Les points de linguistique et de lexicographie

Les points de linguistique et de lexicographie

Les éléments de linguistique

Le syllabaire pāli

L’intérêt pour les phonèmes de la langue pāli est présent dans l’œuvre de Ratanapañña de manière dissimulée. Il faut le débusquer dans la strophe 244, pour laquelle la VSS-ṭ s’avère indispensable. Cette stance est une version en pāli de vers empruntés au Kāvyadarśa de Daṇḍin (Kāv 3. 123), qui illustrent un type spécifique de prahelikā (le type saṃkīrṇā). Notons que Ratanapañña n’indique en rien la provenance de ces vers. Il est néanmoins remarquable de voir ici un extrait de ce texte sanskrit en pāli alors qu’aucune source n’en indique jusque là l’existence. De deux choses l’une : soit Ratanapañña a effectué lui-même le passage du sanskrit au pāli, ce qui supposerait alors une connaissance de la langue et la présence du Kāvyadarśa dans la région ; soit il s’agit d’un emprunt à une version pāli du Kāvyadarśa qui circulait alors dans cette aire géographique. Nous rappelons la version 244b du VSS précédée du texte sanskrit, sahayā sagajā senā sabhaṭêyaṃ na cej jitā, amātriko ’yaṃ mūḍhaḥ syād akṣarajñaś ca naḥ sutaḥ. (Kāv 3. 123) sa-ha-yā sa-ga-jā senā sa-bha-ṭā ’yaṃ na ce jitā, amātiko muḍho assa akkhara-ññûpi me suto. (VSS 244) ha est avec ya, ga est avec ja, i est avec na, bha est avec ṭa, Si elles ne sont pas maîtrisées, Mon élève [qui ne connaît pas] l’alphabet, Bien que connaisseur des lettres il doit être un idiot! Cette formulation énigmatique renferme la substance même qui anime la langue pāli, à savoir l’organisation de ses lettres en syllabaire selon les modalités édictées par la grammaire princeps qu’est le Kaccāyana-ppakaraṇa. Remarquons que la version pāli de cette stance garde une des acceptions du terme mātṛikā 216 en sanskrit qui désigne l’alphabet. mātikā est bien présent dans le lexique pāli comme l’explique parfaitement Rupert Gethin dans un article dédié à cette notion (Gethin, 1992a), mais ne recouvre pas cette dénomination précise. La VSS-ṭ semble relier ce syllabaire avec la succession des quarante-et-une lettres de l’alphabet, telles qu’énoncées dans le deuxième sutta de la grammaire de Kaccāyana, « il y a quarante-etune lettres qui débutent par a » (Kacc 2. akkharā p’ ādayo ekacattālīsaṃ). Il écarte de fait toute filiation avec son concurrent, la grammaire de Moggallāna, qui en contient quarantetrois217. Voici la séquence de lettres de ce syllabaire (mātikā) exposée par la VSS-ṭ, namo buddhāya siddhaṃ “a ā i ī u ū e o ka kha ga gha ṅa ca cha ja jha ña ṭa ṭha ḍa ḍha ṇa ta tha da dha na pa pha ba bha ma ya ra la va sa ha ḷa aṃ” iti. Hommage au Buddha qui a accompli « a ā i ī u ū e o ka kha ga gha ṅa ca cha ja jha ña ṭa ṭha ḍa ḍha ṇa, ta tha da dha na pa pha ba bha ma ya ra la va sa ha ḷa ha aṃ ». Il est peu surprenant de voir les éléments constitutifs de la langue évoqués par Ratanapañña, même sous une forme autant altérée. Ces syllabes ou akkhara sont la matière même qu’il manipule tout le long de son œuvre. Voyons tout d’abord les sections du Kaccāyanappakaraṇa utiles pour décadenasser le sens retenu dans la formulation sa-ha-yā sa-ga-jā senā sa-bha-ṭa (« ha est avec ya, ga est avec ja, i est avec na, bha est avec ṭa ») du VSS . Nous dirons par la suite un mot sur la valeur apotropaïque de notre syllabaire. Cette grammaire distingue ainsi, – huit voyelles exprimées dans « ici, il y a huit voyelles qui finissent par o » (Kacc 3. tatth’ od-antā sarā aṭṭha), c’est-à-dire : a, ā, i, ī, u, ū, e, et o. – trente-deux lettres mentionnées lapidairement dans « les autres sont les consonnes » (Kacc 6. sesā byañjanā), dont la Kaccāyana-vutti précise, ṭhapetvā aṭṭha sare sesā akkharā ka-kārādayo niggahītantā byañjanā nāma honti. (Kacc-v 6) A l’exception des huit voyelles, les lettres restantes qui débutent par la lettre ka et finissent par le niggahīta sont appelées les consonnes. C’est à dire : ka kha ga gha ṅa ca cha ja jha ña ṭa ṭha ḍa ḍha ṇa, ta tha da dha na pa pha ba bha ma ya ra la va sa ha ḷa ha. – parmi ces consonnes, les vingt-cinq premières sont ventilées en cinq classes ou sections (vagga) dont l’ordre est parfaitement respecté par la VSS-ṭ, « il y a cinq sections de cinq [consonnes] qui se terminent par ma » (Kacc 7. vaggā pañca-pañcaso mantā). Elles sont distribuées de la sorte, ka-vagga (section ka) ka, kha, ga, gha, ṅa ca-vagga (section ca) ca, cha, ja, jha, ña ṭa-vagga (section ṭa) ṭa, ṭha, ḍa, ḍha, ṇa ta-vagga (section ta) ta, tha, da, dha, na pa-vagga (section pa) pa, pha, ba, bha, ma 

Points de phonologie

Les stances suivantes (245 et 246) nous conduisent à dire quelques mots sur l’analyse phonétique des composants de l’alphabet pāli. En effet, ces vers forment une part de la glose du sutta 23 de la Saddanīti « les phonèmes sont produits selon les lieux d’articulation, les modes articulatoires, l’instrument articulatoire » (Sadd 608, 24. ṭhāna-karaṇa-payatanehi vaṇṇānam uppatti). Cette systématisation est le fruit d’un long héritage prenant source dans le domaine sanskrit. L’étude des sons du langage y fut envisagée de manière scientifique grâce à des œuvres anciennes telles que le Taittirīya-prātiśākhya (cité par Mak, 2013 : 211), différenciant et classifiant les consonnes et les voyelles selon divers critères qui rendent compte de l’acte de phonation. Les grammaires pāli émergentes (des deux écoles Kaccāyana et Moggallāna), telles que la Pādarūpasiddhi, la Moggallānapañcikā, ou encore la Payogasiddhi poursuivent ce travail de conceptualisation aux XIIIe et XIVe siècles. Mais revenons à nos strophes et citons le court extrait en prose de la Saddanīti, au terme duquel elles prennent place. Ce passage nous permet de saisir leur cadre de référence, 218Il y a cinq points d’articulation que sont les gutturales, etc. ; ou six avec la nasale, le niggahīta, ṅa, ña, ṇa, na, et ma ; sept avec la spirante qui est la lettre ha combinée avec les consonnes nasales, ya, ra, la, va, ḷa. Les instruments articulatoires sont le milieu de la langue, etc. [On caractérise] le mode articulatoire selon si l’instrument d’articulation est fermé, etc. Les gutturales sont la lettre a, la section ka, et la lettre ha ; les palatales sont la lettre i, la section ca, et la lettre ya ; les labiales sont la lettre u, la section pa ; les cérébrales sont la section ṭa, les lettres ra et ḷa ; les dentales sont la section ta, les lettres la et sa ; la gutturo-palatale est la lettre e ; la gutturo-labiale est la lettre o ; la dento-labiale est la lettre va ; le niggahīta est produit au point d’articulation qu’est la nasale ; les consonnes nasales219 à leurs points respectifs d’articulation sont des nasales ; la spirante est la lettre ha qui [peut être] combinée avec les cinq que sont ya, ra, la, va, ḷa, elle est uniquement gutturale, mais selon les enseignements elle ne peut s’associer à la lettre ṅa. Rappelons les vers exposés par Ratanapañña, Lorsque le ha est combiné avec ña, ṇa, na, ma [et] avec ya, ra, la, va, La gutturale est alors [prononcée] seule, On doit alors connaître la consonne aspirée parmi les enseignements : (VSS 245) Ainsi, tañhi (en effet cela…), taṇhā (la soif), nhāpanaṃ (le fait de donner son bain), amha (nous), vuyhate (il est emporté), vulhate (il est emporté), avhito (il est appelé), ruḷhi (la croissance/la tradition), Tels sont les exemples [pris] dans les enseignements. (VSS 246)

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