L’expression « entrer en PMI »

Entrer en PMI

Les motivations d’entrée

1. Pourquoi les motivations d’entrée ?

Plusieurs points nous ont poussés, lors de notre enquête par entretiens, à nous intéresser aux raisons pour lesquelles nos informateurs ont choisi « d’entrer en PMI ». En premier lieu, les motivations d’entrée nous permettaient d’accéder à une lecture subjective, personnelle et argumentée des parcours professionnels basés sur des données objectives (date, lieu, changement de poste, de statut ou de structure). Signalons dés à présent que le travail en PMI n’est que très rarement un premier emploi. Généralement le choix de la PMI intervient après une ou plusieurs autres expériences professionnelles. Ce passage par d’autres emplois est parfois contraint. Il s’agit alors de personnes souhaitant dès le début de leur vie professionnelle intégrer un service de PMI mais ayant dû travailler dans d’autres structures avant d’y être recruté. Parmi les personnes que nous avons rencontrées, ces professionnels ne représentent qu’une très faible minorité. Mais ce passage par d’autres expériences professionnelles peut aussi être présenté comme volontaire, certains allant jusqu’à le placer sous le sceau de la nécessité. Les compétences acquises au cours de ces différentes expériences professionnelles sont alors présentées comme nécessaires à l’exercice de la PMI. Une expérience de la vie et du travail, une certaine maturité personnelle, sont avancées comme autant de conditions fondamentales pour travailler en PMI. « La PMI c’était plus tard en fait, si j’avais pu muter à l’hôpital quand j’avais fait la demande au bout de quatre ans, la PMI, j’y songeais mais peut-être pas aussi rapidement, plus tard (…) parce que j’avais vraiment envie de faire mes armes, d’acquérir une technique. (…) La PMI serait venue plus tard. Mais c’est le fait de ne pas pouvoir bouger, de rester confiné dans ce service, qui a fait que j’ai demandé plus tôt que prévu. Je ne m’y voyais pas tout de suite, parce que je me disais, tu es encore jeune, j’avais pas d’enfant, pas de vie familiale. » (Sandra, puéricultrice). Sans doute nous faut-il prendre avec précaution ces discours présentant le passage à la PMI comme volontairement retardé par un exercice professionnel au sein d’autres structures. En effet, les discours qui nous sont tenus, reconstruisent après coup un parcours professionnel dont certaines étapes remontent parfois à plus d’une trentaine d’années. Le regard a posteriori porté sur ce parcours professionnel peut alors reconstruire une cohérence entre les différentes étapes et présenter comme intentionnels 251 des événements qui n’étaient, au moment où ils se sont produits, que contraints ou subis (par exemple par manque de recrutement ou autre) (Bourdieu, 1986 ; Bertaux, 2005). La seconde raison pour laquelle nous nous sommes intéressés aux « motivations d’entrée » tient à une hypothèse sur le caractère du travail effectué dans ces services. Consultations médico-sociale, souffrant d’une faible reconnaissance dans le milieu médical, et ayant affaire à une population souvent précaire, nous gagions que l’engagement en PMI répondait à un engagement social, une volonté quasi-humaniste de travailler auprès des plus pauvres. « On ne fait pas du social par hasard » nous confiait une Educatrice de Jeunes Enfants à ce propos. C’est donc dans le souci de vérification de cette hypothèse que nous avons enquêté sur les motivations des professionnels à postuler en PMI. Lors de notre enquête, pour ne pas engager nos interlocuteurs dans la présentation de justifications de leurs choix professionnels, et cherchant d’avantage à recueillir leurs raisons et motivations d’entrée en PMI, il nous a fallu prendre garde à ne pas poser la question de « pourquoi êtes vous entrés en PMI » pour lui préférer celle du « comment ». Plus exactement, la question posée était « Qu’est-ce qui vous a amené à entrer en PMI ? »  . Cette formulation, plus ouverte, moins contraignante permettait aux personnes interrogées « de répondre exactement comme elles voulaient, et de raconter une histoire incluant tout ce qu’elles estimaient qu’elle dût inclure pour être compréhensible » (Becker, 2002 : 107). Avant d’analyser les différents type d’arguments qui nous ont été présentés, deux remarques doivent être faites sur cette question de l’entrée en PMI. La première sur le point de départ de notre questionnement et l’importance que celui- ci accorde à la dimension sociale du travail effectué dans les consultations. La seconde remarque porte quant à elle sur l’usage même de l’expression « entrer en PMI »

La prégnance du social

Nous souhaitons travailler l’hypothèse selon laquelle les intervenants de PMI seraient, du fait de l’importance de la teneur sociale de leur travail, des professionnels faisant preuve d’une grande implication dans leur pratique quotidienne. Ainsi, alors que l’objet de ce chapitre est de questionner l’engagement professionnel des intervenants, commençons par expliquer d’où vient notre questionnement en présentant la place qu’occupe le social dans le discours de nos informateurs. Cet « engagement au quotidien » se révèle particulièrement prégnant dans les représentations du service de ceux qui y travaillent et se retrouve dans les formules employées pour présenter les arguments « matériels » ayant orienté le choix du service. En effet, les arguments ne portant pas sur le travail en lui-même et sa dimension sociale en particulier, et qui renvoient aux horaires, à la stabilité de l’emploi, aux aménagements du temps de travail ou autres, sont fréquemment présentés sous la forme de l’aveu. « C’est vrai peut-être que j’ai regardé au niveau, à l’époque j’étais jeune, j’avais des enfants jeunes, donc peut-être pas les mêmes temps de travail qu’à l’hôpital ou qu’en clinique parce que bon, il n’y avait pas de nuit, il n’y avait pas de week-end non plus, tout un côté aussi peut-être personnel on va dire » (Colette M., Auxiliaire de puériculture). Comme si choisir la PMI pour ses conditions de travail ne devait pas se faire, ou tout au moins, pas se dire. « D’abord parce que je ne voulais faire que les enfants. (…) et je dois reconnaître, les enfants et les horaires » (Dr Simon, Pédiatre). Le travail dans le secteur médico-social est supposé être un engagement personnel, une démarche effectuée par conviction politique, religieuse, humaniste ou autre quasiment par vocation. Et même si la très grande majorité des personnels de PMI n’y est pas entrée de cette manière, cette idée demeure ; cette représentation du travailleur médico-social dévoué totalement à la mission de son service s’impose aux intervenants. Oser énoncer les véritables raisons pour lesquelles ils sont entrés en PMI devient alors, dans la situation d’entretien, un acte d’honnêteté, envers l’enquêteur mais aussi envers soi. Comme Jannie, infirmière, qui fait précéder d’un « je vais être très honnête avec vous » l’annonce de ses motivations pour entrer en PMI. Lassitude de la réanimation, projet familial, envie de voir un autre aspect du métier, toutes ces raisons sont énoncées avec humilité, sous le sceau de l’honnêteté. Le mythe du personnel s’engageant dans le social se retrouve alors très clairement dans l’extrait suivant, où cette sage-femme est entrée en PMI pour la stabilité du poste à la suite de plusieurs années passées en CDD avec un enfant à charge : 253 « Pour être honnête, voilà. Je savais ce que c’était quand même, j’avais une fibre sensibilité au social dans ma vie personnelle qui fait que ça me paraissait intéressant quand même, mais au départ je ne savais pas du tout à quoi ça correspondait » (Gabrielle, Sage-femme). Ici se croisent à la fois cette dimension de l’aveu d’un choix effectué pour les conditions matérielles du service, et le souci de prouver à l’ interlocuteur que cet engagement pour le social a tout de même pesé sur le choix de la PMI. Nous voyons donc que parmi les intervenants de PMI, la « fibre sociale » fait partie des caractéristiques nécessaires à l’exercice du service, ou tout du moins la revendication de celle-ci. Cette nécessité, communément partagée, amène ceux qui ne l’avaient pas au départ à se justifier et à présenter leurs motivations d’entrée sous la forme d’un aveu, voire d’un repentir, où il s’agirait de passer par une phase de souffrance pour, finalement, atteindre la vocation. « Mais c’est dur au début, en tant que médecin, faire le social, c’est dur. Parce que quand on arrive on voit les gens qui sont dans la misère et qui ne comprennent pas, on n’arrive pas à comprendre, on n’arrive pas à les cerner. C’est avec les années, les années, qu’on sent que finalement, maintenant vraiment je peux dire que j’ai une vocation en PMI » (Dr Rahari). Pour autant, si l’on peut concevoir que tous les professionnels en viennent à « faire le social » et à le placer au centre de l’activité du service, l’incertitude demeure quant à ce qui est désigné par ce terme de « social », qu’il soit utilisé comme argument d’entrée en PMI ou dans les expressions « travail social », « service médico-social » ou, pour une expression moins courante mais plus proche de nos interlocuteurs, « faire de la médecine sociale ». La mise en lien entre d’un côté des désaccords entre les différents intervenants sur les pratiques adéquates pour réaliser la mission du service et d’un autre côté cette « prégnance du social », nous conduit à poser la question de ce qu’englobe cette appellation communément partagée de « social ». Nous constatons alors, que la définition de la dimension sociale du travail effectué en PMI, reste incertaine. « – J’ai toujours hésité entre le littéraire et le scientifique. Donc c’est en seconde, j’essayais de croiser les deux et j’avais trouvé médecine. Et après, médecine, c’est vrai que j’avais envie de faire pédiatrie et puis pédiatrie sociale, je pense que c’était une façon d’arriver à allier un petit peu les deux. Donc PMI, c’était un petit peu ma conception du travail que je voulais faire en médecine, un travail en équipe, un travail de prévention et puis un travail qui prenne un petit peu toutes les dimensions, aussi bien intellectuellement, on va dire, qu’idéologiquement, ça correspondait à ce que je voulais faire. Donc j’ai fait pédiatrie pour faire de la PMI. – C’était le côté social avant… – Voilà, le côté social, le côté global… oui social, prévention aussi, relation aussi, parce qu’on a un énorme travail relationnel » (Dr Guillet, Pédiatre). 

L’expression « entrer en PMI »

Dans le compte rendu d’une étude portant sur les « Trajectoires professionnelles et mobilités d’emploi », Thierry Rivard et François Bigot (2000) parlent d’« entrée dans le social » pour désigner ce « moment particulier » dans les trajectoires professionnelles à partir duquel les personnes interrogées considèrent être dans le social. Pour présenter les différentes trajectoires professionnelles aboutissant à une entrée dans le social, ces deux auteurs les regroupent en trois catégories qui sont celles de primo orientation, de réorientation professionnelle et de reconversion professionnelle. L’expression primo orientation regroupe les trajectoires au cours desquelles les individus « entrent dans le social » directement au sortir de leurs études, déjà menées dans le champ social ; l’entrée dans le social correspondant alors à la valorisation du diplôme obtenu. La catégorie de réorientation professionnelle regroupe des personnes qui avaient déjà travaillé et se trouvaient, au moment de leur entrée dans le social, dans une dynamique de recherche d’un travail correspondant à leurs aspirations tant personnelles que professionnelles. Enfin, la catégorie des reconversions professionnelles regroupe des personnes ayant déjà travaillé mais cette fois-ci dans un secteur totalement différent de celui du social et qui, pour des raisons qui leurs sont propres, changent radicalement d’orientation. Pour situer les parcours professionnels que nous avons recueillis par rapport à cette classification qu’établissent ces deux auteurs, nous pouvons dire que l’entrée en PMI se présente le plus souvent comme un événement à l’intersection de la réorientation professionnelle et de la reconversion professionnelle. En effet, ces deux auteurs expliquent le principe de la réorientation professionnelle de la manière suivante : « la première orientation professionnelle ne paraît pas satisfaisante et donne lieu à une sorte de seconde chance ou de seconde tentative d’entrée dans la vie professionnelle ou, dit autrement, “le résultat d’un processus nécessaire à la préparation ou à la maturation de l’intervenant [qui] ne correspond pas à une rupture ou une réorientation brutale, mais plutôt à un cheminement, à un passage progressif” »(p.181). Cette définition s’adresse alors essentiellement à des jeunes professionnels qui jouent leur entrée dans la vie active et cherchent le poste qui convient le mieux à leurs attentes. L’aspect « recherche du poste idéal » convient assez bien à ce que nous entendons désigner ici, mais le côté « jeune professionnel » ne convient pas aux personnes que nous avons rencontrées. Non seulement nos informateurs ont parfois eu plusieurs expériences professionnelles avant la PMI, mais la succession de ces différentes expériences ne peut pas être vue comme la simple suite logique de recherche du poste idéal. Cette succession de postes correspond parfois à des expériences recherchées pour ce qu’elles sont et le passage au poste suivant découle d’une lassitude ou d’une « usure » professionnelle face aux conditions de travail. La dimension diachronique de l’occupation des différents postes et la satisfaction générée par chacune de ces expériences sont à mettre en rapport avec les parcours de vie et les différentes séquences qui les composent. À chaque période correspond la volonté de travailler dans tel milieu ou dans tel autre. Ainsi cette puéricultrice qui explique son départ de la crèche pour rejoindre l’hôpital : « Je me suis dit qu’il me manquait quelque chose, qu’il manquait l’expérience de l’enfant malade et qu’il fallait peut-être absolument y passer, bêtement, mais je me suis dit ça. Donc j’en suis partie (de la crèche), et je suis allée à l’hôpital et j’ai fait quatre ans de néonatologie » (Sandra, Puéricultrice). L’expérience de l’hôpital, surtout celle de la réanimation, est souvent présentée comme dure, fatigante, éprouvante mais aussi très technique et très riche d’enseignement. De fait elle n’est que très rarement rejetée en bloc, mais présentée 256 comme un passage bénéfique néanmoins possible qu’en début de carrière, principalement pour des questions d’endurance physique et psychique. Le passage de l’hôpital à la PMI peut alors entrer dans ce que Rivard et Bigot désignent comme des cas de reconversion professionnelle, cas de figure qui « marque quant à lui une rupture avec une expérience professionnelle antérieure significative (l’antériorité professionnelle est parfois longue et peut s’échelonner sur des durées pouvant aller de dix à quinze ans, voire de vingt à vingt-cinq ans, et se caractérise aussi par une inscription stable dans un statut d’activité). Il s’agit d’une deuxième – voire d’une troisième – carrière professionnelle » (ibid : 182). Cette désignation de reconversion concorde alors avec les parcours que nous décrivons sur le plan de la distinction avec l’expérience professionnelle antérieure et sur la question de la durée des parcours. Pour autant, ces deux auteurs identifient un critère d’autonomie des différentes séquences professionnelles et de changement de secteur d’activité dans leur appellation de réorientation ; critère qui ne correspond pas aux parcours professionnels ici présentés. En effet, dans notre cohorte, les individus changent d’institution de rattachement, de lieu de travail et de la majeure partie de leur activité quotidienne. Pour autant, il n’y a pas de changement radical du secteur d’activité, les puéricultrices demeurent des puéricultrices, les médecins, des médecins, etc. Il n’y a pas de changement de métier.

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