Les causes d’arrestation des marins

Les causes d’arrestation des marins

Les marins et le désordre public

Comme nous l’avons constaté dans le chapitre 2, l’ivresse est la caractéristique d’arrestation la plus récurrente pour tous les individus appréhendés par la police municipale de Québec et jugés par le Recorder en 1860, 1866 et 1870. Or, chez les marins, il est jusqu’à 20 % supérieur à ce qu’on retrouve chez les autres hommes37. La plus grande propension à l’ivresse chez les marins est d’autant plus exceptionnelle lorsqu’on considère que les profils d’arrestation des anglophones et des francophones sont remarquablement similaires. La consommation d’alcool fait partie de la vie pour une grande partie de la population occidentale au XIXe siècle. Certains établissements, comme la taverne, sont considérés comme des lieux d’expression de la culture ouvrière masculine38.

Le problème est que le comportement dissolu des ivrognes se répercute souvent à l’extérieur des tavernes, c’est-àdire dans les rues et les autres lieux publics de la ville. Selon Fingard, la condamnation morale est d’autant plus sévère quand il s’agit de marins : « The host society was most critical of sailors who had gone thought hell at sea only to dissipate themselves with alcohol ashore39 ». L’état d’ébriété en soit peut justifier l’arrestation d’un individu. Mais encore, ce sont les débordements comportementaux causés par l’ivresse qui entrainent le plus souvent l’arrestation. Le fait de tituber, de s’allonger sur la voie publique ou d’incommoder les passants sont autant d’indicateurs qui incitent les policiers à intervenir. Le dérangement sonore, comme le fait de crier ou de chanter dans les rues, est une caractéristique plus souvent associée aux arrestations de marins. Comme le montre la figure 16, elle se manifeste dans près du tiers des arrestations de marins, comparativement à environ 15 % chez les autres hommes. Certains comportements issus de la culture maritime, comme la pratique des chants marins à bord des navires, pourraient donner une explication quant à la manifestation plus « sonore » de leurs débordements. Mais encore, l’ivresse étant un facteur d’arrestation plus prononcé chez les marins, il peut avoir influencé l’expression des autres types de délits

Les marins et la discipline maritime

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les arrestations de marins à Québec ne se limitent pas au désordre public. La majorité des efforts policiers se porte sur la discipline maritime, notamment en termes de désertion48. Annuellement, le nombre de marins arrêtés pour ce type de délit est presque deux fois plus élevé que celui des marins arrêtés pour conduite désordonnée49. De la fin de la décennie 1860 jusqu’au début des années 188050, entre les deux tiers et les trois quarts des arrestations effectuées par la police fluviale concernent la discipline maritime (voir figure 17). L’arrestation pour discipline maritime est caractérisée par la nature contractuelle du délit. Dans de tels cas, il peut s’agir de désobéissance face aux ordres de leur capitaine, mais le plus souvent il s’agit d’absentéisme ou carrément de désertion51. En réalité, la désertion des marins est un véritable fléau pour bien des ports, notamment pour la ville de Québec. Selon les registres de la police fluviale, près de trois marins sur quatre arrêtés sous le couvert de la discipline maritime sont des déserteurs52. Ce problème atteint des sommets entre les décennies 1850 et 1870, notamment parce qu’il est favorisé par les activités de débauchage.

La sévérité de la peine et l’emprisonnement des marins

Au XIXe siècle, le système pénal de la ville de Québec suit la vague de réforme qui a transformé les prisons d’Europe de l’ouest et d’Amérique du nord71. La prison est perçue comme l’outil principal de la réforme morale des populations. À Québec, une « nouvelle prison » est ainsi ouverte en 1812. Comme la « nouvelle police », cette dernière est dédiée à la répression du désordre urbain, un mandat qui se concentre rapidement sur l’incarcération des marins72. À partir des années 1820, des centaines de marins s’ajoutent chaque été aux prisonniers réguliers. Au milieu du XIXe siècle, les marins représentent près de la moitié de l’ensemble des prisonniers de sexe masculin pendant la saison de navigation. Pendant cette période de l’année, l’espace disponible à la prison devient rapidement insuffisant et les prisonniers s’y entassent pêle-mêle. Comme en témoigne le shérif Sewell de Québec en 1839, par rapport à la prison commune, « sailors in vast numbers are its inmates during the Summer Months73»

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