Les sorties scolaires en nature

Les sorties scolaires en nature

 De manière générale, déjà dans le cursus scolaire, les sorties extra-muros ont pour but de diversifier l’enseignement tout en répondant aux finalités de l’école qui sont celles d’instruire et d’éduquer. Dans l’ouvrage de Bouchon, Gonnin Bolo & Pedemay (1989), les auteurs déclarent que « la sortie est une occasion de multiplier les voies d’accès au savoir […] » (p. 30). En effet, chaque élève est différent et suivant ses caractéristiques culturelles, psychologiques et sociologiques, il peut mal accepter certaines conditions d’apprentissages. Les mêmes auteurs affirment qu’« ainsi, la sortie scolaire est une stratégie qui s’ajoute aux autres stratégies pour moins laisser de côté certains élèves » (ibid, p. 30). L’école en forêt propose cette variété d’enseignement en faisant appel à la nature car comme soulevé dans la problématique, la société adopte une culture trop éloignée de cette dernière. Ce projet a pour but de changer cela et de rétablir avec les enfants un lien plus direct avec elle. Derrière ce dispositif de sorties régulières ressortirait une intention nouvelle. Néanmoins, le terme « nouvelle » est à nuancer puisque j’ai constaté au fil de mes lectures que plusieurs personnes telles que Rousseau1 et Freinet2 ont apparemment déjà pensé à travailler en utilisant l’expérimentation pour ancrer les divers apprentissages en se rendant à l’extérieur. En effet, ils ont cherché à travailler en gardant le contact avec la nature, le dehors. De nombreux auteurs tels que Espinassous définissent le dehors comme étant « le réel ». Le réel serait l’environnement naturel qui permettrait aux enfants de se développer de manière équilibrée. Ce milieu fait référence à la réalité puisqu’ils sont en contact direct avec ce qui les entoure, en opposition au monde abstrait des théories. Pour bien comprendre cette idée d’aller faire les leçons à l’extérieur, dans la nature, il faut présenter les courants philosophiques que préconisent Rousseau et Freinet, qui tous les deux, prônent le désir de ne pas couper l’école de la vie. 

Deux courants philosophiques 

En lisant un texte de Martineau (2012), on peut constater qu’une phrase est similaire à cette intention dite nouvelle de retourner travailler dans la nature : « Rousseau veut reformer la société devenue mauvaise et pervertie car trop éloignée de la nature » (p. 85). En effet, celui-ci a défendu qu’il faut s’inspirer de la nature et la prendre comme guide. Selon lui, tout être humain est par essence un état de perfection et que c’est la société qui le modifie et le dénature. Rousseau soutient que l’enfant est un être encore naturel car il n’a pas encore été corrompu par la société. Néanmoins, il reconnaît tout à fait que la nature humaine ne peut pas rester à l’état de perfection. Elle doit non seulement s’adapter à l’environnement naturel mais également à l’environnement social. L’homme doit trouver un équilibre entre les deux pour être heureux. De plus, pour lui, il ne s’agit pas de développer un type d’homme mais un homme libre et responsable sachant contrôler ses désirs. Rousseau place l’enfant comme son propre modèle et le rend actif durant les apprentissages (Martineau, 2012, pp. 85-88). Cette conception de l’éducation est également approuvée et défendue par Freinet. Insatisfait des pratiques éducatives de la société de son époque, il ouvre son école afin d’exercer son propre régime éducatif. Freinet définit la scolastique, présente dans l’éducation traditionnelle, comme une imposition de règlements et de méthodes d’apprentissage. Cette imposition vient de la part du professeur et du manuel scolaire dans le but de produire un travail qui généralement n’a aucun lien concret et direct avec la vie de l’individu, et qui, par conséquent, ne l’interpelle pas dans son être profond. Pour Freinet, la scolastique ne tient pas compte de l’enfant. (Martel, s.d. p. 5) Il développe ainsi diverses techniques d’apprentissage qui découlent des pratiques déjà pensées par ses prédécesseurs. « Freinet n’a jamais caché ses sources, ni ce qu’il devait à ses prédécesseurs. Son originalité est d’assimiler tout ce qu’il emprunte, en l’intégrant dans son propre projet éducatif » (Barré, 2001, p. 48). Parmi ses techniques, l’une d’elle peut être comparée aux sorties régulières en forêt actuelles. Il s’agit du principe de la « classe promenade 7 » qui consiste à sortir régulièrement afin de réduire l’écart entre l’école et la vie extérieure mais également d’aller à la découverte du dehors et faire des expériences concrètes. Une autre de ses techniques qui pourrait être exploitée lors des sorties régulières est le tâtonnement expérimental. Cette pratique est étroitement liée avec la pédagogie de projet, que nous développons de nos jours, décrite dans la partie suivante de mon travail. Cependant, le pédagogue ajoute, en plus du travail de coopération et de l’ouverture au monde extérieur, une dimension théorique qui découle des méthodes naturelles. Il s’agit de rendre l’enfant acteur de ses apprentissages et de lui laisser le temps de pouvoir s’immerger dans l’activité et de faire appel à ses connaissances préalables. Nous approchions de l’école. Les idées ne nous manquaient pas certes, et originales ; les langues allaient bon train, avec subtilité et humour ; les initiatives foisonnaient, bonnes ou mauvaises. Et puis, brusquement, la cloche sonnait ; elle produisait immédiatement comme un vide en notre être. La vie s’arrêtait là, l’école commençait : un monde nouveau, totalement différent de celui que nous vivions, avec d’autres règles, d’autres obligations, d’autres intérêts. Nous comptions une dernière fois les billes dans nos poches, nous cachions une belle ammonite découverte en chemin et que nous retrouverions à la sortie ; il nous fallait chasser le chien qui nous avait suivis et qui était tout surpris de nous voir devenus anonymes dans les rangs et disparaître dans ce lieu retiré du monde dont toute vie était bannie. La porte se refermait (Freinet, 1980, p. 44). Cet extrait révèle à quel point il existait un grand écart entre l’école et la vie extérieure respective des enfants. Dans cette perspective, il faut donc partir de leur environnement proche afin qu’ils soient intéressés, motivés et puissent construire plus facilement de nouvelles connaissances. L’enseignant décide du moment propice pour diriger l’activité et prend la fonction d’accompagnateur. Ce type de pédagogie rejoint étroitement le principe du socioconstructivisme développé par Vygotsky. Celui-ci s’inspire de l’approche constructiviste de Piaget en défendant que la connaissance est une construction. Cependant, il ajoute une importance prépondérante à l’interaction sociale pour développer les savoirs chez l’enfant. 

Pédagogie de projet

 Au même moment, des auteurs représentatifs de la pédagogie active tels que Dewey, Decroly soutiennent la même conception que Rousseau et Freinet en ce qui concerne l’éducation, c’est- 8 à-dire une éducation « centrée sur l’enfant ». John Dewey développe ainsi une pédagogie dite de « projet ». Celle-ci met l’accent sur l’élève en lui proposant des situations de résolutions de problèmes afin qu’il découvre le savoir par lui-même, ou en interagissant avec ses camarades. Il s’agit d’une pédagogie nouvelle concernant la manière de transmettre les connaissances et le rôle de l’enfant face au travail. L’enseignant n’est plus au centre et le seul maître des apprentissages, l’enfant apprend à utiliser ses acquis pour découvrir de nouvelles compétences. J’ai choisi un extrait de texte qui définit et met en exergue la nécessité de trouver un intérêt commun et l’importance de la coopération entre les intervenants pour créer le projet. Un groupe d’enfants, d’adolescents ou d’adultes choisissent ensemble un thème d’aventure, de recherche, d’étude […], de création, d’aménagement d’un lieu. Ils conçoivent, souvent en petits groupes, préparent, étudient, réalisent, puis partagent ce travail « commun, unique et original » […]. (Espinassous, 2010 p. 143) Selon Dewey (1899), lorsque l’enfant entre à l’école, il est « déjà intensément actif, et il s’agit pour l’éducation de prendre en main cette activité, de lui donner une direction » (p. 25). En effet, dès l’entrée à l’école, les enfants n’arrivent pas la tête vide mais avec un bagage qui leur appartient et chaque jour, ils arrivent chacun en classe avec un vécu riche et différent. À l’heure actuelle, ce constat est évident. Il n’y a plus cette relation totalement asymétrique entre l’enfant et le maître où le premier est considéré comme ignorant de tout savoir et le deuxième comme le seul qui possède la connaissance. Ce concept de la pédagogie de projet correspond totalement à la visée évolutive que souhaite, de nos jours, le programme du Plan d’Etude Romand (PER)3 . En effet, les notions telles que la création, la collaboration, l’expérimentation prennent une place importante. Ainsi, en allant consulter le PER, on peut constater que le projet « Ecole en forêt » répond parfaitement aux attentes du PER. Premièrement, plusieurs disciplines relèvent le lieu forestier comme un lieu d’apprentissage possible. On trouvera en annexe quelques exemples tirés du PER dans les disciplines mathématiques et sciences de la nature (MSN), sciences humaines et sociales (SHS) et formation générale (FG) où la forêt est citée (voir annexes 9.1). Deuxièmement, grâce aux régularités que conseille le dispositif, cela permet de travailler dans la perspective de la pédagogie de projet. Durant les leçons en forêt, les élèves sont plus que jamais confrontés à la réalité et ils découvrent plus ou moins seuls la Vérité, le Savoir, en observant, en expérimentant et en construisant ensemble. 

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