L’identité de genre au travail

L’identité de genre au travail

La distribution, le sens même du travail sont fortement liés aux hiérarchies sociales. Ainsi la construction des inégalités concernant le marché du travail, les modalités organisationnelles et les rapports familiaux résultent de dynamiques sociales. En ce qui concerne la notion de genre, cette thématique est restée longtemps illégitime pour être aujourd’hui l’objet de nombreuses publications, mettant en évidence le caractère socialement construit des inégalités entre les sexes [OMER-HOUSSEAUX-2008] ou « la valence différentielle des sexes » décrite par Françoise HERITIER (2011). De nombreuses approches tentent d’explorer la suprématie des hommes [FERRAND-2004] :  Une explication existentialiste ou métaphysique, où par essence, la femme imparfaite, ou tout du moins mâle moins parfait moralement, doit être soumise.  Une explication bio naturaliste où la femme est physiquement plus faible.  Une explication fonctionnaliste par laquelle la femme est destinée à la procréation, avec une maternité inférieure à la paternité. Comme le souligne HERITIER(2002), ces argumentations, reprisent par FERRAND (2004), se contredisent et portent « en germe l’inanité de chacune ». 

Notion de genre

Un déterminisme génétique, puis hormonal concoure à l’établissement d’un dimorphisme des sexes. Biologique, anatomique, la dichotomie féminin-masculin est aussi sociale, attribuant des rôles et des statuts différents, définis culturellement, ancrés dans l’imaginaire collectif. Le sexe a une fonction identitaire incontestable mais pouvant être abordée sous plusieurs appellations : L’identité de genre au travail 185  « L’identité sexuelle renvoie plus particulièrement au sentiment d’appartenance au sexe biologique assigné à la naissance et à la psycho sexualité » [VOUILLOT- 2002]. Elle renvoie à une intime conviction d’être une fille ou un garçon, à l’adoption de comportements relatifs au sexe identifié, au choix du partenaire sexuel.  L’identité sexuée « désigne le sentiment d’appartenance à son sexe culturellement défini par les normes sociales de féminité et de masculinité prescrites à chacun des deux sexes biologiques » [VOUILLOT-2002]. La dimension psychologique est capitale.  L’identité de genre renvoie à la distinction de rôles sociaux, modes de présentation de soi, attitudes, schémas cognitifs, positionnements sociaux selon qu’ils relèvent du caractère féminin ou masculin. Il s’agit de normes de comportement et non pas de normes biologiques, traits stéréo-typiques attribués aux hommes ou aux femmes [LORENZI-CIOLDI, 1988]. Même si l’une des premières controverses sur la question de l’égalité des sexes remonte à la Renaissance361, c’est dans les années soixante-dix, aux Etats Unis, que des chercheuses féministes remarquant l’absence de femmes dans les publications scientifiques en tant qu’objet ou sujet, proposent le concept de genre (gender) c’est-à-dire la notion de sexe comme catégorie sociale. On retrouve ainsi l’opposition entre identité « essence » et identité « construction » dans les écrits féministes. Pour certaines, l’identité féminine se construit à partir de la nature féminine, le corps devenant alors la source originelle identitaire. Pour d’autres, cet existentialisme est réfuté et la femme est avant tout une catégorie culturelle, pouvant être déconstruite. La justesse se trouve sans doute dans une identité hybride, ni totalement féminine ni totalement masculine [MARTUCELLI2008], faisant dire à BUTLER (1990-2005)362 s’interrogeant sur la distinction entre sexe et genre : « Le genre n’est pas à la culture ce que le sexe est à la nature ; le genre, c’est aussi l’ensemble des moyens discursifs/culturels par quoi la « nature sexuée » ou un « sexe naturel » est produit et établi dans un domaine pré discursif .

Genre et travail

Alors qu’« avec la maitrise de la procréation, l’accès aux études, l’engagement professionnel, les femmes ont désormais la possibilité, à égalité sociale avec les hommes de faire de choix de vie » [THEVENOT, CHEVALERIAS, SPIESS-2012+, l’association travail et féminin reste, malgré tout, source de contradictions, de débats, d’enjeux sociaux… Le travail féminin est loin d’avoir une évolution linéaire au cours des époques même contemporaines, jalonnée par une succession d’avancées vers l’égalité, de stagnations, mais aussi de régressions. En effet la place du genre dans le travail est la résultante d’une histoire avec la construction du modèle féminin passant essentiellement voire obligatoirement par la maternité : En lien avec la nature, le rôle maternel est la tache dévolue aux femmes. Ce rapprochement, peut-être même cette confusion, entre le féminin et le maternel, concoure à favoriser la réclusion des femmes et leur rapport inégal avec les hommes comme l’ont montré de nombreuses historiennes (KNIBIEHLER369, THEBAUD370, COVA371, BADINTER372). Le dix-neuvième siècle a renforcé la ségrégation avec les femmes attachées à la sphère privée (travail domestique, les enfants et le care) et les hommes tournés vers le monde politique, les arts, les sciences et le travail rémunéré. Si quelques femmes sortaient de l’espace privé c’était par le biais de l’Eglise encourageant un investissement dans le domaine de la bienfaisance « activités relevant du devoir féminin d’assistance à autrui et donc incommensurables » [SCHWEITZER-2002]. Cependant, ce bénévolat, travail non rémunéré, souvent réservé à des femmes relativement aisées, se faisait grâce à la délégation du travail domestique à des femmes de classes populaires. La séparation horizontale attribuant les métiers techniques aux hommes et les métiers de service aux femmes est un prolongement de cette assignation, réalité illustrée par les statistiques sexuées qui confirment la surreprésentation des femmes dans les professions intermédiaires de santé et du travail social, les services aux particuliers… De même, les activités liées à l’enfance et à l’enseignement sont souvent l’apanage des femmes, état de fait répondant ainsi à la fonction naturelle et primordiale des femmes, à savoir être mères. Cette division sexuelle du travail, distribution institutionnelle ou coutumière des fonctions productives entre les sexes, « a pour caractéristiques l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et des femmes à la sphère reproductive ainsi que, simultanément, la captation par les hommes des fonctions à forte valeur ajoutée (politiques, religieuses, militaires, etc.…) » [KERGOAT – 2001]. MOSCONI(2008) rappelle qu’au dix-neuvième siècle, les femmes sont considérées comme inaptes par nature (petitesse du cerveau) à toute notion d’abstraction et de rationalité. De même la force physique (attribut masculin) est socialement reconnue alors que la minutie ou la patience (féminine) est peu valorisée. C’est ainsi que l’idéologie de la complémentarité sexuée naturalise les compétences et justifie la différentiation sexuée du travail. Alors que le travail des femmes est associé au souci de l’autre, la sollicitude, MOLINIER (2003) dans « L’énigme de la femme active. Egoïsme, sexe et compassion » dénonce cette attribution « naturelle » de la compassion au genre féminin et le « déni viril de la souffrance ». La détermination sociale, naturaliste, permet de justifier une sous-évaluation, sur le plan de la qualification et de la rémunération, du travail effectué à l’exemple des métiers de la santé ou de la petite enfance. Cette dévalorisation professionnelle demeure même si un métier dit féminin, de par les progrès techniques, acquiert une haute technicité, à l’exemple du métier de soins infirmiers, fortement marqué par un aspect relationnel. La profession de sage-femme est sans aucun doute confrontée à la même problématique où la notion de soins prévaut sur l’aspect médical. Ce constat prouve, selon LAUFER (2014) que la qualification du travail résulte « d’une construction sociale sexuée qui aboutit à considérer qu’une tache (masculine) est qualifiée et qu’une autre (féminine) ne l’est pas ». Finalement, la division sexuée du travail apparait comme « un tabou contre la similitude des hommes et des femmes, un tabou divisant les sexes en deux catégories mutuellement exclusives, un tabou qui exacerbe les différences biologiques entre les sexes et, par-là crée le genre » [RUBIN-2010]. 

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