LES INSCRIPTIONS MENTIONNÉES DANS LES SOURCES LITTERAIRES

LES INSCRIPTIONS MENTIONNÉES DANS LES SOURCES LITTERAIRES

Les inscriptions monumentales documentées par les archéologues et les voyageurs à l’époque contemporaine ne peuvent nous renseigner que de façon incomplète sur la tradition épigraphique de la région iranienne orientale pendant la période pré-mongole. Plusieurs textes conservés sont fragmentaires et, vraisemblablement, un grand nombre d’inscriptions ont disparu sans laisser de traces. Afin de fournir quelques données complémentaires, nous avons réuni dans ce chapitre certaines allusions à des inscriptions monumentales que nous avons pu détecter à partir des sources narratives et littéraires médiévales. Nous pénétrons ainsi dans le domaine qu’Assadoullah Souren MelikianChirvani a défini comme « archéologie en terrain littéraire », dans le but d’atteindre une meilleure compréhension de la perception que les observateurs de l’époque avaient des inscriptions et de leur fonction à l’intérieur d’un monument.Dans un premier temps, nous allons commenter quelques témoignages concernant des inscriptions en pehlevi et en arabe réalisées à une époque antérieure au Ve /XIe siècle (11.1) ; dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur le regard porté par les poètes et les chroniqueurs sur les décors épigraphiques des bâtiments ghaznavides (11.2) ; nous traiterons finalement de quelques attestations postérieures qui montrent la continuité des usages épigraphiques inaugurés dans l’Iran pré-mongol (11.3). Nous signalons d’emblée que des limites importantes affectent la portée de la présente analyse : si notre dépouillement des sources n’a pas la prétention d’être exhaustif, il nous a néanmoins permis de constater la rareté des allusions aux inscriptions monumentales et la pauvreté de leurs descriptions dans la littérature. Nous pouvons imaginer que la pratique d’insérer des registres épigraphiques dans le décor architectural des monuments civils et funéraires était si répandue dans le monde iranien qu’elle n’avait rien d’extraordinaire aux yeux des auteurs médiévaux, très avares de remarques sur la forme et le contenu de ces inscriptions.

L’épigraphie des vestiges antérieurs au Ve/XIe siècle 

Inscriptions en pehlevi 

À la fin du chapitre du Qabūsnāma qui précède la section consacrée aux « conseils » d’Anūšīrvān, il est fait allusion à la découverte de ces normes morales qui auraient été inscrites en lettres d’or et en graphie pehlevi (ba ḫaṭṭ-i pahlavī) sur les murs du monument funéraire du roi sassanide Ḫusraw Ier Anūšīrvān (531-579).1217 Kaykāvūs nous raconte que le calife al-Maʾmūn (198-218/813-833) visita cette sépulture et qu’il fit convoquer des scribes formés au pehlevi (dabīrān-i pahlavī) pour lire l’inscription, la traduire en arabe et contribuer ainsi à la transmission des dictons d’Anūšīrvān dans le monde iranien. L’épisode de la visite d’al-Maʾmūn auprès du tombeau de ce souverain du passé, qui incarne un modèle de justice dans les miroirs de princes persans, a sans doute des traits légendaires.Cependant, cette histoire dénote l’intérêt porté par les auteurs médiévaux aux vestiges de l’Iran préislamique, ainsi que la forte valeur symbolique attribuée aux inscriptions anciennes qui pouvaient servir le propos légitimateur des souverains musulmans en Orient. Comme remarqué par Michailidis, cette anecdote peut être mise en parallèle avec le témoignage transmis par plusieurs graffitis en arabe qui attestent des visites accomplies par les souverains būyides sur les sites achéménides et sassanides à Persépolis. 1220 Cette pratique fut probablement inaugurée par le souverain ʿAḍud al-dawla Fannā Ḫusraw qui, en 344/955, demanda à un scribe (kātib) et à un prêtre zoroastrien (mūbad) de déchiffrer les inscriptions du palais de Darius, avant dʼy faire inscrire un texte commémoratif à son nom.À une époque plus tardive (IX e /XVe siècle), Dawlatšāh Samarkandī cite une inscription poétique qui aurait été encore visible sur le site de Qaṣr-i Širīn (Iran, province actuelle de Kermanshah) à l’époque du même ʿAḍud al-dawla (338-372/949-983). Le vers est transcrit en persan moderne, mais l’auteur indique que sa composition est conforme à l’ancien canon perse (ba dastūr-i fārsī-yi qadīm-ast).1222 Ce vers ‒ sans doute apocryphe ‒ constitue pour Dawlatšāh l’une des preuves des origines préislamiques de la poésie persane. Nous remarquons en outre que l’auteur, probablement influencé par les pratiques répandues à la période médiévale, accepte sans réserves l’existence d’inscriptions monumentales en forme poétique à une époque bien plus ancienne (voir aussi 3.2.2, 11.1.2). Une autre tradition intéressante nous est transmise par Masʿūdī dans le cadre de la description d’un sanctuaire bouddhique de Balkh, le Nawbahār, où sont inscrits des enseignements attribués au Bodhisattva (per. Būdāsaf) : Un commentateur perspicace dit avoir lu sur la porte du Nawbahār de Balkh une inscription en fārsī [en pahlavi ? en persan ?], dont la traduction était : « Būdāsaf a dit : « les cours des princes requièrent trois qualités, l’intelligence, la constance, la richesse ». Au-dessus, il était écrit en arabe : « Būdāsaf a menti. Ce que doit faire l’homme libre qui possède l’une de ces trois qualités c’est de ne point s’attacher à la cour du sultan ».Le passage est empreint d’une certaine ironie et l’auteur ne fournit aucun détail qui puisse nous renseigner sur la datation des deux inscriptions en persan et en arabe ; en particulier, nous ignorons la variété de persan et la graphie employées dans le premier texte. Au-delà des doutes concernant son historicité, le témoignage de Masʿūdī (m. 345/956) semble attester que, à une époque précédant la moitié du IVe /Xe siècle, l’arabe s’était désormais affirmé au détriment du persan (pehlevi ?) comme langue épigraphique de l’Iran oriental. Comme nous avons eu l’occasion de le montrer, les inscriptions bilingues en arabe et pehlevi des tours funéraires du Ṭabaristān constituent le seul témoin matériel de l’emploi du pehlevi dans l’épigraphique monumentale du Ve /XIe siècle : ces monuments représentent un modèle isolé et archaïsant, qui sera abandonné par la tradition ultérieure (10.1.1).

Inscriptions poétiques en arabe 

L’usage de l’arabe dans l’épigraphie monumentale des provinces musulmanes orientales est attesté par un répertoire assez vaste de textes historiques, religieux et funéraires dont les plus anciens datent du début du IIIe /IXe siècle. En excluant les inscriptions de fondation du Gunbad-i Qābūs et de la tour de Rādkān, qui affichent un texte rimé (10.1.1), aucune des inscriptions conservées n’est composée en forme poétique. Cependant, certaines sources narratives laissent supposer que la tradition d’orner les bâtiments civils avec des inscriptions en vers n’était pas inconnue dans l’Iran médiéval. Le premier témoignage est transmis par le Tarīḫ-i Sīstān, dans le cadre du récit de la conquête de Nīšāpūr par Yaʿqūb b. Layṯ (259/872-73). À cette occasion, Yaʿqūb se serait rappelé d’un court poème arabe inscrit à l’intérieur d’une résidence de son ancien rival Sāliḥ b. Naṣr (m. 251/865), située dans un faubourg de Bust.  Le souverain saffāride avait fortuitement observé cette inscription à l’époque de son expédition contre le Rutbīl (251/865) et en avait demandé le sens à son secrétaire (dabīr) Muḥammad b. Waṣīf.  Les vers sont dit contenir une allusion à la chute des Barmakides et une prophétie sur la ruine destinée aux Tahirides par la volonté divine : l’entrée de Yaʿqūb à Nīšāpūr, causant la défaite effective des gouverneurs tāhirides du Khurasan, détermina l’accomplissement de cette prophétie.1228 Cet épisode montre un caractère anecdotique indéniable et les vers cités par la source peuvent difficilement être considérés comme authentiques. Cependant, ce passage semble témoigner du fait que, à l’époque de la composition du Tarīḫ-i Sīstān (moitié du Ve /XIe siècle), l’usage d’orner les résidences princières avec des inscriptions poétiques était bien établi. En effet, l’auteur n’a aucun mal à présumer qu’il fût déjà répandu deux siècles auparavant. Cette même pratique semble être destinée à se poursuivre au Sistan, comme le témoigne une notice biographique concernant le poète et grand qāḍī du Sistan Abū Saʿīd al-Ḫalīl b. Aḥmad al-Sijzī. Ṯaʿālibī, attribue à cet auteur un poème célébrant la construction d’un palais du saffāride Abū Jaʿfar Aḥmad (311-352/923-962), ainsi que deux distiques arabes inscrits sur l’īvān de ce même palais.1229 Deux distiques supplémentaires sont ajoutés aux précédents par al-Ḫalīl après la mort du souverain. Nous citons les quatre bayts qui auraient composé ces inscriptions, ainsi que la traduction proposée par Joel L. Kramaer : من سره ان یری الفردوس عاجلة فلنظر الیوم في بنیان ایواني او سره ان یری رضوان عن کثب بملء عینیه فلنظر الی الباني ؞؞؞ لو کانت الدار فردوسا و ساکنها رضوان لم یبل فیها جسم رضوان الموب اسرع في هذا فاهلکه والدهر اسرع في تخریب ایوان Whoever wishes to view paradise in a moment let him gaze now at my palace; Or if he delights in seeing divine grace, let him look at the builder. ؞؞؞ If the residence were paradise and its occupant divine grace, his body would not decay therein. Death readily dispatches him, and fate speedily wastes a palace1230 L’équation établie dans les deux premiers distiques entre le palais et le paradis, le bâtisseur et Riḍwān est un motif destiné à se répandre dans le répertoire littéraire persan.1231 La deuxième partie est centrée sur un autre topos littéraire, celui du caractère périssable des dépouilles mortelles des grands personnages et de leurs palais, soumis à la ruine du temps. 1232 Mais le fait le plus remarquable est que ces vers transmettent l’impression que le palais adresse directement la parole au lecteur, tout en l’invitant à contempler la perfection de son architecture, puis à réfléchir au destin de l’être humain et de ses œuvres. Ce « dialogue » qui se met en scène entre l’architecture et le spectateur semble supporter l’hypothèse que ces poèmes étaient destinés à une réalisation épigraphique. Un tel usage peut être rapproché de celui des épitaphes contenant des adresses aux visiteurs des tombes (voir 9.2.2, 9.2.3). Nous pouvons citer à ce propos un passage de la chronique d’ʿUtbī qui témoigne de la tradition d’orner les monuments funéraires avec des inscriptions poétiques. Le monument en question est le mausolée de Abū al-Ḥusayn ʿUtbī, vizir du samanide Nūḥ II, assassiné à Merv en 372/982

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