Le cadre formel de la relation de service face à des situations singulières

Le cadre formel de la relation de service face à des situations singulières

Dans cette partie, nous allons envisager le cas de situations que nous qualifions de singulières. Nous avons choisi ce terme car il reflète l’idée que la relation d’affaire a pris une tournure inattendue, c’est notamment le cas lorsqu’un litige survient entre les parties prenantes engagées dans la négociation. Les récents évènements liés à la COVID-19 et la pandémie internationale qui en a résulté ont également eu des effets perturbateurs sur l’activité d’affrètement maritime. En pareilles situations, le courtier demeure au centre de la relation de service et assume une fonction de résolution des conflits qui dépasse largement les attributions inhérentes à son statut de mandataire.

La résolution des litiges post-contractuels, une deuxième négociation ?

Lors d’un différend entre le fréteur et l’affréteur, plusieurs situations peuvent se présenter. Le litige peut se régler à l’amiable, c’est-à-dire de manière informelle, en interne, sans mobiliser d’instance extérieure afin de trancher. Les parties cherchent donc à trouver entre elles un accord jugé mutuellement profitable, par rapport à la perspective d’une procédure judiciaire. Si cette première piste échoue, alors le litige sera remis entre les mains d’instances spécifiques. Dans le transport maritime, les Chambres Arbitrales Maritimes, même si elles constituent, en soit, un mode alternatif de règlement des conflits (Job 2012, p. 2), comparativement à une procédure judiciaire « classique », peuvent endosser ce rôle. Rappelons à cet effet que la mention d’une Chambre Arbitrale Maritime, compétente en cas de conflit, est mentionnée dans la charte-partie au voyage et est aussi l’un des résultats de la négociation. Nous articulerons cette dernière partie du chapitre en deux temps. D’abord, nous montrerons que le courtier d’affrètement maritime demeure, même en cas de litige, l’interface des parties engagées dans le cadre le cadre formel de la relation de service face à des situations singulières 277 de la charte-partie. Ensuite, nous dévoilerons les raisons qui poussent le courtier à privilégier la gestion du conflit en interne, c’est-à-dire par règlement à l’amiable plutôt que d’en confier son traitement à une autorité extérieure. 

Une interface qui se poursuit dans la résolution des litiges

Nous envisageons, à ce stade post-contractuel de la transaction, le litige comme un basculement possible d’un rapport qui est devenu, au fil de la négociation, concertatif, vers un rapport qui serait à nouveau davantage conflictuel. Alors que les intervenants ont la possibilité, en pareille situation, d’amorcer en direct une procédure de dédommagement envers les autorités compétentes et selon les termes particuliers, présents dans les clauses de la charte-partie au voyage, pour obtenir réparation, le courtier les incite à ne pas le faire. Ce mode de résolution alternatif des conflits ne concerne que les désaccords mineurs, comme le paiement des surestaries par exemple. Des litiges de plus grande ampleur, tels que des avaries ou des collisions en haute mer, échappent bien entendu à ce mode de règlement. En pareille situation, le courtier d’affrètement maritime dépasse ainsi le cadre de sa relation de service et endosse un rôle de catalyseur entre les parties (Touzard 2017, p. 191). Le terme de fusible qui est apparu dans plusieurs entretiens, notamment chez les affréteurs, nous a paru tout à fait illustrer le rôle que les courtiers endossent en pareille situation. « Le courtier est avantageux pour trouver un navire et négocier le prix mais aussi lors d’éventuels litiges, c’est un fusible. » Négociant en grain, entretien réalisé le 17/02/2017. « Et c’est là que les embrouilles commencent, le bateau avance à telle allure, tu ne m’avais pas dit ça ! Le ton monte, on passe le message via le courtier, on écrit à ce dernier c’est la boîte aux lettres, le bon courtier ne fait pas que boîte aux lettres c’est celui qui, quand il voit le message, va rappeler l’affréteur ou l’armateur pour calmer le jeu et rappeler les clauses du contrat, pour ne pas partir sur une cour d’arbitrage. » Analyste de fret au sein d’un grand groupe international de négoce, entretien réalisé le 31/03/2017.

Éviter le juridictionnel, privilégier l’amiable

L’ensemble des entretiens ont montré que les courtiers font tout pour éviter d’aller jusqu’à l’arbitrage maritime. Les interactions entre les acteurs, dans le cadre de leur négociation, ne peuvent se résumer à une simple confrontation de rationalité monolithique (Trompette 1997, p. 816), uniquement orientée sur un montant de dédommagement. Elles se rapprochent davantage d’un pacte social qu’il faut honorer et qui s’inscrit dans un échange relationnel plus vaste (Macneil 1980) duquel la procédure judiciaire, pour des litiges mineurs, est exclue. Même circonscrit à un ensemble de conflits restreints, au regard des risques liés à la navigation en haute mer, éviter de passer par la cour d’arbitrage maritime est un objectif primordial qui a été mentionné, à la fois par les courtiers eux-mêmes mais aussi par d’autres intervenants de la chaîne de valeur. Plusieurs entretiens auprès de courtiers d’affrètement maritime de vrac ont été particulièrement éclairants sur ce point. Ils ont notamment insisté sur le fait que si le courtier prend à sa charge, en dehors de tout cadre statutaire et surtout en dehors des dispositions de la charte-partie qu’il a participé à construire, la gestion de la résolution des litiges, c’est aussi dans un référentiel lié à l’honneur et à la confiance qu’il se doit d’incarner, au sein de la relation d’affaire. Envisager une procédure contentieuse formelle signifierait ne plus avoir foi en ce dispositif de résolution des conflits mineurs en interne et par voie de conséquence, remettre en cause les fondements mêmes de la relation d’affaire.  

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