LES RITUELS PRE-ISLAMIQUES A ANJOUAN

LES RITUELS PRE-ISLAMIQUES A ANJOUAN

Afin de mieux comprendre les différents rites et rituels à Anjouan, nous avons jugé utile de faire leur description de la manière la plus détaillée possible en indiquant l’identité des participants, leurs costumes ainsi que l’orchestre animant la danse des esprits. Je décrirai dans ce chapitreles rituels suivants : le culte aux anguilles,mhunga, dans quatre sites différents d’Anjouan ; le Trimba célébré dans le Nyumakele, avec une attention particulière portée à l’histoire de ce territoire ; le Nkoma célébré à ouani avec là aussi une attention particulière accordée aux traditions sur l’histoire du peuplement de la région de Ouani ; le Mhatse, un rite célébré à ouani pour faire tomber la pluie ; enfin, le Mdandra célébré à Mro-maji et dans une grotte. Un tableau (ci-dessous) récapitule la variété des rites et quelques unes de leurs caractérisitiques. Outre ceux que je viens de citer, on pratique aussi à Anjouan le mgala, culte de possession anjouanais, et le trumba, culte de possession d’origine malgache très répandu dans toute la région occidentale de l’océan Indien. Les cultes aux kokolampo ou wanaissa, les sangatri, sont des petits rituels qui n’ont pas la portée de ceux que je vais décrire ici. Je mentionnerai d’abord les offrandes qui, toutes les pratiques religieuses traditionnelles, sont exigées par les esprits pour le bon déroulement du rite. Il est impératif qu’on puisse offrir quelque chose aux esprits en respectant scrupuleusement certaines règles et interdits sur les sites sacrés. Chaque site sacré a ses propres règles. Certains mwalimu dunia (tradipraticien) possèdent des manuels, qui déterminent, l’importance et la nature des offrandes (ex. le choix de la couleur du plumage de la poule ou du coq pour guérir un malade). Quelquefois, le tradipraticien associe au rituel d’exorcisme la délivrance de talisman ou amulette (hirizi), contenant des versets du Coran écrits sur du papier enveloppé dans du tissu blanc ou rouge. Ce hirizi est censé protéger la personne qui le porte. Le tissu (pantry) neuf est utilisé aussi comme offrande au moment de bains rituels sur le site, quelquefois au bord de la mer. Les tissus sont abandonnés sur place après la purification du malade. Ce geste permet de laisser derrière soi l’esprit maléfique qui possédait la personne. (Sur Mayotte, voirBoinaïdi 2015 : 90) 

Les offrandes

 Toujours omniprésent dans les sites sacrés, les offrandes sont parmi les éléments essentiels qui caractérisent ce type de lieu. Il y a une multitude de dépôts d’objets dans les ziara. Si un esprit aime le lait et le miel, le donateur lui en apportera, mais il peut aussi en demander d’autres tels que du riz mis dans une feuille de badamier 99ou bananier mélanger avec du lait, de la papaye mure, des œufs, du sucre, des pièces de monnaie rouge (Mpesa djunkundru/Volamena) ou blanche (Mpesadjewu/Volafotsy), des cigarettes, d’encens, de parfum (flacon d’eau de rose, de Pompea, eau de Cologne), tissu rouge , blanc mais aussi de l’alcool(cannettes de bière, du vin, du whisky). Achoura parle des « dépôts alimentaires [qui] font partie des offrandes. Ils servent à nourrir les esprits tels que les moinaïssa qui se trouvent près des points d’eau, comme à la cascade de Coconi. Ces types de dépôts sont variés (canne à sucre, noix de coco, bananes et œufs, gâteaux à base de riz…) comme on le constate à Poudjou rassi. Ils sont essentiellement dédiés aux moinaïssa. On observe aussi dans certains ziara une sorte de mélange de plusieurs aliments, appelé hanigni sagnatra, et qu’on donne en offrande avec du lait généralement. Les offrandes alimentaires se matérialisent également par des animaux… » (Achoura Boinaïdi 2015 : 91) Lors des visites de différents ziara, nous avons constaté plusieurs restes types d’objetsselon les cultes pratiqués : alimentaires, verres, plastiques, végétaux. Des sacrifices d’animaux s’observent aussi pour nourrir les esprits afin de les calmer pour éviter les désastres par le feu surtout. Pour se mettre en contact avec les esprits, les appeler, il faut brûler de l’encens. Il en existe de plusieurs qualités, soit en vrac : Wubani (mewu « blanche » ou mkundru « rouge » acheté à Dar-es-Salam ou à Ngudja), en batonnet (mwiri wa wundi venant de la Mecque) ou en graines (venant de Madagascar utilisé pour le Tromba)

L’encens « Wubani, Wundi ou Wuvumba » (Emboko) : remède et excitant

L’odeur pénétrante de l’encens avertit du déroulement d’un rituel : soit un shidjabu ou badri (prière de protection), soit un rumbu (appel aux ancêtres), soit appel aux esprits par le mwalimu (le tradipraticien). Jaovelo – Dzao R. montre l’importance de l’encens dans les cérémonies rituelles, produit qui inciterait les esprits à se manifester, une fois déposé sur la braise. La fumée dégagée par l’encens attire les esprits:  » *…+ L’encens doit brûler dans une ou plusieurs coupelles, Fanimbohana. C’est le fruit sec de mandrorofo (légumineuse cisalpine) ou la glu sèche tiré de la sève de ramy (Canarium Boivini Engler, grand arbre de la famille des Burséracées) qui tient lieu d’encens. L’invocateur (orant) ou le portier acolyte aura soin d’entourer la coupe, le plus possible, de fumée. Et plus cette fumée s’élèvera en spirales larges et compactes, plus sûrement l’effet attendu se produira… *…+ Au commencement de la cérémonie du rombo, tromba, un geste rituel consiste, pour chaque saha possédé, à déposer en même temps un grain d’encens, dans une coupe de braise… Pour le saha sakalava, l’encens, emboko, n’est pas tout simplement le symbolique familier de la prière, de l’adoration…L’encens, c’est un remède, emboko, aody… » (Jaovelo – Dzao R., 1996 : 325- 326) Aux Comores, l’encens, plus particulièrement le  » Wubanimewu », n’est pas simplement « le symbolique familier de la prière, de l’adoration », mais c’est aussi une remède très efficace, utilisé lorsqu’on a la diarrhée ou encore lorsqu’on prépare le « guena », sorte de khôl noir obtenu en brûlant cet encens, posé comme fard avec tige en cuivre pour embellir les yeux des femmes et des hommes et protéger les yeux des diverses maladies. Rabesahala-Randriamananoro montre les différentes variétés d’encens à Madagascar (ils sont importés aux Comores et on le retrouve sur les marchés) et le rôle qu’il joue lors de la communication entre les humains et les esprits. Il amène les possédés vers la transe : « Encens emboka, appelé aussi parfois « résine ». Des fragrances choisies apaisent les forces du mal, les éloignent et favorise les bénéfiques. Il y a différentes variétés d’encens en usage actuel et traditionnel, tous d’origine végétal. Il y a le ramy, résine jaune brun d’un arbre endémique, (Canarium Madagascariensis), et aussi les fruits de l’arbre mandrorofo (Trachylobium verrucosum) essentiellement. L’encens participe à l’atmosphère de réception qui favorise la communication avec les esprits et les transes. Il enveloppe et lie tous les fidèles et les différents accessoires d’un même lieu. Il participe à créer et délimiter un espace privilégié de concentration et en même temps de libération particulièrement propices à la communication entre les participants et avec les esprits ». (RabesahalaRandriamananoro C. 2015 : 70-71) 

L’œuf « Jwai » : symbole de la fécondité

 Les œufs « Majwai/ sing. Jwai » sont le symbole de la fécondité, du bonheur et de la bénédiction. On les utilise dans des rituels, mais aussi dans diverses cérémonies religieuses. Nous avons trouvé des œufs déposés au fond du puits sacré à Ouani, lieu où se déroule le culte des anguilles sacrées. Les œufs sont aussi offerts aux esprits de la nature tels que les Kalanoro (Wanaisa) dans les ziara. 

Le bœuf « Nyombe » : animal sacrificiel 

Le bœuf est un animal omniprésent dans la vie sociale et rituelle aux Comores. De nombreux témoignages illustrent aussi l’importance de cet animal dans la vie quotidienne, lors des mariages, d’intronisation et d’autres rituels. Il symbolise toujours la richesse. Il accompagne l’homme dans tous les moments importants de sa vie en lui fournissant la viande, le lait, la peau, les cornes (pour fabriquer des objets artisanaux). Au moment du Nkoma par exemple, faute de n’avoir pas pu fournir un bœuf, en échange, le donateur fournit un cabri dont la couleur de la robe a été dictée par les esprits. Dans le mgala, certains possédés en boivent le sang. Les animaux sacrifiés durant le rituel sont,outre les bœufs, les cabris « Mbuzi », des poules aux plumes multicolores. Quelquefois, les poules ne sont pas égorgées. On les laisse en vie au bord de la mer comme à Binti Rasi (site pour le rituel du Nkoma). Achoura cite les animaux sacrifiés « sont plus souvent des poules, des cabris, des moutons, voire des zébus. Dans certains espaces sacrés, il est courant de rencontrer des poules rouges, noires, blanches ou multicolores…Egorger un zébu est important dans de nombreux rites, surtout dans celui de la guérison qui débouche sur une cérémonie de transe… L’animal sacrificiel est égorgé uniquement par un homme. Cette pratique a des origines préislamiques…» (Achoura Boinaïdi 2015 : 92)

Le lait « Dziya », le riz « Ntsohole ou Zilo » et le miel « Ngizi ya Nyoshi » : dépôts alimentaires

 Ces trois composantes sont inséparables dans les rituels100. Ils servent à nourrir les esprits surtout ceux de la nature. Le lait, de couleur blanche, est un symbole de pureté et de fécondité. Au moment de la danse des esprits « le Mdandra » dans la grotte de Hamampundru, le porteur du lait le distribue aux enfants sur ordre de l’officiant après la longue incantation et avant de descendre au fond de la grotte. Le miel « Ngizi ya Nyoshi (fandrama) » est aussi déposé dans la grotte pour alimenter les esprits Kokolampo. La distribution du lait aux enfants s’observe aussi au moment du rituel de Nkoma à Binti Rasi où l’officiante en personne, en pleine transe, exécute cette tache personnellement. Le riz d’une couleur blanche, considéré comme étant le « sperme » du ciel, est omniprésent dans les rituels. Symbole de la fécondité, les femmes le préparent sur place au moment du Nkoma en dansant le « Mdandra »et en chantant tout autour de la marmite. Cuit, on le dépose mélangé avec du lait, du sucre et du miel dans les ziara. Le miel comme offrande naturelle a une part importante dans les prières et les remèdes concoctés par les mwalimu. Dans la grotte de Hamampundru, au moment du rituel, on asperge la paroi de la grotte de miel et le reste du flacon est laissé sur place. A Dzialandzé, des adeptes enduisent le tronc de l’arbre sacré de gouttes de miel avant d’insérer le petit flacon à l’intérieur de l’arbre. Dans les maisons, nous avons vu de petit flacon contenant du miel suspendu au-dessus de la porte d’entrée principale (Mlongo wa fukuju), débouchant sur la ruelle. Chaque matin, avant de sortir pour aller à l’école, notre mère nous faisait boire une gorgée d’une petite cuillère à café du miel. 

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