Les musées d’ethnographie et les marchés d’art africain et océanien, des années 80 à aujourd’hui

SITUATION ACTUELLE, ÉCHANTILLON DE RECHERCHE ET ENQUÊTE

Nous avons vu avec l’historique effectué jusqu’ici, de la fin du 19e siècle jusqu’aux années quatre-vingt, comment s’est petit à petit construit et structuré un paysage muséal et un marché autour des objets ethnographiques, avec une pluralité d’acteurs, de relations et de problématiques, transversales ou propres à certaines époques. Il convient maintenant de brosser un bref panorama de la situation actuelle du champ pour comprendre comment se sont élaborés l’échantillon d’enquête et la méthodologie de ce travail de recherche. Je commencerai par souligner les événements et les enjeux principaux des musées d’ethnographie et des marchés de l’art ces dernières années – avec la création du quai Branly-Jacques Chirac à Paris, la refonte générale des musées en Europe et l’inflation du marché depuis les années quatre-vingt, puis j’exposerai les acteurs choisis pour l’échantillon de cette recherche et les critères qui ont présidé à ces choix, en regard de l’historique et de la situation actuelle brossés à priori. Finalement, je terminerai sur quelques considérations méthodologiques importantes ainsi que sur les biais qui ont pu être identifiés dans cette enquête et les moyens que j’ai déployés pour les surmonter ou les intégrer à ce travail.

LES MUSÉES D’ETHNOGRAPHIE ET LES MARCHÉS D’ART AFRICAIN ET OCÉANIEN, DES ANNÉES 80 À AUJOURD’HUI

Dans la Seconde moitié du 20e siècle, nous avons vu que les musées et la muséologie en général évoluent : création de l’ICOM, poursuite des réflexions sur le statut des objets et le rôle des musées, etc. En France, ces réflexions se cristallisent largement autour d’un mouvement, défini bien après, dans les années 80 : la nouvelle muséologie. Ce mouvement rassemble les remises en question du rôle, des fonctions et du fonctionnement du musée : son caractère élitiste et son langage, l’importance de la médiation et l’abolition de « la distance entre le public et le contenu du musée » (Desvallées; De Bary et Wasserman, 1992-1994: 19) en sont certainement les points centraux et s’inscrivent dans la continuité des réflexions menées par Rivière et Rivet dès les années trente. Ces réflexions « se gonflent, s’amplifient puis déferlent » ainsi que le note l’avant-propos de l’ouvrage Vagues : une anthologie de la nouvelle muséologie (1992-1994) et connaissent un fort retentissement en France. Dominique Poulot évoque d’ailleurs « une approche française de la muséologie » (Poulot, 2005: 11). Malgré – ou grâce à – ces réflexions générales stimulantes sur le musée et la muséologie, du côté du musée d’ethnographie plus spécifiquement, la crise s’intensifie : le « mal des musées » connaît un point culminant avec l’article de Jean Jamin « Faut-il brûler les musées d’ethnographie », publié en 1998. Pour Élise Dubuc, le rapport que le public entretient avec les objets se modifie (2002: 32). Les marchés de l’art, en général mais aussi africain et océanien en particulier, eux, connaissent une hausse sans précédent.

Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la crise du musée d’ethnographie prend de l’importance. Le débat sur le statut de l’objet ethnographique – est-il de l’art ou non ? – et sur la meilleure façon de le présenter au public est toujours prégnant. Jean Jamin développe encore davantage la notion d’objet-témoin en l’inscrivant dans une perspective « contre-esthétique » : il milite pour une présentation des objets qui va au-delà de leur valeur esthétique, qui soit plus théorique, sans cependant nier complètement les qualités formelles d’un objet (Jamin, 1998). Au Musée de l’Homme, Jean Guiart, qui a repris la direction du laboratoire d’ethnologie en 1973, développe une nouvelle politique d’expositions. En matière d’acquisitions, en tant que spécialiste de l’Océanie et plus particulièrement de la Mélanésie, il continue les achats sur le terrain. Avec l’appui de Malraux et de Rivière, il procède aussi à des sélections lorsque des objets sont arrêtés par les douanes dans le cadre de trafics illicites. Son positionnement quant au rôle du musée d’ethnographie et quant à la place de l’art en son sein est clair : « Le Musée de l’Homme n’est pas un musée d’art. C’est un musée où l’art a sa place parmi toutes les activités humaines » (Guiart, 1976). Si certaines pièces sont apparemment achetées chez des marchands, plusieurs collaborateurs du Musée ont rapporté que le mot d’ordre qui circulait était « pas de contacts directs avec les marchands ».

 

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