan unique. Comme Lénine l’a souligné : « (…) en l’absence d’un organisme d’État muni d’un plan unique autour duquel adhèrent des millions de personnes, on ne pourrait pas parler de socialisme. » La comptabilité,définie comme l’outil de gestion et de pilotage de l’économie nationale entre les mains de l’État prolétarien joue un rôle particulièrement crucial. En effet, Karl Marx a écrit : « La comptabilité est un outil de contrôle et de synthèse du processus de production. La nécessité de celle-ci s’impose plus fortement quand l’organisation de la production passe de l’état individuel à un état plus complexe et plus large au niveau social. » C’est pourquoi la comptabilité revêt un caractère plus important pour la production capitaliste que celle des artisans et des paysans ; plus important pour la production collective publique socialiste que celle de l’économie capitaliste. » (« Doctrine de comptabilité », 1978, p.13, notre traduction, mise en gras par nous) Les dirigeants politiques vietnamiens ont toujours témoigné d’une attention particulière aux domaines des finances publiques et des entreprises dont la comptabilité (d’entreprise). En effet, dès 1963, un établissement de formation au niveau central pour former des cadres dans les domaines de la finance, de la comptabilité et de la banque a été créé. Cet établissement est l’antécédent de l’université de finance et de comptabilité de Hà Nội (1976). Il a pour particularité de relever d’un côté du ministère des finances et de l’autre du ministère de l’éducation et de la formation. Il est parfois victime de son statut particulier car il a connu, tout au long de son existence, des changements profonds et parfois perturbants au gré des réformes économiques. Il a été soumis à des opérations de fusion avec d’autres institutions, puis de scission ou de changement d’enseigne. Les projets de modification de cette institution sont révélateurs d’une certaine ambiguïté dans le positionnement de ce corps de métier au sein du système économique communiste. Pourtant, un élément reste inchangé : l’enseignement de la comptabilité est strictement contrôlé par les institutions habilitées du ministère des finances. Le contrôle sur le contenu de l’enseignement assure une certaine uniformité des diplômés qui joindront le corps des comptables à la sortie des écoles. En effet, l’une des fonctions principales des comptables était de faire respecter l’esprit de la loi dans le domaine de la comptabilité dans les entreprises. 

La définition de la comptabilité socialiste

 La comptabilité socialiste ou la comptabilité de type communiste (selon notre vocabulaire), conçue pour relater les activités économiques des compagnies étatiques, fait partie d’un système de trois types de comptabilités, « (…)dont elle est considérée comme la plus importante car elle permet le contrôle centralisé des ressources allouées aux entités économiques, leur utilisation, le calcul du coût de revient des produits, la comparaison du résultat réel et prévisionnel, le diagnostic économique et financier individuel des entreprises et le calcul des agrégats macroéconomiques. La comptabilité   d’entreprise socialiste n’est pas totalement détachée de la comptabilité dite nationale comme elle l’est en économie capitaliste. » (« Doctrine de comptabilité », 1978, p.11, notre traduction) L’utilisation fréquente dans les économies communistes des expressions « plans » et « bilans »119 n’évoque pas les mêmes significations que celles utilisées dans d’autres pays. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre 3, la production des moyens de production et/ou la production et la distribution des biens de consommation ne résultent pas, dans les économies de type communiste, de l’initiative privée ou individuelle, mais elles sont régies par l’intervention économique et fiscale de l’État. Elles répondent à la conception de l’économie qui s’exprime par les « plans », qui dans le cadre d’une période quinquennale, donnent lieu à l’établissement des plans annuels. Bien qu’ils empruntent une grande partie de leurs éléments constitutifs aux données extraites des comptabilités, ces plans n’ont aucun caractère comptable. Les plans économiques constituent des programmes de production. Ils ne se présentent pas comme de simples directives, mais comme des objectifs qu’il importe, grâce à l’emploi de moyens appropriés disponibles dans l’économie nationale, non seulement d’atteindre, mais aussi de dépasser. Ces plans économiques sont ensuite traduits en plans financiers. Toute entreprise ou organisme administratif dresse un plan financier dont la synthèse est opérée aux échelons supérieurs : − par la commission du plan, en ce qui concerne les unités économiques, pour former le plan financier au niveau national ; − par le ministère des finances, à l’égard des services administratifs, pour constituer le budget de l’État. Ainsi apparaît l’étroite interdépendance existant entre l’économie et les finances publiques. Le budget est le principal dispensateur des crédits et en retour le bénéficiaire, non seulement des taxes et impôts, mais d’une partie des bénéfices réalisés par les entreprises. Ceci explique la place primordiale assignée à la comptabilité (d’entreprise) dans l’économie nationale et l’importance particulière de la normalisation des comptabilités dont la comptabilité d’entreprise. Cette dernière apparaît ainsi à la fois comme : − une pierre angulaire de la planification centralisée ; − un procédé de contrôle de la gestion des entreprises ; − un instrument de mesure de leur rentabilité et de leur productivité.Elle constitue aussi l’une des sources de données pour alimenter les statistiques et servent de références pour l’élaboration des plans prévisionnels économiques et le contrôle de la réalisation des objectifs des plans de production attribués aux entreprises. Le souci d’homogénéité de l’information en provenance des entreprises et donc des outils et du processus de production de cette information explique l’implication du département de normalisation de comptabilité (DNC) du ministère des finances dans la conception des manuels de comptabilité et dans la formation des comptables. C’est pourquoi, pour définir la comptabilité socialiste vietnamienne, nous nous appuyons principalement sur l’un des ouvrages clés, édité par le MOF, intitulé « Doctrine de comptabilité » (la version que nous utilisons est celle de 1978, l’ouvrage a été amendé et réédité plusieurs fois, la dernière édition dont nous disposons est celle de 1988). Pendant toute la période dite d’économie communiste, cet ouvrage – œuvre collective sous la direction du ministère des finances dont le DNC – est considéré comme la bible de la comptabilité socialiste vietnamienne. Quelle est la définition officielle de la comptabilité socialiste présentée dans ce manuel ? 

La comptabilité, un instrument de gestion de l’économie nationale au service de l’État

« La comptabilité socialiste  est définie comme l’instrument au service de la gestion économique de l’État. Produire des marchandises et de la richesse est à la base du développement de la société humaine. Le cycle de production de la société comprend les phases de production, de distribution, de répartition, de renouvellement de la consommation. (…)Plus le développement de la production est sophistiqué plus est grande la nécessité de gérer la production. Karl Marx a écrit : « Pour n’importe quelle forme de société, il est toujours nécessaire de se poser la question de savoir combien de temps a-t-on besoin pour fabriquer un produit de consommation. Néanmoins, l’intérêt porté à cette question varie en fonction du niveau de développement de la société. » 121 (…)Pour gérer les activités économiques, il faut les observer, les mesurer, les calculer et les enregistrer. (…) Observer, mesurer, calculer, enregistrer les activités économiques tels qu’elles sont décrites précédemment et dont l’objectif est de refléter et de contrôler toutes les activités économiques représentent ce qu’on peut désigner par le verbe « comptabiliser » . L’acte de comptabiliser est une demande objective de la société et c’est l’outil le plus important au service de la gestion économique. » (« Doctrine de comptabilité », 1978, pp, 5-7, notre traduction) L’adjectif socialiste unanimement utilisé pour qualifier la comptabilité en application dans les pays ayant adopté un système économique de type communiste revêt une connotation à la fois politique et économique. La divergence idéologique et politique oppose les pays capitalistes aux pays communistes, leur modèle d’économie ainsi que leurs méthodes de comptabilisation, dont la comptabilité. A l’instar des chercheurs en comptabilité internationale, l’auteur du manuel sur la doctrine de la comptabilité socialiste a souligné les liens entre les modes de production d’un système économique communiste et leurs méthodes de comptabilisation : « Tout système social a besoin d’un système de comptabilisation. Pourtant chaque système social est doté de modalités de production qui lui sont propres. Si les modalités de production changent, le système politico-socio-économique sera certainement affecté et entraînera des modifications quant aux objectifs et aux finalités de la comptabilisation qui doivent tenir compte des nouvelles modalités de production. Avec le développement de la production, la comptabilisation connaît aussi une évolution en termes de méthode et de mode d’organisation. Dans une société divisée en classes, la comptabilisation est détenue par les classes dominantes qui l’utilisent pour gérer l’économie au service de leurs intérêts propres. » (« Doctrine de comptabilité », 1978, p.7, notre traduction) Le manuel détaille ensuite les arguments en faveur de la supériorité de la comptabilité socialiste sur la comptabilité capitaliste. Il est expliqué dans le manuel que la comptabilité, qui était une science entre les mains des capitalistes, a été déformée pour servir leurs intérêts égoïstes mus par le profit. Par contre, entre les mains des prolétaires, « [la comptabilité est] l’expression de la science et de l’intégrité. L’économie socialiste se développe selon les règles de développement objectives de la société. En régime socialiste les travailleurs sont les vrais maîtres du pays, de la production. Les intérêts de la classe ouvrière s’alignent sur les intérêts généraux de la société. La comptabilité socialiste entre les mains du prolétariat dispose de toutes les conditions requises pour traduire ses caractères scientifiques en vue du développement économique en traduisant d’une manière intègre la réalité économique. En revanche, la comptabilité capitaliste au service des capitalistes subit des contraintes et ne peut pas faire preuve de rigueur afin de préserver les intérêts égoïstes des capitalistes qui veulent camoufler ou falsifier les données comptables pour des raisons de secret des affaires ou de camouflage des actes d’exploitation de la classe ouvrière. La falsification des documents comptables est paradoxalement légalisée par les textes de loi défendant le secret des affaires promulguées par les gouvernements. La comptabilité socialiste est populaire par la lisibilité et la simplicité de ses méthodes, sa réglementation, ses données et leur facilité d’accès. La comptabilité socialiste est l’outil de gestion pour la classe prolétaire et lui permet de participer à la gestion collective de l’entreprise. Lê Duẫn, feu secrétaire général du parti communiste du Vietnam a dit : « Dans le domaine économique, le concept de Propriétaire collectif est défini par trois aspects :, propriétaire des moyens de production, propriétaire de la gestion économique et propriétaire de la distribution de la production 123. » (« Doctrine de comptabilité », 1978, pp. 16-17, notre traduction).

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